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26 Qui est Jiab Prachakul, la peintre qui décalque les visages ?

Qui est Jiab Prachakul, la peintre qui décalque les visages ?

Numéro art

Le 5 mai dernier, Jiab Prachakul se voyait décerner le premier prix du BP National Portrait Awards pour son portrait “Night Talk”, aujourd’hui exposé à la National Portrait Gallery de Londres. Depuis près de quinze ans, cette artiste thaïlandaise part à la recherche de visages, de corps et d’expression reflétant un univers nostalgique où elle explore les liens et l’intimité qui se créent entre les gens et leur environnement. À travers la toile mais aussi le textile, elle nous offre un regard pluriel oscillant entre art, mode et design. 

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Pierlavise Garetti est un passionné d’art. La première fois qu’il croise le chemin de Jiab Prachakul, il se trouve aux abords d’un stand au cœur du marché aux puces berlinois de Mauerpark dans lequel la peintre, encore peu connue, vend ses œuvres. Sur ces toiles, l’angle se focalise sur un ou plusieurs protagonistes, souvent en position assise, le visage apaisé et le regard perdu dans les limbes de leurs pensées. L’artiste d’origine thaïlandaise y dresse le portrait d’hommes et femmes du quotidien, extraits pendant un instant du mouvement de leur vie. A travers des scènes dans des bars, des salons, des appartements, elle entre au plus profond de l’intimité de ses modèles et révèle avec des tons froids et doux la chaleur de chaque personnalité.  

 

C’est depuis le salon fleuri de son appartement lyonnais où elle vit depuis deux ans que Jiab Prachakul se confie désormais sur les rencontres amicales, professionnelles ou même fortuites qui ont donné naissance à ses œuvres. Celle avec le galeriste Pierlavise en fait partie et donna lieu en 2019 au grand tableau Portrait of Pierlavise, accroché aujourd’hui sur le mur derrière l’artiste. À 41 ans, cette dernière se remémore la jeune femme qu’elle était loin des pinceaux et des huiles, alors qu’elle étudiait encore le journalisme, le cinéma et la photographie à l’Université de Thammasat à Bangkok : “Après mes études, j’ai travaillé pendant trois ans en tant que directrice de casting pour une agence de production à Bangkok. Je dénichais des talents, des auras, des visages qui se démarquaient d’une foule d’inconnus. Aujourd’hui encore je mets à profit ces compétences dans mon travail de peintre”. Repérage de modèles, entretiens filmés, ébauches des silhouettes, Jiab Prachakul documente avec détail l’histoire de ses modèles, leur centre d’intérêts, leur attitude, leur façon de s’habiller, s’exprimer et de vivre, afin de proposer des portraits vivants et chargés en souvenirs intimes.

“Portrait of Pieralvise” (2019), huile sur toile, 150 x 180 cm. Courtesy of the artist. “Portrait of Pieralvise” (2019), huile sur toile, 150 x 180 cm. Courtesy of the artist.
“Portrait of Pieralvise” (2019), huile sur toile, 150 x 180 cm. Courtesy of the artist.

Peindre l’intime pour raconter la rencontre

 

A l’âge de 26 ans, Jiab Prachakul quitte Bangkok et la direction de casting pour Londres, afin de “se trouver”. Alors qu’elle se rend à la National Portrait Gallery, elle tombe nez à nez avec les toiles de David Hockney lors d’une rétrospective consacrée à l’artiste : un choc esthétique se produit, qui marquera dans sa vie un tournant majeur. Dès lors, la jeune femme décide de se consacrer à la pratique de la peinture et choisit de revisiter la longue et classique tradition, non pas dans une modeste adaptation mimétique des grands maîtres, mais en jouant sur les matériaux et en choisissant des modèles à l’image du monde actuel. Sa toile Night Talk (2019) met par exempleen scène deux amis proches de la peintre, la designer coréenne Jeonga Choi et le compositeur japonais Makoto Sakamoto, dans un bar berlinois où Jiab Prachakul avait pour habitude de se rendre alors qu’elle vivait dans la capitale allemande. C’est ce moment d’amitié partagé qui a inspiré ce portrait, tandis que son décor original s’enrichit d’autres objets qui lui sont chers : des pots de fleurs que l’artiste possède.

 

 

Night Talk [estun portrait évocateur d’un moment fuyant dans le temps, nous offrant un regard beau, mystérieux et vivant de la vie d’une personne.”

 

 

Désireuse d’investir d’autres supports afin de diffuser son œuvre, Jiab Prachakul trouve très tôt dans le design et la mode un moyen privilégié d’établir un nouveau rapport à l’objet artistique. Conjointement à son travail de portraitiste, elle lance ainsi à Berlin en 2008 son label de design JIAB, qu’elle qualifie de “marque d’accessoires et de vêtements liés à l’art”. Originellement créés pour figurer dans les boutiques des musées d’art contemporain, afin que les visiteurs puissent avoir un aperçu “ce qui se fait autour d’une œuvre, d’une grande exposition dédiée à un artiste en particulier”, ces accessoires concrétisent la volonté inlassable de la peintre d'illustrer des rencontres avec, ici, des œuvres d’art. À travers ses produits dérivés originaux (sacs, tee-shirts, pochettes personnalisables), chacun peut s’approprier un chef-d’œuvre et l’inclure dans son propre quotidien, dans son histoire personnelle. S’inscrivant également dans une tradition contemporaine du ready-made et des pop shops de Keith Haring, Jiab Prachakul fait donc du portrait un art qui se tient hors des murs pour intégrer le quotidien.

