En 2014, le vernissage de la Biennale du Whitney Museum of American Art n’avait pas encore eu lieu (il fut différé pour cause de chute de neige) que Jordan Wolfson avait déjà été consacré comme l’attraction majeure – révoltante ou enthousiasmante, c’était selon – de cette exposition considérée comme un moment culminant de la vie artistique contemporaine. Consacrée aux artistes américains jeunes ou méconnus, cette manifestation annuelle fondée en 1932, et baptisée Whitney Annual devint biennale à partir de 1973 et marqua un tournant dans la carrière de certains artistes. En 1989, le jeune Jeff Koons (il avait alors 34 ans) s’y fit ainsi fortement remarquer. Presque trente ans plus tard, c’est au tour de Jordan Wolfson, 37 ans, d’éclipser un peu les soixante-deux autres artistes qui exposent avec lui : il faut admettre qu’il emploie la manière forte.
Le second jeune homme est l’artiste lui-même. Muni d’une batte de base-ball, il frappe violemment la tête de celui qui, agenouillé, est ensuite traîné sur la chaussée puis brutalement tabassé dans des giclements de sang.
Au Whitney, c’est simplement avec des casques de réalité virtuelle que Jordan Wolfson attend les spectateurs, un équipement donnant accès au petit film (à peine deux minutes) qui, en quelques jours, est devenu le centre de toutes les conversations. Du New York Times au New Yorker (“Shocking Virtual-Reality Artwork”), la presse américaine prend acte des “réactions d’horreur suscitées par l’œuvre de réalité virtuelle ultra violente de Jordan Wolfson à la Biennale du Whitney” (“All the Horrified Reactions to Jordan Wolfson’s Ultraviolent VR Art at the Whitney Biennial”, titrait le magazine W), et restitue les commentaires des visiteurs. Instructifs, amusants parfois, ils ont finalement à peu près la même valeur que ceux laissés par les clients des hôtels et des restaurants sur le site TripAdvisor : ils en disent souvent plus sur leur auteur que sur ce dont il parle. Mais comme l’expliquait le critique littéraire Arnaud Viviant avec beaucoup d’à- propos : “Le ‘J’aime’ ou ‘Je n’aime pas’ n’est pas le problème du journaliste qui n’est pas dans la satisfaction mais dans la compréhension.”
Qu’y a-t-il donc à comprendre dans ce petit film dont on fait l’expérience grâce à l’utilisation d’une technologie sophistiquée ? À cette légitime interrogation, Wolfson a fait en sorte qu’il n’y ait pas de réponse unique, et laisse le visiteur aux prises avec le fardeau de ce qu’il vient de voir. Un ciel de printemps, tout d’abord et très brièvement, puis le trottoir d’une rue de New York sur lequel est agenouillé un jeune homme en jean et sweatshirt à capuche rouge : il a une curieuse expression. Le second jeune homme en tee-shirt gris qui s’approche de lui est l’artiste lui-même. Muni d’une batte de base-ball, il frappe alors violemment la tête de celui qui, agenouillé, est ensuite traîné sur la chaussée puis brutalement tabassé, toujours par l’artiste lui-même, dans des giclements de sang. Pendant toute la durée de la scène, on entend la voix de l’artiste qui lit les deux bénédictions hébraïques que les juifs récitent pendant Hanoukka.