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Numéro
25 Michael Heizer, City, Nevada, Land Art.

L'artiste Michael Heizer dévoile une œuvre colossale à la taille d'une ville dans le désert américain

Art

Figure phare du land art, l'artiste américain Michael Heizer vient de dévoiler dans le désert du Nevada une ville-sculpture monumentale, entamée au début des années 1970 et tout récemment terminée. Baptisée City, cette œuvre exceptionnelle longue de deux kilomètres ouvrira ses portes au public le 2 septembre prochain, qui pourra la parcourir à sa guise. Une première dans l'histoire de l'art. 

© Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell
© Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell

En 1972, l’artiste américain Michael Heizer a une idée folle : fonder sa propre ville en plein milieu d’un désert de l'ouest des États-Unis. L'homme alors âgé de 28 ans imagine un ensemble à la frontière entre un décor de film de science-fiction et une cité archaïque d'une civilisation déchue comme celle des Incas, composé de sculptures géométriques dispersées dans l’immensité des terrains arides et totalement vides de l'État du Nevada. Figure phare du land art, Michael Heizer continue avec ce nouveau projet de s'inscrire dans ce mouvement apparu dans les années 60, au sein duquel les artistes font de la nature la source et souvent le cadre de leurs créations en utilisant sa matière brute, en s’inspirant de ses formes organiques, jusqu'à produire des installations in situ dans des forêts, des montagnes, des étendues d'eau ou des déserts. Mais à l'époque, il ne se doute pas encore que ce projet l'occupera pendant un demi-siècle. Baptisée City, la ville-sculpture vient tout juste d'être terminée et ouvrira au public le 2 septembre prochain, soit cinquante ans après avoir germé dans l'esprit de l'Américain.

45°, 90°, 180°, City © Michael Heizer. Courtesy of Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell 45°, 90°, 180°, City © Michael Heizer. Courtesy of Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell
45°, 90°, 180°, City © Michael Heizer. Courtesy of Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell

Si le projet de City se distingue par son audace et son ambition démesurée, il prolonge une recherche déjà initiée par Michael Heizer depuis la fin des années 1960. A l'époque, l'artiste commence à puiser son inspiration et ses matériaux principaux dans la roche du désert du Nevada : fort de son succès, l'Américain décide de quitter le centre-ville de New York, où il travaillait jusqu'alors, pour revenir explorer les plaines occidentales de son pays, d'où il est originaire. En 1967 il construit ainsi North, East, West et South, quatre sculptures réalisées à partir des roches constituant la chaîne de montagne de la Sierra, qui marque la frontière entre la Californie à l'est et le Nevada à l'ouest : l'artiste expose ces œuvres brutes afin de les laisser parler d'elles-mêmes du paysage dont elles proviennent. Entre 1969 et 1970, il continue ses recherches au sud du désert du Nevada, où il coupe une mésa (relief tabulaire présent dans certains paysages désertiques) en deux. Nécessitant le déplacement de 240 000 tonnes de roches, sa nouvelle œuvre, intitulée Double Negative, est l’une des premières traces que l’artiste laisse dans ce territoire sec et rocailleux.

 

Lorsqu'il planifie la conception de son immense City, ses ambitions changent drastiquement d'échelle, requérant un budget et une temporalité beaucoup plus importants. Sur plusieurs décennies, Heizer achètera au fur et à mesure de nombreuses parcelles de badlands du désert du Nevada – terrains ruiniformes caractérisés par leur aspect aride et minéral peu propice à agriculture –, qui constitueront finalement un ensemble assez grand pour accueillir son projet. Par son ambition inégalée dans la carrière de l'artiste, et plus largement dans l'histoire de l'art, cette œuvre nécessitera bien plus de moyens que ses précédentes. Des financements considérables lui sont alloués par quatre grandes institutions américaines dont, entre autres, le Los Angeles County Museum of Art et le MoMA de New York. En 1998, la Triple Aught Foundation est fondée afin d’encadrer exclusivement son édification, veiller à sa préservation au fil de son avancée et après son ouverture. À elle seule, la fondation injectera dans le projet 30 millions de dollars avant qu'en 2015, la région dans laquelle sera délimitée l'œuvre ne fasse partie du Basin and Range National Monument, un espace proclamé par décret présidentiel pour ses incomparables ressources géologiques, naturelles, culturelles et également scientifiques. Autant d'étapes qui contribueront à l'accélération du projet pour l'artiste, qui depuis plusieurs décennies possède son propre ranch dans le Nevada.

