Alors que Paris entame sa grande semaine de l'art, la nouvelle est tombée ce mardi 18 octobre en fin de journée : la peintre Dora Jeridi remporte cette année la Bourse Révélations Émerige, succédant à son dernier lauréat Hugo Capron. Puisant dans la richesse de l’histoire de l’art, la pratique de la jeune Française diplômée des Beaux-arts de Paris se situe à la croisée des influences. Des formats monumentaux de ses diptyques hérités de la peinture classique à la place centrale que joue la narration dans ses toiles, témoignant notamment de sa fascination pour l’œuvre de l’artiste Paula Rego, l’artiste âgée de 34 ans livre une œuvre hybride sur le plan technique. Sa pratique combine en effet peinture à l’huile et dessin au pastel, qui se superposent dans une explosion de formes, de couleurs et de matière. On pense au geste des maîtres espagnols Vélazquez et Goya, et bien sûr aux explorations tourmentées de la figure humaine par le peintre britannique Francis Bacon.
Au sein de l'exposition “Douze preuves d'amour” des finalistes de la neuvième édition de la Bourse Révélations Émerige, présentée dans un ancien garage du quinzième arondissement parisien sous le commissariat de Gaël Charbau, Dora Jeridi présente depuis début octobre plusieurs de ses travaux qui matérialisent l’émotion avec brio, de l’effroi au désespoir. Sur son diptyque Les mangeurs d’images 1 (2022), un homme agenouillé au visage presque effacé tient dans ses mains un ouvrage sur le pan de gauche. S'inscrivant dans la tradition picturale figurative, cette scène réalisée à la peinture à l’huile dialogue avec, à sa droite, un dessin au pastel où l'artiste trace énergiquement les contours d’un corps s’échappant du tableau. À travers cette œuvre, l’artiste témoigne de sa maîtrise simultanée de deux gestes très différents mis en miroir, qui traduisent chacun une forme particulière d'expressivité. Le nuage brouillé sombre qui s’échappe du visage d’une figure humaine dans la peinture Les cris aveugles 3 (2021) semble quant à lui matérialiser un cri pris dans le silence de la toile.
Tremplin d’envergure pour les artistes émergents, la Bourse Révélations Émerige a été créée en 2014 par le promoteur immobilier parisien afin d’affirmer son soutien à la jeune création contemporaine française. Chaque année, elle parraine un artiste choisi en lui fournissant un atelier, la somme de 15 000 euros et l'accompagnement par une galerie française dans la préparation d'une exposition personnelle. Pour cette neuxième édition, c’est Alex Mor et Philippe Charpentier, fondateurs de la galerie Mor Charpentier située entre Paris et Bogota, qui montreront le travail de Dora Jeridi. En parallèle du prix, les œuvres des 12 artistes sélectionnés dialoguent cette année dans une exposition pensée comme une déclaration d’amour. Dans l’espace d’exposition, les sculptures textiles de Nefeli Papadimouli rencontrent ainsi les installations monumentales mêlant bas-reliefs et tiges d’acier de l’artiste Paola Siri Renard. Distingué hier soir par le Prix spécial du Jury, l’artiste Valentin Ranger y propose quant à lui une installation renversante composée de films, dessins et costumes en latex où se mêlent des corps hybrides et colorés issus d'un univers 3D onirique dans une célébration presque euphorique du désir. Mais sur l'un des écrans placés à l'entrée de cette alcôve aux airs de cabinet, la vidéo Meta Hospital apporte un contrepoint à cette extase édénique : on y découvre une salle d’attente aseptisée où ces silhouettes flamboyantes se succèdent pour apprendre leur diagnostic, dans une atmosphère indéniablement plus anxiogène.
