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Numéro
26 Vassily Kandinsky : trois raisons de naviguer virtuellement dans sa vie et son œuvre

Vassily Kandinsky : trois raisons de naviguer virtuellement dans sa vie et son œuvre

Art

Alors que ses portes sont toujours closes, le Centre Pompidou propose une exposition entièrement digitale et gratuite conçue en collaboration avec la plateforme Google Arts & Culture. Intitulée "Dans l'intimité de Kandinsky", elle nous invite à une plongée originale, interactive et particulièrement réussie dans l'œuvre et la vie de l'un des précurseurs de l'art abstrait et figure majeure de l'art moderne. 

Vassily Kandinsky "Lithographie n° I" (1925) © Centre Pompidou
Vassily Kandinsky "Lithographie n° I" (1925) © Centre Pompidou
Vassily Kandinsky "Lithographie n° I" (1925) © Centre Pompidou

Rien ne vaudra jamais l’expérience du face-à-face avec une œuvre, le dialogue muet de notre sensibilité avec celle des artistes par la simple présence physique. Mais depuis que les musées doivent garder leurs portes closes, en remède à leur solitude et au silence des salles vides, ceux-ci tentent tant bien que mal de raviver le dialogue entre œuvres et spectateurs.

 

Faisant office d’élève modèle, le Centre Pompidou a relevé le défi en s’essayant à plusieurs formats. Après avoir réinventé sous forme de podcast et vidéo sa grande exposition “Matisse comme un roman, fermée à peine une semaine après son inauguration en octobre, confinement oblige, le musée a lancé le 10 février l’exposition "Dans l’intimité de Kandinsky", pensée cette fois-ci dès le départ pour le support digital. Organisée en plusieurs parcours thématiques balayant l'immense carrière de Vassily Kandinsky (1866-1944) – 'Son œuvre', 'Sa vie', 'Son héritage', mais aussi 'Un entourage célèbre', 'Écoutez les couleurs', 'Plongez dans un tableau'... –, l’exposition virtuelle et interactive aussi bien de flâner visuellement quelques minutes que de se plonger, plus longuement, dans l’œuvre et la vie d'un des précurseurs de l’art abstrait, mais aussi d'explorer aux côtés de ses amis Paul Klee, André Breton et Marcel Duchamp l'effusion artistique du début du XXe siècle. Focus sur trois grands atouts de ce projet original – et gratuit.

Vassily Kandinsky "Etude pour la couverture de l'Almanach Der Blaue Reiter" (1911) © Centre Pompidou Vassily Kandinsky "Etude pour la couverture de l'Almanach Der Blaue Reiter" (1911) © Centre Pompidou
Vassily Kandinsky "Etude pour la couverture de l'Almanach Der Blaue Reiter" (1911) © Centre Pompidou

1. Une intimité profonde avec les œuvres

 

 

Ce n’est pas une vaine promesse. Si l’exposition convie à entrer « dans l’intimité » de l’œuvre de Vassily Kandinsky, le visiteur virtuel n’est pas déçu. Aucun danger, derrière son ordinateur, de voir l’alarme se déclencher si l’on s’approche un peu trop près de la toile pour en apprécier la texture ou pour en scruter un détail. L’exposition virtuelle du Centre Pompidou porte bien son nom : elle propose une véritable plongée “dans l’intimité de Kandinsky” que nous offre la résolution en haute définition des toiles numérisées, ici offertes à notre regard. En faisant défiler chacune des pages dédiées aux œuvres phares de l’artiste, ses toiles se dévoilent par le biais de zooms jusque dans leurs plus petits détails. Des descriptions, courtes explications mais aussi des notes de l’artiste y apparaissent simultanément.

 

En s'approchant de l'une des œuvres présentées, on en apprend ainsi davantage sur l'origine du fameux “Cavalier bleu”, le mouvement artistique auquel appartenait le peintre. L'œuvre en question est l'une des études réalisées par Kandinsky pour la couverture du premier Almanach du Cavalier bleu, revue du groupe d’inspiration expressionniste formé à Munich, dans les années 1910, par divers artistes – tels Vassily Kandinsky, Franz Marc, August Macke, Alexej von Jawlensky et Paul Klee, entre autres. Donné au groupe par Kandinsky lui-même, le nom “Le Cavalier bleu” est d’abord une évocation du valeureux chevalier saint Georges, qui terrassa le dragon du Mal, et protecteur de Moscou, la ville natale de Kandinsky. Mais il possède également un autre sens : le cavalier, pour les chamans que le peintre d'origine russe avait rencontrés en Sibérie, est une figure symbolique qui représente le passage vers d’autres mondes. Artiste profondément ancré dans la spiritualité, Kandinsky voyait dans ce cavalier une métaphore de l’artiste, comme nous l’apprend cette note issue d’un de ses carnets: “Le cheval porte son cavalier avec vigueur et rapidité. Mais c’est le cavalier qui conduit le cheval. Le talent conduit l’artiste à de hauts sommets avec vigueur et rapidité. Mais c’est l’artiste qui maîtrise son talent.”

