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Numéro
11 Pourquoi Cuba fascine-t-il autant les cinéastes?

Pourquoi Cuba fascine-t-il autant les cinéastes?

Cinéma

La révolution cubaine a fêté ses 60 ans l’année dernière. Au même moment, le gouvernement cubain légalisait la production cinématographique indépendante, un petit pas vers une liberté de création encore hésitante. Fort de ses figures révolutionnaires, du Che à Fidel Castro, et de sa culture musicale foisonnante, Cuba constitue un met de choix pour le cinéma militant, social et enchanté. Le 19 août prochain sortira "Epicentro", un documentaire vibrant sur l'île et ses habitants, qui constitue l'occasion de revenir sur quelques films illustrant la relation étroite qu’entretient Cuba avec le cinéma documentaire.

Fidel Castro dans "Cuba Si" de Chris Marker (1961) Fidel Castro dans "Cuba Si" de Chris Marker (1961)
Fidel Castro dans "Cuba Si" de Chris Marker (1961)

1. Cuba Si de Chris Marker (1961)

 

L’institut cubain des arts et de l’industrie (ICAIC) invite Chris Marker en 1961 pour réaliser un film sur la révolution castriste. L’institut, créé par Castro lui-même en 1959, fait appel à des réalisateurs étrangers pour couvrir cette période effervescente, faute de moyens suffisant pour financer des artistes locaux. Jusque-là, Cuba n’a d'ailleurs produit que 80 films à l'intérieur du pays, et la présence du cinéma américain pèse encore sur l’île. Invité officiellement, le réalisateur français Chris Marker, maître du genre du documentaire et auteur d'essais cinématographiques, filme alors le rythme de la révolution castriste en partant de trois jours de fêtes : le 1er de l’an 1961, le 2 janvier (anniversaire de la révolution), et le 3 janvier, qui est la fête des rois, le Noël cubain.

 

En alternant son montage avec des prises de vue directes dans la rue, au plus près du peuple cubain, des interviews de Fidel Castro et des extraits d’actualités, le réalisateur s’érige clairement en défenseur de la révolution communiste. Car le cinéma sur Cuba est avant tout un cinéma politique. En raison de son ton très anti-américain, Cuba Si a des allures de propagande assumée. Avec ce documentaire, Chris Marker réaffirme son affection pour le cinéma militant et réaliste, ce qui vaudra d’ailleurs au film d'être censuré par le gouvernement français jusqu’en 1963. 

 

Deux danseurs dans "Salut les Cubains!" d'Agnès Varda (1963) Deux danseurs dans "Salut les Cubains!" d'Agnès Varda (1963)
Deux danseurs dans "Salut les Cubains!" d'Agnès Varda (1963)

2. Salut les cubains d’Agnès Varda (1963)

 

Succédant à Chris Marker, la figure de la Nouvelle Vague Agnès Varda livre un court-métrage documentaire de 30 minutes sur Cuba. Invitée elle aussi par l’ICAIC, la réalisatrice française a pris 1800 photographies sur l'île, dans le but d’en faire ensuite un film. Elle prend des séries de clichés argentiques en rafales afin de capturer le mouvement et de retranscrire l'euphorie de La Havane de l'époque. Ainsi, on voit les protagonistes danser et chanter, avec parfois des ajouts dessinés sur les photos qui rendent le film très ludique.

 

A la manière d’un stop-motion dynamique, le montage virtuose de Salut les Cubains fait entrer en mouvement les photographies sur des musiques entraînantes, rendant notamment hommage à l’autre âme du pays, en plus de la révolution : la musique. Les voix de Michel Piccoli et d’Agnès Varda commentent les images, s’attachant à montrer comment les cubains prennent part à la révolution castriste. L'ensemble rend finalement compte d'un joyeux épisode de la vie insulaire, libérée de la dictature de Batista. 

