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23 Les meilleures expositions de l'année 2020

Les meilleures expositions de l'année 2020

Art

Si pour le monde de l’art, 2020 aura malheureusement été rythmée par de nombreux reports et annulations, fermetures et réouvertures ou encore multiples programmations virtuelles, quelques expositions sont tout de même parvenues à sortir du lot. De Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton à Robert Morris au MAMC+, Numéro en a retenu huit, toutes présentées physiquement en France durant cette année si particulière.

  • Cindy Sherman, “Untitled #417” (2004). Épreuve couleur chromogène, 1519 x 227 cm.

    Cindy Sherman, “Untitled #417” (2004). Épreuve couleur chromogène, 1519 x 227 cm. Cindy Sherman, “Untitled #417” (2004). Épreuve couleur chromogène, 1519 x 227 cm.

1. Les mille visages de Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton

 

L’autoportrait, Cindy Sherman en a fait sa grande spécialité. Depuis la fin des années 70, cette artiste aujourd’hui soixantenaire ne cesse de passer par la photographie afin de présenter ses multiples métamorphoses. Pour cette rétrospective majeure et particulièrement pertinente au siècle du règne de l'image, la Fondation Louis Vuitton a réuni non moins de 170 œuvres et autant de personnages incarnés par l’Américaine. De ses réinterprétations des scènes des films cultes du cinéma hollywoodien dès 1977 à ses travestissements en clown ou en différents archétypes masculins, de ses imitations des plus grandes actrices à sa recréation, après un séjour à Rome à la fin des années 80, des portraits les plus iconiques de l’histoire de la peinture italienne – Raphaël, Le Caravage… –, aucun domaine n’a été épargné par l’artiste. Exceptionnelle par sa richesse, la sélection de l’exposition s’enrichit d’ailleurs des plus récentes créations de Cindy Sherman utilisant un nouveau médium : Instagram, où l’artiste est passée maître dans l’art du selfie en déformant son visage à l’envi, tel le miroir cinglant des autoportraits qui inondent quotidiennement le réseau social. En sus, l’Américaine a également choisi une soixantaine d’œuvres dans la collection de la fondation en écho à son travail, créées par des artistes tels qu’Andy Warhol, Louise Bourgeois, Christian Boltanski ou encore Zanele Muholi. En attendant sa réouverture pour l’instant incertaine, l’exposition peut être découverte depuis chez soi par une visite virtuelle payante intimiste, en interaction avec un médiateur culturel.

Claudia Andujar, Pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, 1972-1976. Claudia Andujar, Pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, 1972-1976.
Claudia Andujar, Pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, 1972-1976.

2. Le combat Yanomami de Claudia Andujar à la Fondation Cartier

 

Population amérindienne partagée entre le nord du Brésil et le sud du Vénézuéla, les Yanomami font face depuis plusieurs décennies à des menaces de destruction de leur territoire. Dans les années 70, la photographe brésilienne Claudia Andujar fait leur connaissance à l’occasion d’un photoreportage et s’immerge dans leur quotidien pendant des semaines, qu’elle capture dans des clichés sensibles faisant la part belle à l’expérimentation visuelle et plastique. Peu à peu, la défense de cette communauté indigène devient le combat de sa vie, donnant à sa photographie une dimension activiste revendiquée. Cinq décennies plus tard, la fondation Cartier offrait une relecture très complète et émouvante du travail de cette artiste engagée, aujourd’hui âgée de 89 ans. À travers une scénographie immersive, des tirages d’une grande qualité et deux films émouvants, l’exposition sensibilisait à une urgence on ne peut plus actuelle : celle de la protection des Yanomami, de nouveau mis en danger ces dernières années par la politique du président Jair Bolsonaro.

Nandipha Mntambo, “The Shadows Between Us” (2013). Vue de l'exposition “Possédé·e·s” au MO.CO Panacée, Montpellier (2020). Crédit photo : Marc Domage Nandipha Mntambo, “The Shadows Between Us” (2013). Vue de l'exposition “Possédé·e·s” au MO.CO Panacée, Montpellier (2020). Crédit photo : Marc Domage
Nandipha Mntambo, “The Shadows Between Us” (2013). Vue de l'exposition “Possédé·e·s” au MO.CO Panacée, Montpellier (2020). Crédit photo : Marc Domage

3. L'art possédé et envoûtant au MO.CO

 

Une exposition pensée comme un sabbat : telle est l'ambition exprimée par “Possédé·e·s” présentée au MO.CO., nouvelle place forte de l'art contemporain à Montpellier. À travers les œuvres de vingt-sept artistes, pour la plupart nés après les années 80, son commissaire Vincent Honoré propose un parcours immersif et envoûtant explorant les nouvelles formes adoptées par l'occulte à la lumière de questionnements contemporains. Plongé dans une ambiance mystique grâce au travail remarquable de scénographie et d’éclairage, mais également la bande-sonore de Iain Forsyth et Jane Pollard, le spectateur explore des pratiques très variées allant de la peinture figurative à l’installation performative par lesquelles transitent énergies immatérielles, récits chamaniques mais aussi positions engagées en faveur des laissés pour compte, hors des marges et des normes avilissantes de la société. L’occulte apporte ainsi aux artistes de l’exposition ce pouvoir si singulier, résumé très justement par Vincent Honoré : celui d’une “réappropriation de ce qui a été plongé dans la nuit, dans l’obscurité, voire l’obscurantisme, pour en faire une fierté.”

