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Scott Kahn : comment Instagram a révélé un grand peintre de 70 ans

Art

L'œuvre de Scott Kahn est marquée par l'omniprésence de la nuit, à travers des paysages oniriques qu’il peint de mémoire, où s’entremêlent le rêve et la réalité pour livrer un récit romancé de sa vie. Un artiste américain longtemps méconnu avant d'être redécouvert en 2017, grâce à Instagram, à l'âge de 71 ans et au sommet de son talent.

  • Scott Kahn, “Doorways” (1988). Huile sur lin, 167,6 x 198,1 cm.

    Scott Kahn, “Doorways” (1988). Huile sur lin, 167,6 x 198,1 cm. Scott Kahn, “Doorways” (1988). Huile sur lin, 167,6 x 198,1 cm.
  • Scott Kahn, “Seaview” (2007). Huile sur lin, 50.8 x 43.2 cm 20 x 17 in (SCK0009)

    Scott Kahn, “Seaview” (2007). Huile sur lin,  50.8 x 43.2 cm 20 x 17 in (SCK0009) Scott Kahn, “Seaview” (2007). Huile sur lin,  50.8 x 43.2 cm 20 x 17 in (SCK0009)
  • Scott Kahn, “Waning Moon” (2021). Huile sur lin, 61 x 71.1 cm 24 x 28 in (SCK0012)

    Scott Kahn, “Waning Moon” (2021). Huile sur lin, 61 x 71.1 cm 24 x 28 in (SCK0012) Scott Kahn, “Waning Moon” (2021). Huile sur lin, 61 x 71.1 cm 24 x 28 in (SCK0012)
  • Scott Kahn, ”In the Night” (1986). Huile sur lin, 157.5 x 172.7 x 2.5 cm; 62 x 68 x 1 in (unframed)

    Scott Kahn, ”In the Night” (1986). Huile sur lin, 157.5 x 172.7 x 2.5 cm; 62 x 68 x 1 in (unframed) Scott Kahn, ”In the Night” (1986). Huile sur lin, 157.5 x 172.7 x 2.5 cm; 62 x 68 x 1 in (unframed)
  • Scott Kahn, ”Sunset Over Longboat Key” (1995). Huile sur lin, 111.8 x 137.2 cm 44 x 54 in (SCK0043)

    Scott Kahn, ”Sunset Over Longboat Key” (1995). Huile sur lin, 111.8 x 137.2 cm 44 x 54 in (SCK0043) Scott Kahn, ”Sunset Over Longboat Key” (1995). Huile sur lin, 111.8 x 137.2 cm 44 x 54 in (SCK0043)
  • Scott Kahn, “Family Portrait” (1985). Huile sur lin, 198.1 x 198.1 cm 78 x 78 x 1 3/8 in (SCK0004)

    Scott Kahn, “Family Portrait” (1985). Huile sur lin, 198.1 x 198.1 cm 78 x 78 x 1 3/8 in (SCK0004) Scott Kahn, “Family Portrait” (1985). Huile sur lin, 198.1 x 198.1 cm 78 x 78 x 1 3/8 in (SCK0004)
  • Scott Kahn, “The Walled City” (1988). Huile sur lin, 81.3 x 91.4 cm; 32 x 36 x 1 1/2 in (unframed)

    Scott Kahn, “The Walled City” (1988). Huile sur lin, 81.3 x 91.4 cm; 32 x 36 x 1 1/2 in (unframed) Scott Kahn, “The Walled City” (1988). Huile sur lin, 81.3 x 91.4 cm; 32 x 36 x 1 1/2 in (unframed)

Courtesy of the artist and Almine Rech.

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Scott Kahn : la redécouverte d'un peintre à plus de 70 ans

 

 

Ce fut juste un voyage incroyable et très inhabituel. Parce que je suis toujours en vie”, confiait récemment Scott Kahn, aujourd’hui âgé de 76 ans, bien vivant en effet, dont le voyage fut loin d’être conventionnel – et prit ces dernières années un virage spectaculaire. Ce n’est pas une surprise, il n’y a pas de modèle pour une carrière artistique, et le succès critique et commercial, qui ne sont pas forcément synchronisés, n’adviennent pas nécessairement selon une feuille de route claire et organisée. L'artiste américain en fit l’expérience flagrante quand, après presque quarante ans de succès critique sans effusion et un succès commercial plus que modeste (il vendit bien ses tableaux, mais pour des sommes modiques), son travail fut subitement l’objet d’un emballement phénoménal. En effet, il suffit désormais d’un simple post Instagram pour attirer l’attention sur telle ou telle œuvre et propulser un artiste dans les sphères malignes de l’engouement du milieu de l’art et de son marché : pour Scott Kahn, cette redécouverte a tenu à la mention de son nom par un artiste de quarante ans son cadet. Il est étonnant de prendre aussi tardivement connaissance de l’importance de cette œuvre compacte et patiemment construite. Quarante années de peinture qui soudain s’imposent à nous dans toute leur fantaisie et leur adéquation aux goûts du jour, parce que les goûts évoluent, évidemment, et que tout d’un coup on regarde dans d’autres directions.

