On l’avait remarqué comme réalisateur virtuose à Cannes en 2015. Son premier long-métrage Ni le ciel ni la terre était alors sélectionné à la Semaine de la critique et nommé pour la Caméra d’or. Mais c’est bien en tant qu’artiste contemporain que Clément Cogitore a été couronné récemment du prix Marcel Duchamp 2018. Invité du Palais de Tokyo (en 2011, 2016 et 2018 !) comme des César où il a concouru dans la catégorie du meilleur premier film, le Français de 33 ans navigue avec aisance entre les eaux de l’art et du cinéma. Il est en effet l’un des rares artistes contemporains à avoir transformé l’essai sur grand écran, mobilisant pour Ni le ciel ni la terre un budget de 2,5 millions d’euros, un casting solide emmené par Jérémie Renier, un scénario haletant (des soldats français disparaissent mystérieusement la nuit dans une vallée afghane) et une mise en scène précise.
“On croit que c’est vrai parce qu’on l’a déjà vu dans un film. Nous assistons à une fascinante perversion du réel par la fiction.”
Mais qu’il s’agisse d’art ou de cinéma, les films de Clément Cogitore partagent un même aspect quasi documentaire. Que les images soient tournées, semblent trouvées ou issues d’archives, tout a l’air vrai. Dans son court-métrage Bielutine (2011), le Français filme ainsi deux collectionneurs de 80 ans dans un appartement moscovite en forme de tombeau aux merveilles. Entre des toiles d’araignée, un corbeau et un chat, on découvre les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art : Titien, Véronèse, le Greco, Léonard de Vinci… “Le film ne dit jamais ouvertement que ce sont des mythomanes, même si je sais, en tant que réalisateur, que 80 % de ce qui est dit à la caméra est faux. Au spectateur de s’interroger sur ce qui est vrai, ce qui est faux et sur ce qu’il accepte de croire.”
Le rapport du spectateur au vrai et à ce qu’il est prêt à croire semble être, d’ailleurs, une source intarissable de surprise pour l’artiste. “Lorsque j’ai fait relire le scénario de Ni le ciel ni la terre, se souvient Cogitore, des scènes de guerre ont paru totalement irréalistes aux lecteurs. Pourtant, elles étaient inspirées par des récits que des officiers de terrain m’avaient faits. J’ai alors compris quelque chose de très amusant. Le public croit à votre histoire non pas en fonction de sa proximité avec la réalité – celle de la guerre par exemple, mais en fonction des films qu’il a déjà vus sur le sujet et de l’idée qu’il s’est faite de la guerre au cinéma. On croit que c’est vrai parce qu’on l’a déjà vu dans un film. Nous assistons à une fascinante perversion du réel par la fiction.”