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Numéro
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Avec Jaeger-LeCoultre, l'artiste Yiyun Kang remonte aux origines du beau

Art

Sur l'invitation de la maison Jaeger-LeCoultre, Yiyun Kang a réalisé une sculpture vidéo immersive et interactive inspirée par le nombre d'or et les origines du beau dans le monde naturel. L'artiste coréenne revient sur cette création inédite qui traversera le monde, de Séoul à Zurich.

  • Yiyun Kang et son œuvre “Origin”.

  • Yiyun Kang.

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Origin : une œuvre de Yiyun Kang inspirée par le nombre d'or et le beau universel

 

 

Tous les mathématiciens le diront : l’essence de la beauté tient à un chiffre. Ou plutôt, une suite de nombres entiers dont les proportions retranscrites dans l’espace dessineront une forme continue et harmonieuse. Baptisé “nombre d’or” ou “φ” (phi) d’après la lettre grecque, ce principe mathématique essentiel apparaît partout dans la nature, de la coquille en spirale des ammonites à celle dessinée par nos oreilles, en passant par l’alignement parfait des alvéoles des ruches ou encore la symétrie des plumes du paon faisant la roue, façonnant dès notre plus jeune âge notre vision de la perfection, d'un bout à l'autre de la planète. C’est justement cette fascinante fabrique du beau qu’a choisi d’explorer Yiyun Kang avec l’œuvre Origin

 

Invitée par la maison d’horlogerie de luxe Jaeger-LeCoultre à réaliser une œuvre innovante et interactive, cette artiste numérique, docteure spécialiste des nouveaux médias et professeure coréenne a imaginé un cube en écrans lumineux à peine plus haut que l’individu moyen où sur deux de ses faces se succèdent des cadrans mouvants, irradiant de leur couleur dorée et leurs lignes géométriques. Une création immersive inspirée par l’un des modèles phares de la maison suisse historique, la montre Reverso, et ses motifs abstraits empruntés au style Art déco. Réalisé dans les cadre du programme “Made of Makers” de Jaeger-LeCoultre, qui invite chaque année deux ou trois artistes de tous domaines – son, graphisme, ou même cuisine – à réaliser des œuvres en lien avec l’identité de la maison fondée il y a deux-cents ans, la création de Yiyun Kang a déjà été présentée sur dans un parc à Séoul, au Marina Bay Sands à Singapour, et voyagera à New York ou encore à Zurich. Pour Numéro, l'artiste revient ur la genèse de ce travail, qui l'a menée vers une réflexion plus globale sur la beauté universelle.
 

 

L'interview de Yiyun Kang sur son projet avec Jaeger-LeCoultre


 

Numéro : Dans la vidéo qui introduit votre œuvre Origin créée pour Jaeger-LeCoultre, on vous voit explorer une serre, manière de rappeler les liens qui unissent la nature et la technologie dans votre démarche. Comment le nombre d’or a-t-il émergé comme point de rencontre entre ces deux domaines ?

Yiyun Kang : La croissance des végétaux et êtres vivants, les cycles et la capacité de la nature à se régénérer m’inspirent énormément. Tout y est profondément lié par une relation causale, nous faisons nous-mêmes partie de cet écosystème et il est capital de garder en tête que nous n’en formons qu’une des entités. C’est pour cela que ces questions m’obsèdent. Ici, je me suis intéressé à la manière dont la règle du nombre d’or apparaît dans de nombreuses plantes, notamment les feuilles ou les pétales de certaines plantes qui respectent la suite de Fibonacci [suite mathématique de nombres entiers liée au nombre d’or]. Pour moi, ce concept incarne le progrès dans la nature : je le vois comme le symbole de l’évolution et la poursuite d’un idéal.

  • Yiyun Kang.

  • Yiyun Kang et son œuvre “Origin”.

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Est-ce pour cela que vous avez intitulé votre œuvre Origin?
Je vois le mot Origin comme un code qui relierait les trois éléments principaux de mon projet : la nature, le nombre d’or et la montre Reverso. À travers mes recherches, j’ai découvert que l’attraction spontanée et ancestrale de notre espèce vers l’harmonie du nombre d’or pourrait venir de la nature, et le fait qu’on l’y retrouve autant. Si cette proportion mathématique nous paraît belle, c’est précisément parce qu’elle nous rapproche des origines du vivant. Nous sommes donc amenés à utiliser l’art et le design pour y revenir, et ainsi exprimer une essence de la beauté. Comme le prouve le modèle Reverso, dont le design s’est justement fondé sur l’équation du nombre d’or et le style Art déco.

 

 

J’ai cherché à créer une œuvre qui résonnerait avec n’importe qui, d’un côté à l’autre de la planète.