 

Lorsqu’elle prit corps dans les années 80, la peinture de Scott Kahn, figurative, s’établit aux confins du “réalisme magique”, qui combine des éléments de réalité avec des éléments de fiction et de fantaisie pure, plus oniriques que réels. Bien que les années 80 aient vu toutes sortes de façons de peindre s’imposer (la Bad Painting, le néo-expressionnisme, la figuration libre, la trans-avant-garde...) – et nombre d’expositions aujourd’hui historiques en faire le constat (“A New Spirit in Painting”, Royal Academy, Londres, 1981) –, le “réalisme magique” en fut écarté, et l’œuvre de Kahn avec lui. “Je pense que, dans l’art, l’essentiel est d’être soi- même et de ne pas se voir résumé à des catégories ou à des mouvements”, note-t-il. S’il fréquenta Mark Rothko et les expressionnistes abstraits, ses personnages hiératiques et presque naïfs, ses paysages oniriques minutieux aux détails maniaques évoquant aussi bien le Douanier Rousseau que David Hockney ou Magritte, ne semblèrent pas précisément au goût du jour de ce “retour à la peinture”. Mais quarante années plus tard, au bénéfice d’un nouveau “retour à la peinture” qui valide désormais tous les styles (et aussi, probablement, d’un marché en pleine forme qui cherche partout de nouveaux produits), son œuvre s’est brusquement installée au premier plan. Il faut s’en réjouir, et apprécier à sa juste valeur l’opportunité de la rencontrer.

Scott Kahn, “The Walled City” (1988). Huile sur lin, 81,3 x 91,4 cm. Courtesy of the artist and Almine Rech. Scott Kahn, “The Walled City” (1988). Huile sur lin, 81,3 x 91,4 cm. Courtesy of the artist and Almine Rech.
Scott Kahn, “The Walled City” (1988). Huile sur lin, 81,3 x 91,4 cm. Courtesy of the artist and Almine Rech.

Scott Kahn est né en 1946 à Springfield, dans le Massachusetts. Celui qui obtint sa licence en art à l’université de Pennsylvanie, puis décrocha au début des années 70 un master en beaux-arts à l’université Rutgers du New Jersey, se considère volontiers comme un autodidacte : “On peut considérer que les artistes en général sont autodidactes dans la mesure où, quelle que soit l’éducation qu’ils reçoivent, finalement, pour trouver leur voix, leur voix unique, ils doivent se débarrasser de leur éducation. Je pense que la démarche à suivre pour n’importe qui, pour n’importe quel artiste ayant un minimum de consistance, c’est de rejeter les maîtres, comme l’a dit Alexander Brook. La chose que je considère vraiment profitable dans le fait d’aller à l’école, de recevoir une éducation, c’est d’obtenir des compétences techniques. Mais, en définitive, l’objectif dont j’ai vraiment pris conscience autour de 20 ans est celui-ci : vous devez trouver votre nature artistique unique.” Il crut, au sortir de ses études, avoir trouvé sa “nature artistique” dans la peinture abstraite. “Je n’étais pas encore conscient du besoin que j’avais de voir mon travail refléter ma vie et les circonstances de ma vie. Il m’a fallu plusieurs années pour le comprendre.

 

 

“Je considère mon travail comme un journal intime visuel, un enregistrement de ma vie.”

 

 

Mais cette nature s’imposa à lui, dans les années 80, sous d’autres traits, figuratifs cette fois, tandis que se formait en lui la conviction qu’une œuvre doit avoir des liens étroits avec la vie de son auteur, et qu’il doit la documenter à sa manière, comme une sorte de journal intime. “Je considère mon travail comme un journal intime visuel, un enregistrement de ma vie, un reportage sur les lieux et les personnes que je rencontre. Il n’est pas facile de commencer une peinture, malgré la diversité et la complexité du monde. Il est important pour moi d’avoir une raison de peindre, que l’élan soit puissant. Si je ne me sens pas happé moi-même par mon travail, comment puis-je espérer qu’il provoque une réaction chez le spectateur ? Si je réussis dans mon entreprise, ce qui est souhaitable, une profondeur, une poésie et une forme d’honnêteté émaneront de ma toile. L’impact doit être immédiat. Pour parvenir à ce résultat, une personne créative fait appel à tous les outils à sa disposition : techniques, émotionnels, intuitifs et intellectuels. L’acte de créer nous apprend donc qui nous sommes et nous révèle notre propre rapport à la vie. C’est la raison pour laquelle je peins.

