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Numéro
13 Robert Longo par Roberto Patella

Dans l’atelier de Robert Longo, artiste monumental exposé à la Galerie Thaddaeus Ropac

ART & DESIGN

À l’occasion de l’exposition “Luminous Discontent” chez Thaddaeus Ropac, Numéro revient sur sa rencontre avec l’artiste dans son atelier new-yorkais.

  • Dans l’atelier de Robert Longo, artiste monumental exposé à la Galerie Thaddaeus Ropac Dans l’atelier de Robert Longo, artiste monumental exposé à la Galerie Thaddaeus Ropac
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Photos : Roberto Patella

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Artiste mythique depuis la fin des années 70, Robert Longo doit sa notoriété à ses fabuleux dessins monumentaux. Visite de son atelier new-yorkais où l’Américain travaille toujours avec la même ferveur son œuvre graphique.

 

Numéro : Un monumental dessin représentant un chandelier flottant au-dessus d’une mer agitée nous accueille dès l’entrée de votre studio. Vos récentes œuvres tendraient-elles vers le surréalisme ?

Robert Longo : L’année 2015 marque pour moi un changement de direction indéniable. J’ai décidé, après deux expositions importantes l’année dernière, d’entamer de nouvelles recherches. L’une d’entre elles m’a mené à m’intéresser à la poésie. Cet intérêt n’était pas nouveau, mais ma dyslexie m’en avait toujours tenu éloigné, m’en rendant la lecture difficile. Alors j’ai décidé de me concentrer sur un auteur qui me serait déjà familier. Et ce fut Edgar Allan Poe. Plus particulièrement La Cité dans la mer. Le dessin irréel auquel vous faites allusion est issu de ces recherches.
Mais ces nouvelles œuvres n’ont rien de surréalistes. Elles relèvent plus de la collusion d’éléments, comme un accident entre deux voitures qui créerait un nouvel objet.

 

Dans cette veine fantastique, votre atelier renferme également un dessin mêlant les branches d’un arbre à une tête de mort. La mort qui rôde ou l’imminence du danger sont des thèmes qui, depuis toujours, traversent votre œuvre.

Mais ce dessin a une résonance particulière car il a été créé trois ans, presque jour pour jour, après mon accident vasculaire cérébral. Contraint et forcé, je me suis retrouvé face à une multitude d’images de mon cerveau, qui l’ont inspiré. Ce dessin est un peu une œuvre anniversaire [rires]. Mais je me méfie des œuvres trop personnelles. L’art doit être un subtil équilibre entre un intérêt personnel pour un objet ou un sujet et la pertinence de cet intérêt pour la société.
Ce dessin peut tout autant se rattacher à la tradition des couvertures de livres d’horreur ou fantastiques à la Stephen King. Il y a, sur cet autre mur de l’atelier, un dessin qui me tient également à cœur. Il s’agit d’un drapeau américain flottant sur un fond noir. J’ai dédié cette œuvre au grand historien spécialiste des États-Unis Howard Zinn qui nous a quittés en 2010.

 

Les États-Unis ont depuis toujours formé un terreau fertile d’images et de thèmes pour vos œuvres. Quel regard portez-vous sur votre pays aujourd’hui ?

L’Amérique est à la dérive. Mais paradoxalement elle représente à mes yeux le dernier véritable espoir pour le monde.
Je vis à Brooklyn et je peux encore voir coexister pacifiquement des Pakistanais, des Indiens, des Japonais, des Juifs orthodoxes et des Italiens. Ce pays s’est construit sur un état d’esprit particulier que je qualifierai d’esprit d’équipe. Les Américains ont une mentalité de sportif. L’aspect positif est que nous travaillons tous ensemble. Le revers de la médaille est que nous ne visons qu’une chose. Comme tous les sportifs, nous ne cherchons qu’à gagner. Et cela nous empêche souvent de réfléchir. Après le 11 septembre, personne ne s’est demandé pourquoi des gens pouvaient nous haïr à ce point. Nous n’avions qu’une idée en tête : gagner. Alors oui, être américain est une source puissante de mon travail. Je dirais même plus : mes œuvres sont issues d’un point de vue particulier, celui d’un homme blanc américain.

 

Le dessin, les grands formats et le noir et blanc sont trois autres caractéristiques de votre travail. Qu’est-ce que cela révèle de votre œuvre ?

L’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi le dessin, en toute honnêteté, est que lors de mon arrivée à New York, je n’avais pas assez d’argent pour faire de la photo ou de la vidéo. J’ai très vite compris que le dessin était malheureusement considéré comme l’enfant bâtard des arts majeurs comme la peinture ou la sculpture. Alors j’ai voulu mettre le dessin sous stéroïdes, l’amplifier pour qu’il pèse aussi lourd qu’une sculpture justement. L’un de mes amis parle à propos de mes dessins d’“immensité intime”. Je prends une planète et j’en fais un dessin de trois mètres. Ou je prends une rose et j’en fais également un dessin de trois mètres… Je trouve très belle également l’idée que je réalise mes œuvres à partir de poussières. Je veux dire que le charbon que j’utilise n’en est pas loin. J’ai aussi toujours en tête l’incroyable fragilité de mes dessins, du matériau qu’est le papier. Lorsqu’une photo s’abîme, vous pouvez toujours la réimprimer. Mais vous ne pouvez pas reproduire aussi facilement un dessin. Quant au noir et blanc, votre question me rappelle une remarque de mon plus jeune fils. Il avait toujours l’impression que mes images étaient tirées du journal. Et je crois, en effet, que j’ai toujours associé le noir et blanc à la vérité. Lorsque j’étais plus jeune, dans les magazines et les journaux que je lisais, les photos représentant la réalité, la guerre du Vietnam ou les tremblements de terre étaient toujours en noir et blanc.

 

Quelle est justement l’origine des images que vous utilisez dans vos dessins ?

J’ai compris que les images que j’ai en tête, et que je cherche sur Internet ou ailleurs, proviennent toujours d’une mémoire visuelle constituée lorsque j’avais entre 6 et 13 ans, ce moment essentiel de l’existence où l’on passe de l’enfant à l’adulte. Quand j’essaie de comprendre pourquoi mes dessins ont cet aspect si épique, je me rappelle qu’enfant je regardais Spartacus ou Ben Hur… Quant à mes œuvres les plus connues, les Men in the Cities, je pensais à l’époque représenter mes amis new-yorkais de la scène new wave qui portaient des costumes. Je crois en réalité que j’étais influencé par la version originale du film Ocean’s Eleven avec Frank Sinatra que j’ai vu très jeune. La petite amie d’un de mes fils, en voyant trois de ces dessins au Metropolitan Museum, m’a demandé si j’en avais eu l’idée en regardant la dernière publicité pour iPad qui leur ressemblait étrangement. J’ai compris à ce moment que, lorsqu’on a la chance d’avoir créé un tel archétype, on en perd alors la paternité. Cette perte de la notion d’auteur m’intéresse beaucoup parce que j’y vois une belle ironie. On vole mes images qui sont elles-mêmes tirées d’autres images, qu’évidemment je ne reproduis jamais à l’identique, mais que je vole moi-même en quelque sorte. La boucle est bouclée.

 

Luminous Discontent, du 16 avril au 22 mai,

à la Galerie Thaddaeus Ropac,

7, rue Debelleyme, Paris IIIe.