 

En quoi ce projet était-il différent de vos précédents, voire innovant, à l’échelle de votre carrière ?

La principale nouveauté, c’est bien sûr Jaeger-LeCoultre. Travailler avec une maison d’horlogerie de luxe a été un défi très stimulant. L’autre grand défi, c’était l’échelle du projet, pensé pour une exposition nomade qui voyagera à travers les continents : il fallait tenir compte de la variété du public qui, selon le pays et le lieu où l’œuvre sera installée, pourra être très différent. En partant d’un concept aussi universel que le nombre d’or combiné au style Art déco tout en les reliant à la Reverso, modèle de montre intemporel, j’ai ainsi cherché à créer une œuvre qui résonnerait avec n’importe qui, d’un côté à l’autre de la planète.

Made of Makers: Yiyun Kang | Jaeger-LeCoultre

En vue de réaliser cette œuvre, vous vous êtes rendue dans la manufacture de la Vallée de Joux, en Suisse, pour découvrir la grande variété de montres Jaeger-LeCoultre, la manière dont elles sont fabriquées et rencontrer les artisans. Qu’avez-vous retenu de cette expérience? 

Le meilleur que j’aie tiré de cette expérience est probablement l’énergie à la fois calme et passionnée de la manufacture, qui peut sembler un peu paradoxale ! Mais j’ai senti que c’était justement de cette énergie si particulière que provenait toute la beauté et la perfection de Jaeger LeCoultre. Selon moi, cette cohabitation harmonieuse et si particulière entre calme et passion vient à la fois des personnes qui travaillent dans la manufacture et de la nature qui les entoure.

 

 

Le nombre d’or incarne le progrès dans la nature : je le vois comme le symbole de l’évolution et la poursuite d’un idéal.


 

Artiste, chercheuse et docteure spécialisée dans les médias numériques, professeure au Royal College of Art et au KAIST (Korea Advanced Institute of Science and Technology), vous possédez de multiples casquettes. Comment celles-ci interviennent-elles dans ce nouveau projet ?

Ma pratique artistique, ma recherche et mon enseignement cohabitent et se complètent de façon très holistique. En tant que chercheuse, j’explore de nombreuses pistes que j’examine ensuite, en tant que professeure dans un contexte académique, afin d’évaluer à quel point ma recherche est rigoureuse. Et en tant qu’artiste, je m’assure que mon travail, fondé sur ce processus de recherche, ne soit justement pas trop rigide ni objectif, mais qu’il reste créatif et invite à réfléchir. Ce projet pour Jaeger-LeCoultre remplit donc toutes ces attentes puisqu’il m’a demandé de mobiliser cette approche très complète, aussi bien conceptuelle, théorique qu’esthétique.

  • Jaeger-LeCoultre, Reverso Stories. Vue de l'œuvre “Origin” de Yiyun Kang, 2023.

  • Jaeger-LeCoultre, Reverso Stories. Vue de l'œuvre “Origin” de Yiyun Kang, 2023.

  • Jaeger-LeCoultre, Reverso Stories. Vue de l'œuvre “Origin” de Yiyun Kang, 2023.

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Vous êtes connue pour vos projets de mapping à très grande échelle, comme lorsque vous avez imaginé la Séoul du futur, durable, projetée sur la surface du Dongdaemun Design Plaza dans la ville au début de cette année. Quelle expérience avez-vous voulu provoquer chez le spectateur avec Origin, une œuvre à taille humaine cette fois-ci ?

Avec Jaeger-LeCoultre, nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir à la meilleure manière de présenter cette œuvre dans l’espace public. Nous avons évoqué des projets à très grande échelle, mais nous avons finalement opté pour cette sculpture en LED de dimensions plus humbles, qui permettent aux visiteurs de circuler autour et s’en approcher dans un cadre agréable. Comparé à mes projets monumentaux, Origin est moins écrasante : elle tisse une relation plus intime avec ses spectateurs, qui peuvent l’observer dans tous ses détails. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié voir des publics de tous âges et horizons interagir avec l’œuvre.
 

 

Le numérique, c’est la langue de notre époque.


 

Que peut apporter les médias numériques à la création et à notre société, que les autres médiums artistiques ne peuvent pas ?

Le numérique, c’est la langue de notre époque. Nos expériences et nos sociétés transitent aujourd'hui massivement par ce support et toutes les technologies qui y sont liées. Pour moi, c’est donc le médium idéal pour faire le récit de nos réalités et de notre vie. D’un point de vue créatif, l’avantage du numérique c’est aussi qu’il est très flexible et extensible. Je peux aussi bien utiliser des images en mouvement, des sons, des capteurs que des mouvement cinétiques sous cette même appellation, qui me permet de créer des expériences multisensorielles et raconter des histoires de façon immersive.