 

 

Des peintures pensées comme un journal poétique 

 

 

Les tableaux de Scott Kahn ne sont pas un journal littéral, avec informations et événements, mais un journal poétique exprimant une réalité à un moment précis, sous les traits d’un paysage, d’un portrait, d’un intérieur. Ceux-ci sont réalisés “de mémoire”, et laissent la porte ouverte aux bizarreries de toutes sortes aperçues en rêve. Est-ce pour cela que la nuit est l’un des sujets récurrents de Kahn ? Son œuvre est ponctuée de paysages nocturnes féeriques où trônent des lunes orangées... “L’hiver s’empare du paysage et, au clair de lune, nous regardons les ombres par la fenêtre. Aucun son ne trouble la nuit. Aucun mouvement ne brise l’immobilité, tout est glace et désolation...”, écrit dans un poème son compagnon, le poète et dramaturge Frederick Kirwin : celui-ci apparaît dans deux peintures de Kahn, en 1987 et en 2015. “Je peins dans la chambre d’apparat d’une vieille demeure de 1905”, indique Scott Kahn, qui évoque la maison qu’il occupe à New Rochelle, dans la banlieue nord de New York, une ville avec front de mer et presque 100 hectares de jardins publics – et il est tentant d’y voir la source de tant de peintures de Kahn figurant des paysages marins et des parcs aux arbres bien ordonnés. Les plus grands tableaux sont réalisés dans son atelier de Brooklyn, et Kahn exposa régulièrement à New York. Pendant vingt-cinq ans, la galerie Katharina Rich Perlow lui offrit des expositions personnelles et vendit son travail pour des sommes qui n’ont rien à voir avec sa cote actuelle.

Scott Kahn, “Waning Moon” (2021). Huile sur panneau, 61 x 71,1 cm. Courtesy of the artist and Almine Rech. Scott Kahn, “Waning Moon” (2021). Huile sur panneau, 61 x 71,1 cm. Courtesy of the artist and Almine Rech.
Scott Kahn, “Waning Moon” (2021). Huile sur panneau, 61 x 71,1 cm. Courtesy of the artist and Almine Rech.

Une entrée à succès dans le marché de l'art, soutenue par Almine Rech

 

 

Comme c’est désormais fréquemment le cas, les réseaux sociaux modifièrent de façon substantielle l’intérêt porté à sa peinture. C’est sur Facebook qu’il commença il y a quelques années une correspondance avec le jeune peintre Matthew Wong qui, dans une interview en novembre 2018, cita Scott Kahn comme l’une de ses références en peinture (en compagnie de rien de moins que Vincent Van Gogh, Alex Katz et Yayoi Kusama). Wong fit l’acquisition d’une peinture de Kahn, Cul de sac (2017), et la posta sur Instagram. “Cela a déclenché une arrivée massive de personnes sur mon profil et des gens ont commencé à passer la porte de mon studio à Dumbo – de grands collectionneurs, des galeries, d’autres artistes. C’était non-stop et, jusqu’à présent, ça n’a pas faibli.” En juillet 2021, la galeriste Almine Rech annonça qu’elle représentait désormais Kahn dans le monde. Elle ouvrit à peine quatre mois plus tard une exposition de Kahn dans sa galerie parisienne de l’avenue Matignon. Lorsque, deux semaines après, son tableau Cadman Plaza (2002), une huile sur toile de 157,5 sur 193 cm passa en vente aux enchères chez Phillips à Hong Kong, l’estimation de 130 000 dollars fut pulvérisée par une adjudication à un peu moins de 1 million de dollars, et le 26 mai 2022, chez Christie’s Hong Kong, Big House, Homage to America (2012) fut adjugée 1,4 million de dollars.

 

Scott Kahn envisage avec philosophie le nouveau tournant pris par sa carrière. “On espère toujours ne pas mourir dans un atelier rempli de peintures. J’ai de la chance parce que maintenant les miennes sont à l’extérieur, dispersées dans le monde”, dit-il. Il se souvient aussi avec un peu de malice des collectionneurs qui firent bien avant tout ça l’acquisition de  ses toiles. “Beaucoup sont désormais bien plus âgés, comme je le suis, et peut-être qu’ils cherchent à réduire leur train de vie, ou que leurs enfants quittent le nid et qu’ils prennent leur retraite. Ça ne m’étonnerait pas qu’ils décident de vendre aux enchères les tableaux qu’ils ont achetés il y a vingt ou trente ans...

 

 

Scott Kahn est représenté par la galerie Almine Rech.