Complex One, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Mary Converse Complex One, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Mary Converse
Complex One, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Mary Converse

Bien que Michael Heizer ait continué à réaliser quelques peintures et sculptures depuis les années 90, l'ampleur colossale du projet City l'a amené à y consacrer presque exclusivement son temps de création au fil de ces trois dernières décennies. Construites à partir de terre, de roche et de béton extraits dans la région, conformément aux principes phares des artistes du land art, les sculptures monumentales qui la composent s’inspirent de la géométrie trapézoïdale d’anciens temples pré-colombiens, et rappellent également, par leur organisation et leur matière bétonnée, l'architecture brutaliste d'une ville moderne. Longue de 2,4 kilomètres et larges de 1,6 kilomètres, la surface totale de l'œuvre est composée de grandes esplanades parfois laissés vides, semblables aux pistes d'atterrissage d'une base spatiale, bordés de murets droits ou courbés qui délimitent chaque espace. Disposés ci et là, les édifices clairs aux tonalités grises, beige et ocre s'intègrent parfaitement à leur environnement, reflétant le soleil éblouissant qui baigne quotidiennement la région tout en rappelant le sable et les pierres du désert qui les entoure.

 

Mais l'artiste n’est pas le premier, ni le dernier, à faire de grandes étendues arides le décor de ses œuvres : en 1977, une autre figure incontournable du land art, Walter de Maria, remplit un grand plateau désert de poteaux en acier pour attirer la foudre. Intitulée The Lightning Field, l'œuvre invite les visiteurs à passer la nuit dans une cabane au milieu de ce champ en espérant qu'un orage viendra activer cet immense paysage métallique. Vingt ans plus tard, en 1997, les artistes Danae Stratou, Alexandra Stratou et Stella Constantinides, qui s'inscrivent également dans ce courant artistique, conçoivent Desert Breath en Égypte : une spirale de trois cent mètres, sculptée dans la roche désertique. Bien que menacée par l'érosion, l'œuvre existe toujours à ce jour. Au-delà des artistes du land art, les environnements désertiques ont depuis souvent accueilli d’immenses structures artistiques, impossibles à réaliser ailleurs. À ce titre, le projet Desert X invite par exemple tous les deux ans des artistes contemporains (tels que Judy Chicago, Alicja Kwade ou Oscar Murillo) à créer des œuvres monumentales dans les déserts de Californie et même, il y a quelques mois, d’Arabie Saoudite. 

45°, 90°, 180°, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Joe Rome 45°, 90°, 180°, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Joe Rome
45°, 90°, 180°, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Joe Rome

Malgré ces différents et ambitieux projets, celui d'une ville toute entière déployée sur plus de deux kilomètres, conçue à l’initiative d’un seul et même artiste, est une première dans l'histoire de l’art. Construite à la charnière du 20e et du 21e siècle, City est à la hauteur de l’importance de la carrière de Michael Heizer, tant dans les années 1970 qu’aujourd’hui. Édifiée sur le sable du Nevada, cette immense cité-sculpture n'a rien à envier aux décors des films de science-fiction Dune ou même Star Wars car, contrairement aux structures réalisées pour le cinéma, l'œuvre de l'artiste se destine à une expérience physique et totalement immersive. Ouverts au public à partir du 2 septembre prochain, les espaces circulaires et les édifices anguleux de la City resteront néanmoins inhabités : seuls six visiteurs par jour seront autorisés à animer la ville imaginée par l’artiste. À l'image du paysage naturel qui l'entoure, l'œuvre perdue dans le désert n'a ni début ni fin, et est destinée à se visiter “à l’instinct”. Seule restriction imposée : la réservation de sa visite bien en amont, les places (au tarif de 150 dollars) étant limitées afin de préserver l’œuvre et son environnement. 

 

 

Michael Heizer, City (1972-2022), ouverture au public le 2 septembre dans le désert du Nevada, États-Unis. tripleaughtfoundation.org