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Numéro
12

Rencontre avec Urs Fischer, l'artiste qui déverse une vague géante sur la place Vendôme

Art

Dans le cadre du programme public de la foire Paris+ par Art Basel, la place Vendôme s'apprête à accueillir un nouveau projet inédit : une immense vague en aluminium sculptée par l'artiste Urs Fischer. Depuis sa maison à Los Angeles, l'artiste suisse revient sur ce projet phare.

En collaboration avec Paris+ par Art Basel.

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

Photo : Emma Trim pour Art Basel.

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Un matin d’août dernier, à Los Angeles, je suis tombée nez à nez avec un bonhomme de neige en pierre gelée. J’étais chez l’artiste Urs Fischer, dont l’œuvre monumentale Wave (2018) sera présentée sur la place Vendôme pendant Paris+ par Art Basel. Il me conduisait à travers son domaine tentaculaire et nous traversions un jardin escarpé, constitué de cactus épais et d’énormes statues en marbre représentant des sorcières à bouche béante, des Bouddhas satisfaits, des chats plaintifs, des grenouilles d’argent Feng Shui, des lions gardiens chinois et, donc, des bonhommes de neige en pierre gelée. Ces statues font partie de la série Reality Hacking de l’artiste suisse Peter Regli, un ami de longue date d’Urs Fischer, qui l’a invité à prendre possession de l’espace et à envahir sa colline. 

 

La maison d’Urs Fischer à Los Angeles n’est pas sans rappeler ses propres sculptures. La rive escarpée dont il a réaménagé les jardins et les espaces domestiques, dans un style proche du bricolage et depuis plus de vingt ans, ressemble à une sorte de tas de boue géant dans lequel une main divine aurait affectueusement pressé une multitude de jouets et d’objets.

  • Urs Fischer, “Wave“.

  • Urs Fischer, “Wave“ (détail).

  • Urs Fischer.

  • Urs Fischer, “Wave“ (2018), simulation-installation, place Vendôme. Courtesy of Gagosian.

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De la terre à la cire, l'amour d'Urs Fischer pour la matière

 

Né en 1973, Urs Fischer a étudié la photographie à la Schule für Gestaltung de Zurich. Il a vécu ensuite à Londres, Berlin et New York, avant de s’installer à Los Angeles. Sa pratique s’est, depuis, élargie à la sculpture, l’image et l’installation, pour créer cet univers singulier dans lequel se marient artisanat et surréalisme. Ses premières sculptures en cire reproduisent méticuleusement des objets du quotidien comme des chaises et des ours en peluche. Chacune d’entre elles est dotée d’une délicate colonne vertébrale en mèches. Une fois celles-ci allumées, les figures fondent et se transforment lentement, le temps de leur exposition, en quelque chose qui oscille entre la sculpture et une forme très, très lente de performance. 

 

Son installation à la Biennale de Venise 2011 était une réplique de cire fidèle mais agrandie de la sculpture du XVIe siècle L’Enlèvement des Sabines de Giambologna. Cette œuvre a elle aussi fondu, ou plutôt dégouliné, réunissant ainsi la figure de l’homme romain puissant et de ses victimes en un seul tas de cire tacheté. Les questions d’échelle sont un thème récurrent chez Urs Fischer et le fascinent. Sa série des Big Clays (“Grands Argiles”) est peut-être son unité de références la plus spectaculaire, non seulement à l’échelle et à l’artisanat, mais aussi à la divinité implicite de l’échelle, à la révérence feutrée de l’artisanat.  

 

Malgré leur taille monumentale, les Big Clays d’Urs Fischer commencent toujours dans la paume de sa main. Saisissant une petite portion ou deux d’argile, il joue avec et improvise en quelque sorte une forme, parfois les yeux fermés. L’artiste peut fabriquer des centaines de ces bibelots abstraits avant d’en élire un pour être produit. Cela ressemble à la façon dont un·e peintre expressionniste crée plusieurs “brouillons” avant d’être satisfait·e par une toile qui capture bien, à ses yeux, le geste de chaque coup de pinceau. 