Théodule Ribot, “Saint Vincent” (vers 1860) © RMN-Grand Palais - Philippe Bernard Théodule Ribot, “Saint Vincent” (vers 1860) © RMN-Grand Palais - Philippe Bernard
Théodule Ribot, “Saint Vincent” (vers 1860) © RMN-Grand Palais - Philippe Bernard

4. Les métamorphoses du noir dans l'art au Louvre-Lens

 

Le noir dans l’art au fil des siècles et sous toutes ses formes. Avec plus de 180 œuvres explorant les apparitions, les nuances et les interprétations de cette “couleur” si essentielle dans l’histoire des représentations tout en tissant des liens avec le passé minier de la région de Lens, le programme de l'exposition du Louvre-Lens était ambitieux. Nourrie par des prêts exceptionnels et des pièces du Louvre rarement exposées, “Soleils noirs” couvrait une période étendue de l’Antiquité à aujourd’hui, rassemblant des artistes aussi éminents que Sandro Botticelli et Pierre Soulages, Édouard Manet et Douglas Gordon, François Pétrovitch et César, Edith Dekyndt et Gustave Courbet, mais également les créateurs de mode tels que Jeanne Lanvin ou Yohji Yamamoto. Au fil d’un parcours thématisé allant du chaos originel et la naissance du monde représentés à l’essentialisation du noir en peinture, incarnée par Pierre Soulages et Hans Hartung, le spectateur a ainsi pu découvrir les nombreuses mutations plastiques du noir reliées aux évolutions sociales, politiques et culturelles, à l’instar de la place de la religion chrétienne, des révolutions industrielles ou de l’avènement de l’art abstrait. Totalement absent de ce projet déjà très riche, le corps noir méritera quant à lui sa propre exposition dédiée

Erwin Wurm, “Outdoor Sculpture (Taipei)” (2000). C-print, 159.1 x 126.5 cm © Erwin Wurm

Erwin Wurm, “Outdoor Sculpture (Taipei)” (2000). C-print, 159.1 x 126.5 cm © Erwin Wurm

Erwin Wurm, “Palmers” (1997). C-print, 94 x 74 cm © Erwin Wurm

Erwin Wurm, “Palmers” (1997). C-print, 94 x 74 cm © Erwin Wurm

5. Les photographies absurdes d'Erwin Wurm à la Maison Européenne de la Photographie

 

Depuis plus de trente ans, l'artiste autrichien Erwin Wurm explore les corps, objets et habitudes du quotidien à travers ses sculptures et performances grotesques et cyniques. Documentant ses œuvres à travers de nombreuses photographies et vidéos, celui-ci a fait de la prise de vue une pratique sculpturale à part entière, complémentaire de ses mises en scène. Au fil de ses trois étages, la Maison Européenne de la Photographie revenait sur l’œuvre de ce maître contemporain de l’absurde en suivant le fil des trois décennies de sa carrière. Si les œuvres en volume étaient presque totalement absentes de l’exposition, l’impressionnante quantité de photographies (200 tirages environ) offrait de décrypter une méthode singulière dont le corps reste le point d’ancrage essentiel. Entre les métamorphoses de l’humain empêtré dans des combinaisons colorées extensibles, les défis presque impossibles lancés par ses One Minute Sculptures et ses clichés plus récents réalisés à l’aide de l’un des seuls Polaroïds géants existant dans le monde, cette rétrospective originale dévoilait les coulisses et les traces des œuvres inclassables d’Erwin Wurm, finalement tout aussi importantes que les pièces elles-mêmes.

Robert Morris, “Untitled (Mirrored Cubes)” (1965/1971). Collection Tate, Londres. © 2020 The Estate of Robert Morris / Artists Rights Society (ARS), New York/ Adagp, Paris Robert Morris, “Untitled (Mirrored Cubes)” (1965/1971). Collection Tate, Londres. © 2020 The Estate of Robert Morris / Artists Rights Society (ARS), New York/ Adagp, Paris
Robert Morris, “Untitled (Mirrored Cubes)” (1965/1971). Collection Tate, Londres. © 2020 The Estate of Robert Morris / Artists Rights Society (ARS), New York/ Adagp, Paris

6. Les grands principes artistiques de Robert Morris au MAMC+

 

Parler d’art minimal américain sans mentionner Robert Morris (1931-2018)  serait une erreur. Peut-être encore plus d’éluder la façon dont ce dernier a nourri le mouvement, avant de le transformer jusqu’à s’en affranchir presque totalement. Constamment guidé par une même obsession, mettre le corps du spectateur et sa perception au cœur de l’expérience de l’œuvre d’art, l’artiste originaire de Kansas City a élaboré dès l’aube des années 60 tout un arsenal sculptural en réponse à ses questionnements. Dans son exposition à l’ampleur inédite au MAMC+ de Saint-Étienne, le spécialiste de l’artiste Jeffrey Weiss et le commissaire en chef du musée Alexandre Quoi rassemblaient quatorze œuvres majeures de l’Américain, réparties dans sept espaces distincts pensés selon les grands principes qui gouvernaient sa pratique. Réflexion par jeux de miroir, accumulation et dispersion, sculpture anti-forme ou encore répétition… Ses compositions monumentales et volumes abstraits trouvaient là la surface nécessaire – et fort rare – à leur déploiement. L’occasion idéale d’y confronter librement notre propre corps et d’activer à nouveau les pièces de cet artiste majeur, disparu il y a deux ans.