<p>JIAB, Metallic Should Bag.</p>

JIAB, Metallic Should Bag.

<p>JIAB, Crop sweater “Heart” song sleeve orchid white et Clutch bag. </p>

JIAB, Crop sweater “Heart” song sleeve orchid white et Clutch bag. 

Femme discrète, artiste affirmée ?

 

“Discrète, subtile et aimant le calme” : ce sont les mots qu’emploie Jiab Prachakul pour se décrire, et les matériaux qu’elle choisit pour développer son esthétique sont à son image. Au fil des années, l’artiste a façonné sa propre technique de portraits sur papier transparent. Armée de crayons de couleurs et d’un crayon gris utilisé comme fixateur de pigments, elle travaille à produire un effet d’effacement qui donne à ses œuvres une douceur insoupçonnée. Elle fait évoluer ensuite sa technique en utilisant de la peinture à l’huile et des crayons sur papier transparent. “Avec le papier transparent, je peux travailler sur le recto et le verso de mon support et créer différentes couches : les détails les plus subtils se retrouvent au dos de la feuille, tandis que les plus saillants apparaissent sur l’avant. Le papier m’aide en quelque sorte à transférer mes sentiments dans l’œuvre, car c’est un matériau à la fois délicat et riche, et je me retrouve dans cela en tant que peintre femme”. De cette recherche plastique éclot notamment la série d’autoportraits Seven Blouses (2014), dans laquelle l’artiste apparaît portant sept chemisiers différents sur chaque toile. D’abord dans une esthétique très figurative et auto-descriptive, elle peint méticuleusement les traits de son visage, avec une bouche légèrement colorée qui se détache sur fond blanc cassé et transparent du papier, et prête une attention toute particulière aux chemisiers qu’elle porte, comme si l’objet était l’œuvre en elle-même et non un simple accessoire.

 

 

“Le papier m’aide en quelque sorte à transférer mes sentiments dans l’œuvre, car c’est un matériau à la fois délicat et riche et je me retrouve dans cela en tant que peintre femme

 

 

L’effacement de l’artiste devient toutefois quasi-total dans les derniers autoportraits de cette série, dont Fate (2014). Alors que cette septième et dernière toile de la série s’inspire du roman de l’écrivain japonais Haruki Murakami Kafka sur le rivage (2002) et du personnage de Nakata – un vieillard considéré attardé par la société mais capable de communiquer avec les chats –, Jiab Prachakul prend le parti pris de mettre en avant le chat plutôt qu’elle-même. Il semble que la manière dont l’observateur et l’artiste elle-même se considère n’importe plus. Peu importe son apparence physique, la portée de son regard et la couleur de son chemisier, il s’agit de montrer la façon dont elle se connecte au monde et s’exprime : “c’est ce que représente le chat au premier plan et mon propre effacement”, confie-t-elle.

<p>“Heart Headed” (2014), huile sur papier transparent, 91 x 122 cm. Courtesy of the artist.</p>

“Heart Headed” (2014), huile sur papier transparent, 91 x 122 cm. Courtesy of the artist.

<p>“Fate” (2014), huile sur papier transparent, 91 x 122 cm. Courtesy of the artist.</p>

“Fate” (2014), huile sur papier transparent, 91 x 122 cm. Courtesy of the artist.

La consécration par la National Portrait Gallery

 

Pourtant, le 5 mai dernier, la discrétion de Jiab Prachakul laissait place à sa consécration. Ce jour-là, l’artiste est nommée première lauréate du BP National Portrait Award 2020 pour son portrait Night Talk (2019). Depuis sa création en 1997 par la National Portrait Gallery, ce prix sponsorisé par la compagnie pétrolière BP récompense chaque année les trois meilleurs portraitistes du monde et leur offre un espace d’exposition au sein même du musée. Composé de membres de la direction de la National Portrait Gallery, ainsi que de commissaires d’expositions, d’écrivains et du précédent lauréat du BP Award Benjamin Sullivan, le jury a décelé en Night Talk, “un portrait évocateur d’un moment fuyant dans le temps, nous offrant un regard beau, mystérieux et vivant de la vie d’une personne.” En plus d’une récompense d’un montant de 35 000 livres sterling, la peintre et designer reçoit une opportunité très spéciale : celle de réaliser un portrait qui sera accroché sur les murs de la National Portrait Gallery très prochainement. En capturant de son pinceau un moment précieux à ses yeux, celle qui quinze ans plut tôt longeait rêveuse les couloirs du musée londonien verra donc bientôt son œuvre exposée dans sa prestigieuse enceinte. 

“Night Talk” (2019), huile sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy of the artist. “Night Talk” (2019), huile sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy of the artist.
“Night Talk” (2019), huile sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy of the artist.

Retrouver les oeuvres et collections modes de Jiab Prachakul sur le site JIAB.