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Numéro
28 L'obsession de Paolo Roversi pour… sa mandoline

L'obsession de Paolo Roversi pour… sa mandoline

Art

Artistes ou créateurs, Numéro plonge dans ses archives à la recherche des obsessions les plus étranges.

Photo par Pierre Even. Photo par Pierre Even.
Photo par Pierre Even.

Le photographe explore l’âme de sa mandoline.

 

J’adore Naples ! C’est une ville magique, mystérieuse, voilée et dévoilée à la fois. Une chose que j’aime particulièrement, c’est qu’elle a conservé des rues “spécialisées” : la rue des libraires, la rue des fromagers, la rue des... Voici une bonne vingtaine d’années, j’y étais avec ma femme lorsque nous nous sommes engagés dans la rue des “mandoliniers”, et vous savez à quel point, à Naples, la mandoline est essentielle. Donc une enfilade de boutiques à touche-touche et, dans les vitrines, des dizaines, des centaines de mandolines alignées comme à la parade. C’était un choc visuel, esthétique, émotionnel, incroyable. Or, il se trouve que ce jour-là, justement, était celui de mon anniversaire. Et c’est là, à cet instant précis, que j’ai reçu mon plus beau cadeau, une mandoline.

 

De retour à Paris, je regardais ma mandoline avec l’envie irrépressible d’en jouer. Je me suis alors inscrit à La Schola Cantorum, où j’ai commencé à prendre des cours de solfège, au milieu d’enfants âgés de 8 à 15 ans. Pour l’homme de 50 ans que j’étais, c’était tout à la fois amusant, terrorisant et stimulant. J’y suis resté deux ans et ensuite j’ai enchaîné avec des leçons particulières... La première fois que ma mère m’a entendu jouer, chez elle à Ravenne, elle m’a raconté une histoire dont j’ignorais tout : mon grand-père paternel, lui aussi, jouait de la mandoline. Tous les soirs il sortait sur le perron de la maison et jouait face au soleil couchant. Des airs napolitains naturellement. D’ailleurs, mes parents ont fait leur voyage de noces à Naples, ce qui ne fait qu’amplifier mon attachement à cette ville.

 

Aujourd’hui je possède six mandolines dont je joue, et deux de collection, sur lesquelles je ne pose que mon regard. Parmi les six dont je joue, deux ont été faites sur mesure pour moi par Scala, un luthier de génie de la côte amalfitaine. J’en joue pratiquement tous les jours, où que je sois, même en reportage car j’en emporte toujours une avec moi. Le soir, après les prises de vue, de retour à l’hôtel, c’est l’heure de la mandoline, au grand désespoir – peut-être – de mes voisins. Je pince les cordes avec un plectre (que les guitaristes appellent “médiator”) en écaille de tortue, lui aussi d’une grande beauté et d’une grande rareté. Alors, bien sûr, mon répertoire n’est pas d’une étendue infinie. Je me limite à la chanson napolitaine. Moins à la tarentelle, très enlevée, très enjouée, qu’à la “nenia”, qui est née des lamentations des pleureuses à l’adresse du défunt lors des funérailles. Autant dire que cette chanson napolitaine-là est très nostalgique, voire tragique. D’ailleurs, je vois un lien étroit entre la mandoline et la photographie. Dans les deux cas, il s’agit de nostalgie, de mémoire, de souvenirs, d’effacement progressif.

 

[Archives Numéro Homme n°22 automne-hiver 2011-2012]