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25 Mohamed Bourouissa, Portrait, Numéro Homme

Mohamed Bourouissa : la star de l'art s'installe au théâtre

Art

Plasticien franco-algérien, Mohamed Bourouissa questionne les places respectives accordées aux groupes sociaux dominants et dominés, dans les échanges marchands mondialisés et dans les représentations des mass media. Star de l'art contemporain représentée par la galerie Kamel Mennour et aujourd'hui exposée dans les plus grands musées du monde, le quadragénaire qui s'illustre également dans la musique a récemment été invité par le Théâtre de Gennevilliers à investir ses espaces durant les trois prochaines années avec des projets transversaux, mêlant expositions et concerts.

Mohamed Bourouissa, photographié le 12 septembre 2022 au Gropius Bau, Niederkirchnerstraße, Berlin. Combinaison en Re-Nylon et boots, PRADA. Mohamed Bourouissa, photographié le 12 septembre 2022 au Gropius Bau, Niederkirchnerstraße, Berlin. Combinaison en Re-Nylon et boots, PRADA.
Mohamed Bourouissa, photographié le 12 septembre 2022 au Gropius Bau, Niederkirchnerstraße, Berlin. Combinaison en Re-Nylon et boots, PRADA.

Dans une époque obsédée par “l’inclusivité” – qui sert souvent à gagner de nouvelles parts de marché ou à redorer son image sous couvert de préoccupation éthique –, il est bon de se référer au travail et à la démarche de Mohamed Bourouissa pour éclairer sa lanterne quant aux enjeux, réels et profonds, de ce mot. Né en 1978 à Blida, en Algérie, l’artiste qui a grandi à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, se forme à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, puis au Fresnoy.

 

De 2005 à 2008, il développe une série de photographies devenue mythique : Périphérique met à l’honneur ses amis et connaissances dans les banlieues où ils ont l’habitude de se fréquenter. Pour inscrire ces personnes marginalisées dans le champ de vision de la société respectable et légitime, l’artiste met en scène ses modèles selon les codes compositionnels de la grande peinture d’histoire, dans des situations où perce souvent une forme de tension irrésolue. Mieux qu’un long discours, les images majestueuses prennent à rebours les représentations stigmatisantes des “gens des quartiers” diffusées à longueur de journée par les mass media. La série, couronnée à sa sortie par le prix Off des Rencontres de la photographie d’Arles, s’est vu récemment offrir une publication par la maison d’édition Loose Joints, incluant de nouvelles images. Puis après une très belle exposition au musée d’Art moderne de Paris en 2018, l’artiste se voit proposer en 2019 la réalisation d’une campagne Louis Vuitton par Virgil Abloh : “J’ai accepté parce que c’était Virgil. Il a apporté un nouveau souffle dans la mode en ouvrant des portes, et aujourd’hui, grâce à lui, des lignes ont bougé, peut-être pas dans la société en général mais dans le domaine de l’image, de la direction artistique et des représentations.

 

Outre la photographie, les médiums via lesquels s’exprime Mohamed Bourouissa incluent également le dessin, la sculpture, la vidéo, les installations et, plus récemment, la musique et le sound design. Représenté par la galerie Kamel Mennour, il a été nommé pour le prix Marcel Duchamp en 2018, et ses œuvres sont présentes dans les collections des plus grands musées tels que le LACMA, le Stedelijk Museum, le Centre Pompidou ou le musée d’Art moderne de Paris. Qu’il s’agisse des détenus avec lesquels il réalise la vidéo Temps mort en 2008 et 2009, rendant compte du quotidien d’une structure carcérale, des cavaliers afro- américains du Fletcher Street Urban Riding Club à Philadelphie qu’il a rencontrés pour son projet intitulé Horse Day, ou encore de la communauté de Gennevilliers, où il réside, l’art de Mohamed Bourouissa implique de renégocier et de remettre à plat, à chaque nouveau projet, les positions respectives de l’artiste et de ses “sujets”. Se méfiant des rapports verticaux, de la confiscation de la parole et de l’autorité accordée d’emblée à tout(e) artiste s’exprimant au sein de la culture “légitime”, le Franco-Algérien préfère collaborer avec des personnes au terme d’une longue période d’immersion en leur compagnie plutôt que de plaquer un discours sur elles.

 

Artiste invité pour trois ans au Théâtre de Gennevilliers, il a exposé sur place ses photographies mais aussi convié des musiciens et des rappeurs locaux à participer à des soirées. “C’est important pour moi de rester populaire. Mon art est conceptuel, mais il se greffe sur de nombreux contextes, et je construis des relations avec mes collaborateurs sur du long terme.” Rétif à toute démagogie et à toute simplification, l’artiste élabore des questionnements complexes, notamment sur le statut des plantes dont il étudie l’activité électrique, qu’il traduit en musique. Cette recherche sur le végétal participe d’une pensée sur le sort de tous les organismes vivant au sein d’un système d’échanges marchands mondialisés. “Or, pour comprendre la globalisation, qui implique l’idée de s’approprier des territoires, il faut prendre en compte la colonisation. La problématique coloniale est présente dans mon travail, mais il ne se résume pas à cela.” Mohamed Bourouissa pratique l’art de la nuance. Une qualité qui rend son œuvre aujourd’hui absolument cruciale.