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

Photo : Emma Trim pour Art Basel.

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Wave : une sculpture en aluminium de cinq mètres de haut

 

Le processus “est rapide”, explique Urs Fischer tout en coordonnant le transport et l’approbation des rendus d’installation de Wave, une sculpture en aluminium de cinq mètres de haut. Deuxième œuvre de la série des Big Clays, cette pièce sera installée place Vendôme en octobre, dans le cadre de la deuxième édition de Paris+ par Art Basel. 

 

Il ajoute : “Si vous dépassez un certain stade, cela devient laborieux. J’ai compris quelque chose récemment : les œuvres que je fais moi-même ne sont pas les bonnes. Les œuvres qui se font elles-mêmes, en revanche, fonctionnent tout simplement. C’est drôle. C’est presque comme de la danse. Quelque chose se passe, qui semble juste.”

 

Les dix Big Clays déjà existantes ont été exposées comme des œuvres d’art publiques monumentales dans le monde entier, notamment à Florence, New York et Moscou. En 2022, Lovers #2 a été installée au Museo Jumex de Mexico. Avec L’Arc (2016-2019), qui est exposée en permanence à Paris à Station F, le plus grand campus de start-ups au monde, Wave se distingue des autres Big Clays en ce qu’elle a été achevée par un processus de fraisage unique.

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

Photo : Emma Trim pour Art Basel.

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Une œuvre monumentale et de nombreux détails

 

“C’est simple, c’est une sculpture”, note Fischer tandis que nous feuilletons, photo après photo, les détails du processus de création dans l’atelier de fabrication. L’originalité de la série des Big Clays réside notamment dans la façon dont les moindres détails de la main de l’artiste, ses crevasses et ses rides, deviennent caverneux et presque abstraits dans leur état final et monumental. Urs Fischer s’enthousiasme en évoquant les nuances qui émergent du processus de fraisage. Malgré toutes les bizarreries que peut créer l’argile lors des premières étapes de son traitement, c’est lorsqu’il façonne l’œuvre dans sa taille définitive que chaque détail semble ironiquement intentionnel. L’importance des choix qu’il fait apparaît également une fois la taille finale atteinte. “Mais ce n’est pas grave. Je n’aime pas les sculptures qui deviennent ennuyeuses quand on s’en approche.” 

 

Le regard est une préoccupation fondamentale pour Urs Fischer. C’est particulièrement évident avec le gigantesque cube numérique de 3,50 mètres, Denominator (2020-2022), exposé jusqu’au 4 novembre à Gagosian Beverly Hills. Les décennies d’images de publicité qui s’affichent en cascade sur les parois de Denominator provoquent chez le·la regardeur·euse le sentiment d’être submergé·e. “C’est comme l’idée du café au lait cosmique, lui dis-je. Si nous regardons quelque chose de trop près, tout se mélange et devient beige.” Urs Fischer hoche la tête, résumant l’art de regarder par une métaphore du processus de la série des Big Clays et peut-être de la création artistique au sens large : “Vous devez vous arrêter avant que tout ne finisse par s’autodévorer.”

 

 

Urs Fischer, “Wave”, du 18 octobre au 1er décembre 2023 sur la place Vendôme, Paris 1er. Le projet est réalisé avec Gagosian (New York, Los Angeles, Londres, Paris, Genève, Bâle, Rome, Athènes, Hong Kong, Gstaad), dans le cadre du programme public de Paris+ par Art Basel 2023. 

 

Christina Catherine Martinez est une écrivaine, actrice et comédienne qui vit à Los Angeles. Elle est récipiendaire de la bourse d’écrivain∙e∙s artistiques de la Fondation Andy Warhol et l’auteure de la collection d’essais Aesthetical Relations (Hesse Press, 2019).

 

Traduction française : Yann Perreau.

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

  • Urs Fischer in his home in Los Angeles, 2023.

Photo : Emma Trim pour Art Basel.

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