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02 Strip-tease, militantisme et art contemporain, rencontre avec Cecilia Bengolea

Strip-tease, militantisme et art contemporain, rencontre avec Cecilia Bengolea

ART & DESIGN

Installée à Paris, l'Argentine Cecilia Bengolea concentre son travail autour de la danse. Elle s’est notamment fait remarquer avec ses sculptures “animées” et ses collaborations avec des artistes comme Dominique Gonzalez-Foerster. Rencontre. 

Vue de la performance “Sylphides” (2009) de Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Credits photo Alain-Monot. Vue de la performance “Sylphides” (2009) de Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Credits photo Alain-Monot.
Vue de la performance “Sylphides” (2009) de Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Credits photo Alain-Monot.

Cecilia Bengolea est née en 1979 en Argentine mais vit à Paris depuis 2001. Avant d’obtenir son diplôme en philosophie et en histoire de l’art a l’université de Buenos Aires, elle a étudie avec Guillermo Angelelli, disciple d’Eugenio Barba, le maître de l’anthropologie théâtrale. En arrivant en France, c’est avec Mathilde Monnier qu’elle précise sa pratique centrée sur la danse contemporaine, mais toujours inspirée par les danses de rue dans une version ethnologique. Ragga, hip-hop, dancehall, Cecilia Bengolea danse tout, sur toutes les musiques, et chausse même parfois des pointes de ballet classique. Mais si elle a fondé, avec François Chaignaud, une compagnie au nom difficile à prononcer – Vlovajob Pru –, elle collabore également avec des artistes contemporains. À la Biennale de Lyon en 2015 et à celle de Sao Paulo en 2016, on a pu voir ses vidéos réalisées avec Jeremy Deller. Plus récemment, elle a aussi contribué aux performances de Dominique Gonzalez-Foerster. Cette relation aux arts plastiques est naturelle pour elle, puisqu’elle conçoit la danse comme de la sculpture “animée”, souvent avec humour. Ce fut le cas, par exemple, dans sa pièce inspirée par la boxe thaïe, présentée début 2017 lors de la manifestation Elevation 1049 à Gstaad. Dans cette performance, elle dansait en combinaison de Fantômette techno fluo sur une piste de ski faisant office d’écran vidéo sur lequel étaient projetées des images lumineuses et mouvantes. 

 

Numéro : De quelle façon le contexte dans lequel vous avez évolué vous a-t-il influencée ?
Cecilia Bengolea :
En Argentine, le cinéma, le théâtre et la littérature sont des disciplines prolifiques, mais pas la danse. À 18 ans, j’ai fait un voyage de réflexion dans le nord de l’Argentine où j’ai rencontré des tribus indigènes. Elles ont procédé à des rituels pour m’aider à savoir ce que je voulais faire. Des rituels avec du feu, des serpents, des champignons, des branches d’arbres.

 

Vous considérez-vous comme une chorégraphe, une danseuse, une performeuse ou une artiste ?
La danse est un moyen d’expression à l’intérieur d’une structure : la chorégraphie. J’aime avoir des idées chorégraphiques, mais aussi laisser la danse parler librement, sans chorégraphie. Dans mes vidéos, je peux montrer la danse sous un angle différent de celui que j’aborderais dans une galerie ou dans une performance, où il s’agit d’abord de partager une expérience avec un public. J’ai choisi la danse car elle me semblait le médium le plus immédiat pour communiquer.

 

 

“À cette époque, je faisais du strip-tease aux Champs- Élysées pour gagner ma vie...”

 

Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Credits photo Jean-Marie Legros. Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Credits photo Jean-Marie Legros.
Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Credits photo Jean-Marie Legros.

Quels artistes vous ont influencée ?

Les danseurs et les danseuses de la Jamaïque : Dancing Rebel, Black Eagles, Oshane Overload Skankaz, Dhq Nickeisha, Michael Clark – surtout dans le film Hail the New Puritan, le livre Ma philosophie de A à B d’Andy Warhol, mais aussi Dominique Gonzalez-Foerster pour les dialogues que j’ai eus avec elle, sans oublier George Condo, notamment à travers ses anecdotes avec Keith Haring et ses blagues.

 

 

“Il nous est apparu que les prostitués et les danseurs avaient beaucoup de choses en commun, comme travailler avec leurs fluides corporels, le plaisir, la souffrance, la notion de limites...”

 

 

On connaît vos sculptures “animées”, comment sont-elles apparues dans votre travail et que représentent-elles ?

Beaucoup d’enfants ont des idées animistes. Moi aussi, enfant, j’avais l’intuition que les pierres détenaient un savoir sur le monde. Plus tard, en 2009, j’ai créé une pièce avec François Chaignaud dans laquelle figuraient plusieurs corps enfermés sous vide dans des sacs en latex. Dans cette pièce, les corps devenaient des objets fétiches, et j’ai eu soudainement conscience d’être une sculpture animée. D’ailleurs, lorsque j’ai commencé mes performances à Paris, en 2004, je faisais du strip-tease, et le fait de me changer tous les soirs en un objet érotique était un grand bonheur. Cette capacité à me dédoubler me donnait un pouvoir spécial : j’étais à la fois un objet et un sujet maître de ses rencontres. 

Cecilia Bengolea et François Chaignaud, “Danses Libres”. Credits photo Laurent Paillier Cecilia Bengolea et François Chaignaud, “Danses Libres”. Credits photo Laurent Paillier
Cecilia Bengolea et François Chaignaud, “Danses Libres”. Credits photo Laurent Paillier

Vous avez fondé une compagnie avec François Chaignaud : Vlovajob Pru. Que signifie ce nom ?
Vlovajob Pru n’a pas de signification. Mais peut-être “vlova” fait-il penser à “vulva”, “job” à “travail” et “pru” à une variante humoristique de “pro”. J’ai rencontré François en 2004, à Pigalle, dans une manifestation de sex workers qui luttaient pour leurs droits sociaux. À cette époque, François écrivait un livre sur l’histoire du féminisme, je faisais du strip-tease aux Champs- Élysées pour gagner ma vie, mais aussi parce que je menais des recherches sur les danses érotiques et la conscience sociale des objets sexuels. Il nous est apparu que les prostitués et les danseurs avaient beaucoup de choses en commun, comme travailler avec leurs fluides corporels, le plaisir, la souffrance, la notion de limites...

 

Récemment, vous avez présenté une œuvre à la Dia Art Foundation Beacon, à New York. Quelle est l’importance de la vidéo dans votre pratique ?

Avec François, nous avons en effet été en résidence à la Dia Art Foundation Beacon pendant deux ans, et, en mai 2017, nous avons présenté une série de performances filmées durant trois semaines dans le sous-sol avec l’œuvre Fence de Dan Flavin.

Si la performance s’inscrit dans l’ici et maintenant, la vidéo et la photo m’intéressent, elles, pour leur côté “archives”. Lorsque nous dansons dans la rue, en Jamaïque, il n’est pas possible de transposer ce contexte spécifique dans une galerie ou dans un théâtre. Dans la vidéo ou la photo, les relations entre les corps et leur environnement font partie intégrante de l’œuvre.

 

Y a-t-il quelque chose en particulier que vous souhaitez transmettre à travers vos productions ?
J’aimerais transmettre aux gens l’envie de danser, car la manière de danser d’une personne révèle sa personnalité. Cette discipline nous connecte directement à nos émotions. Elle possède la faculté de nous ouvrir aux autres, de faciliter l’empathie.