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09 À l’heure des déboulonnages, Londres érige deux nouvelles sculptures engagées

À l’heure des déboulonnages, Londres érige deux nouvelles sculptures engagées

Art

La place Trafalgar Square, dans le quartier londonien de Westminster, accueille tous les deux ans une nouvelle sculpture réalisée par un artiste contemporain. Le nom des deux prochains exposants vient d'être dévoilé. Une statue anticolonialiste ainsi qu’une sculpture dénonçant l’invisibilisation des personnes transgenres trôneront prochainement sur le fameux piédestal.

  • “Antelope”, Samsom Kambalu

    “Antelope”, Samsom Kambalu “Antelope”, Samsom Kambalu
  • “850 Imprantas”, Teresa Margolles

    “850 Imprantas”, Teresa Margolles “850 Imprantas”, Teresa Margolles

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Sur la très fréquentée place de Trafalgar Square, dans le quartier de Westminster, à Londres, se situe un socle, étonnamment dépourvu de statue. Depuis 1999, ce piédestal est réservé aux artistes contemporains sélectionnés par la mairie londonienne : à l’issue d’un vote ouvert au grand public, l’élu gagne le droit d’exposer son travail pour une durée de 18 mois sur le “Fourth Plinth” ("quatrième socle"), profitant ainsi d’une visibilité internationale. Lundi, la mairie de la capitale anglaise a révélé le nom des deux prochains exposants : le sculpteur d'origine africaine Samson Kambalu investira la place dès septembre 2022 avec une statue de bronze anticolonialiste nommée Antelope. Il sera remplacé en 2024 par Teresa Margolles, qui, elle, rend hommage aux personnes transgenres par une installation baptisée 850 Improntas.

 

 

En juin 2020, une série de déboulonnages sauvages touchaient l’Europe et les États-Unis. Suite au meurtre de George Floyd lors d'une arrestation policière à Minneapolis, les monuments représentant des personnages liés à l’histoire coloniale voire esclavagiste sont visés. Le Royaume-Uni est particulièrement concerné, puisque, durant cette période, la sculpture du marchand d’esclaves Edward Colston érigée en 1895, est spectaculairement renversée par un groupe de manifestants. Préférant créer que détruire, l’artiste Samson Kambalu s’empare de l'institutionnelle statue de bronze pour mieux en changer la symbolique. Sa sculpture Antelope s’inspire d’une photographie de 1914 sur laquelle apparaissent, côte à côte, le pasteur africain John Chilembwe et le missionnaire européen John Chorley. Le premier est une figure de l'anticolonialisme : meneur de révolte, il portait ostensiblement le chapeau, en guise de provocation, à une époque où il était interdit aux hommes noirs. Mais dans son interprétation de la photographie originale, le sculpteur Samson Kambalu trahit volontairement celle-ci en exagérant la taille de l’homme noir, démesurément grand par rapport à l’homme blanc. Par cet effet visuel, il entend corriger l’invisibilisation du peuple africain dans les récits coloniaux. Cette œuvre montre qu’il est possible de prendre une position critique à l’égard du passé colonial d’un pays, sans nécessairement recourir à la culture de l’effacement, qui consiste à censurer les œuvres jugées offensantes à l’égard d’une communauté.

 

 

L’artiste Teresa Margolles travaille, quant à elle, sur la thématique des minorités transgenres. Son œuvre 850 Improntas assemble les moulages de visages de personnes transgenres de Londres, pour la plupart travailleurs du sexe. La forme géométrique de la structure qui soutient ces masques est une référence au tzompantli, un élément rituel de la culture mésoaméricaine consistant en un empilement de crânes de personnes sacrifiés, empalés les uns au dessus des autres sur des perches verticales. L’artiste, elle-même originaire du Mexique, souhaite par cette mise en scène attirer l’attention sur les violences sociales infligées à ces minorités. Le "quatrième socle" de Trafalgar Square continue ainsi d’apparaître comme le support d’un art engagé. La dernière artiste exposée, la Britannique Heather Phillipson, se confrontait pour sa part à des thématique écologiques. Sa sculpture figurait un drone et une mouche embourbés dans un tas de crème fouettée, surplombé par une cerise, symbolisant l'arrogance de la société de consommation et son déni du dérèglement climatique en cours.