 

Compay Segundo dans "Buena Vista Social Club" de Wim Wenders (1999) Compay Segundo dans "Buena Vista Social Club" de Wim Wenders (1999)
Compay Segundo dans "Buena Vista Social Club" de Wim Wenders (1999)

3. Buena Vista Social Club de Wim Wenders (1999)

 

Film documentaire sur la musique de CubaBuena Vista Social Club reprend le nom du célèbre groupe et album de musique cubaine, qui lui-même rend hommage au nom d’une fameuse boîte de nuit de la Havane. Suite à la sortie de l’album, Wim Wenders est poussé par l’un des membres du groupe, Ry Cooder (guitariste américain, compositeur de la musique des films Paris, Texas et The End of Violence), à venir à Cuba pour filmer les séances d’enregistrement de leur prochain opus.

 

Le film plonge alors en immersion dans les jams affolés du groupe et les fêtes nocturnes de La Havane. Ponctué d’images d’archives et d’interviews, le long-métrage dresse un portrait d’un Cuba en pleine évolution. La sortie de l’album et du film provoque un regain d’enthousiasme pour la musique latine des années 30 et 50, faisant de Buena Vista Social Club l’hymne de Cuba à travers le monde.

Fidel Castro dans "Comandante" d'Oliver Stone (2003) Fidel Castro dans "Comandante" d'Oliver Stone (2003)
Fidel Castro dans "Comandante" d'Oliver Stone (2003)

4. Comandante d'Oliver Stone (2003)

 

Comandante est probablement le documentaire le plus controversé de cette sélection. Américain, il continue aujourd'hui encore de faire polémique. Son procédé est simple : Oliver Stone a interviewé Fidel Castro pendant trois jours, faisant de son film un portrait intimiste du plus grand opposant au régime américain. Le leader cubain y évoque notamment sa jeunesse, son accession au pouvoir et donne son point de vue sur la situation de Cuba au moment du tournage. Interdit lors de sa sortie aux États-Unis, le film n’a jamais été diffusé sur le sol américain.

 

Prenant toujours le contrepoint du révolutionnaire, Oliver Stone pousse ce-dernier dans ses retranchements de manière éhontée et sans fioritures, cherchant à obtenir un témoignage à vif, sans filtre. Certains ont d'ailleurs reproché au réalisateur son procédé simpliste, questionnant l'intérêt du film qui prend la forme d'une longue interview. 

Oona Chaplin et une jeune fille dans "Epicentro" d'Hubert Super (2020) Oona Chaplin et une jeune fille dans "Epicentro" d'Hubert Super (2020)
Oona Chaplin et une jeune fille dans "Epicentro" d'Hubert Super (2020)

5. Epicentro d’Hubert Sauper (2020)

 

En salles le 19 août prochain, le documentaire d’Hubert Sauper plonge dans les rues de Cuba, parmi les enfants et les touristes, pour dresser un portrait métaphorique de l’île. La mise en lumière du cinéma comme art fondamentalement politique permet de revenir sur l’histoire de la Révolution depuis un angle original. En partant de l’explosion du cuirassé américain USS Maine en 1898, soupçonnée ici de n’être en fait qu’un trucage cinématographique, le réalisateur questionne les enfants qu’il fréquente sur leur vision de l’impérialisme, de la domination américaine et de la situation actuelle du pays. Des questions qui peuvent sembler décalées par rapport au jeune âge des intéressés, mais qui pourtant suscitent chez eux des réactions tout à fait passionnées et intelligentes. Très conscients de l’histoire de leur pays, les enfants de la révolution entonnent les chants à la gloire de Castro tout en tenant des discours humanistes vibrants de sincérité. Le réalisateur les surnomme "les jeunes prophètes".

 

Parmi les visages cubains se détache celui de la petite fille de Charlie Chaplin, Oona, qui vient parler de cinéma avec les jeunes et leur apprend à jouer. Avec sa guitare elle enchante le documentaire et constitue un point d’ancrage très réel dans le cinéma, revenant sur les films de son grand-père. Très critique envers la récente ouverture du pays au tourisme de masse, Epicentro aborde les questions de représentations avec finesse. En explorant ainsi des siècles d’interventionnisme et de fabrication de mythes, Hubert Sauper ajoute de nouvelles lettres de noblesse au genre du documentaire, si cher à Cuba. 

 

 

Epicentro, d'Hubert Sauper. En salles le 19 août 2020.