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11 Le jour où Joseph Beuys fit un Düsseldorf – New York en ambulance

Le jour où Joseph Beuys fit un Düsseldorf – New York en ambulance

Art

Le 23 mai 1974, l’artiste Joseph Beuys, enveloppé dans une couverture de feutre, quitta son domicile de Düsseldorf en Allemagne en ambulance et fut conduit ainsi à l’aéroport où il prit l’avion pour les États-Unis…

Le jour où Joseph Beuys fit un Düsseldorf – New York en ambulance Le jour où Joseph Beuys fit un Düsseldorf – New York en ambulance

À New York, déplacé en chaise roulante dans l’aéroport, il fut à nouveau convoyé en ambulance – sans jamais avoir physiquement foulé le sol américain – jusqu’au 409 West Broadway, dans la galerie René Block, à Manhattan, où il s’enferma trois jours durant dans une vaste cage de métal, en compagnie d’un coyote capturé au Texas quelque temps auparavant.

 

 

Cette performance historique a souvent fait l’objet d’inexactitudes dans son récit, visant à dramatiser plus encore l’événement – comme s’il en était besoin.

 

 

Durant soixante-douze heures, Joseph Beuys entreprit une série de stratégies pour cohabiter avec l’animal sauvage. Enveloppé de l’étoffe de feutre, les mains protégées par des gants, se servant d’une canne et d’une lampe torche, muni d’un magnétophone et un triangle et coiffé du chapeau qu’il portait en permanence, l’artiste apprit en effet à partager avec la bête le même espace, sous le regard des visiteurs de la galerie – quelques centaines de personnes tout au plus, fort heureusement dépourvues de smartphones. Les récits de cet événement varient : la version officielle et probablement la plus fiable est celle livrée par sa “compagne de voyage et biographe” Caroline Tisdall, critique d’art au Guardian. Chaque jour, une cinquantaine d’exemplaires du Wall Street Journal était déposée dans la cage : le coyote pissa dessus avec une belle constance, marquant son territoire – il pissa aussi sur le feutre. La cohabitation donna lieu à quelques épisodes plus agressifs au cours desquels le coyote tenta d’arracher la couverture : son comportement se fit tour à tour belliqueux, indifférent, bienveillant, voire “amical”.

 

Intitulée I Like America and America Likes Me, cette performance historique a souvent fait l’objet d’inexactitudes dans son récit, visant à dramatiser plus encore l’événement – comme s’il en était besoin. Il est ainsi fréquent de lire que Beuys n’avait jamais “mis les pieds” (c’est le cas de le dire) aux États-Unis en raison de son opposition à la guerre du Viêt Nam : c’était vrai jusqu’au mois de janvier 1974 au cours duquel Beuys consentit à une série de discussions avec le public américain organisées à New York par le galeriste Ronald Feldman. On peut aussi s’interroger sur le franchissement des formalités de sécurité des aéroports, de toute évidence moins drastiques qu’aujourd’hui... Peut-être notre admiration pour les grandes œuvres nous pousse-t-elle à les rendre plus spectaculaires encore ; peut-être la vérité en matière d’art n’est-elle pas une qualité nécessaire.

 

Au terme de trois jours de huis clos avec le coyote, Beuys, toujours enveloppé dans une couverture de feutre, fut à nouveau conduit jusqu’à l’aéroport de New York en ambulance, pour retourner chez lui à Düsseldorf.