Hugo Erfurth "Portrait de Kandinsky" (1933) © Centre Pompidou Hugo Erfurth "Portrait de Kandinsky" (1933) © Centre Pompidou
Hugo Erfurth "Portrait de Kandinsky" (1933) © Centre Pompidou

2.  Le roman visuel captivant de la vie d'un artiste avant-gardiste

 

 

Combien de fois n'avons-nous pas, après avoir consciencieusement commencé à lire au-dessus de l’épaule d’un visiteur, le début de la biographie de l’artiste exposé, décidé, avec mauvaise conscience, de passer directement dans la première salle d'exposition ? Voilà une chose qui devrait bien changer avec la visite virtuelle de l’exposition Kandinsky. Nommée 'Rencontrez Kandinsky', la salle virtuelle dédiée au récit de l’incroyable vie de l’artiste permet d’apprendre, de façon très ludique, certains de ses passages importants pourtant largement méconnus. Alors que les images défilent en plein écran, nous apprenons ainsi que l’artiste russe, naturalisé allemand puis français, ouvre en 1902 sa propre école à Schwabing dans le sud de l’Allemagne... et qu’il n’était pas seulement avant-gardiste dans sa pratique plastique. En effet, alors qu’à l’époque les femmes n'ont pas le droit d'étudier l'art à l’Académie des beaux-arts de Munich (elles sont tolérées uniquement aux cours du soir avec un statut "d’amatrices”), l’école d’art de Kandinsky, elle, leur est d’emblée ouverte.

 

Un très grand nombre de photographies inédites retraçant les voyages et étapes cruciales de sa vie émaille l'ensemble du site, donnant l'impression de consulter les pages d’un bel album d’un autre siècle. De son exil de Moscou à Munich, de son professorat à l’emblématique école du Bauhaus à Weimar à ses années de reconnaissance artistique à Paris, ainsi que ses amitiés avec entre autres Marcel Duchamp et Paul Klee ou ses amours avec Gabriele Münter puis sa femme Nina Kandinsky. 

Vassily Kandinsky "Gelb-Blau-Rot" (1925) © Centre Pompidou Vassily Kandinsky "Gelb-Blau-Rot" (1925) © Centre Pompidou
Vassily Kandinsky "Gelb-Blau-Rot" (1925) © Centre Pompidou

3. Des toiles qui jouent de la musique

 

 

Curieusement, alors que ce fait est d’une importance manifeste pour comprendre l’œuvre de Vassily Kandinsky, un don que possédait le peintre reste encore méconnu du grand public : la synesthésie, aptitude neurologique involontaire de certains êtres humains consistant à associer cognitivement l'ouïe avec la vue. Ainsi l'artiste “voit” la musique, tout comme les couleurs qu'il regarde produisent en lui des sons. C’est précisément cette faculté, très rare, qui l’entraîne vers l’expérimentation d’un art abstrait. Souhaitant reproduire sur ses toiles la symbiose opérée par son esprit entre ses oreilles et ses yeux, Kandinsky travaille dès les années 1910 à peindre la musique des couleurs et inversement.

 

Considéré comme un des premiers chefs-d’œuvre de l’art abstrait, son tableau Jaune-Rouge-Bleu est une toile haute en couleurs sur laquelle des formes géométriques apparaissent comme les notes libérées d’une symphonie, dont l’exposition virtuelle permet de faire une expérience inédite. Intitulé 'Play a Kandinsky', un dispositif interactif conçu à base de machine learning permet d’entendre littéralement le tableau sur le site, mais aussi de découvrir quelle couleur Kandinsky associait à quel instrument et à quelle émotion. Ainsi, le bleu illustre l’orgue et l’émerveillement, le jaune rime avec la trompette et l’audace, et le rouge avec le violon et l’agitation.

 

 

Découvrez l'exposition “Dans l'intimité de Kandinsky” gratuitement jusqu'au 31 décembre 2021 sur Google Arts & Culture.