Jeremy Shaw, “Phase Shifting Index”, vue de l'exposition au Centre Pompidou, Paris (2020). Photo : Timo Ohler Jeremy Shaw, “Phase Shifting Index”, vue de l'exposition au Centre Pompidou, Paris (2020). Photo : Timo Ohler
Jeremy Shaw, “Phase Shifting Index”, vue de l'exposition au Centre Pompidou, Paris (2020). Photo : Timo Ohler

7. Les futurs extatiques de Jeremy Shaw au Centre Pompidou

 

C’est un décor impressionnant que l’on découvrait dans l’une des galeries du Centre Pompidou l’été dernier. Dans une salle au sol recouvert de moquette grise, sept grands écrans suspendus diffusaient simultanément des films à l’esthétique vintage où des individus répétaient des chorégraphies intrigantes et expérimentaient de nouvelles manières de se déplacer, jusqu’à se fondre dans les images synchronisées et ralenties de visages en extase. Fasciné par la transcendance et le dépassement de soi, l’artiste canadien Jeremy Shaw explore à travers ces œuvres les limites de la conscience et du contrôle de l’être humain sur son propre corps en jouant notamment sur les effets du temps et des psychotropes. Délibérément uchroniques, les histoires racontées sur ces écrans sont celles de communautés fictives vivant aux 21e et 22e siècles où elles choisissent d’adopter de nouveaux langages verbaux et gestuels. Chacun de ces groupes se rejoint alors dans un espace imaginaire cryptique et irrationnel empreint de mysticisme dans lequel le spectateur, guidé par la scénographie immersive du musée parisien, était lui-même invité à plonger, affranchi des limites aliénantes de l’espace et du temps.

Rosemarie Castoro, “Forest of Threes” (1977-1978) et Lydia Okumura, “Untitled II” et “Untitled III” (1981). Vue de l'exposition “Dimensions of Reality : Female Minimal” à la Galerie Thaddaeus Ropac, Pantin. Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, London · Paris · Salzburg © Lydia Okumura, Estate of Rosemarie Castoro. Photo: Charles Duprat Rosemarie Castoro, “Forest of Threes” (1977-1978) et Lydia Okumura, “Untitled II” et “Untitled III” (1981). Vue de l'exposition “Dimensions of Reality : Female Minimal” à la Galerie Thaddaeus Ropac, Pantin. Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, London · Paris · Salzburg © Lydia Okumura, Estate of Rosemarie Castoro. Photo: Charles Duprat
Rosemarie Castoro, “Forest of Threes” (1977-1978) et Lydia Okumura, “Untitled II” et “Untitled III” (1981). Vue de l'exposition “Dimensions of Reality : Female Minimal” à la Galerie Thaddaeus Ropac, Pantin. Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, London · Paris · Salzburg © Lydia Okumura, Estate of Rosemarie Castoro. Photo: Charles Duprat

8. Les femmes méconnues de l'art abstrait à la galerie Ropac

 

De Kasimir Malévitch à Donald Judd, de Vassily Kandinsky à Jackson Pollock, de Piet Mondrian à Mark Rothko… les plus célèbres figures de l’art abstrait au XXe siècle abondent dans les collections des musées du monde entier, autant que dans les publications papier et numériques. Face à ce quasi monopole masculin, une question émerge encore : où sont passées les femmes de l’art abstrait et pourquoi sont-elles encore si peu nombreuses à connaître une notoriété équivalente ? À la galerie Thaddaeus Ropac-Pantin, l’exposition “Dimensions of Reality : Female Minimal” se proposait de répondre à cette question. Dans ce vaste espace en banlieue parisienne, ses commissaires Anke Kempkes et Pierre-Henri Foulon rassemblaient les œuvres abstraites de quatorze artistes femmes dont le nom fut effacé ou oublié des grands récits de l’histoire de l’art. Situées entre les années 1920 et 1980, les pièces s’étendaient des dessins au crayon de Marlow Moss – dont les principes plastiques inspireront Mondrian lui-même – et des photographies devenues anonymes de Lucia Moholy aux installations de Rosemarie Castoro et Lydia Okumura, restructurant l’espace par leurs formes abstraites. Un coup de projecteur délibérément non exhaustif participant d’une réécriture nécessaire de l’histoire de l’art, alors que des recherches de plus en plus variées rappellent l’impact considérable de ses nombreuses actrices longtemps passées sous silence.