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17 Des westerns à “Star Wars”, comment Akira Kurosawa a influencé Hollywood

Des westerns à “Star Wars”, comment Akira Kurosawa a influencé Hollywood

Cinéma

Plans somptueux, scénarios de maître et sabre ensanglantés… À l’occasion de la rétrospective Akira Kurosawa à la Cinémathèque, Numéro s’est intéressé à la façon dont le cinéaste japonais disparu en 1998 a influencé les westerns cultes de Sergio Leone tout autant que les duels légendaires de la saga Star Wars…

 

Sanjuro, personnage principal du long-métrage “Yojimbo” [Le Garde du corps] (1961) d'Akira Kurosawa, interprété par Toshiro Mifune. Sanjuro, personnage principal du long-métrage “Yojimbo” [Le Garde du corps] (1961) d'Akira Kurosawa, interprété par Toshiro Mifune.
Sanjuro, personnage principal du long-métrage “Yojimbo” [Le Garde du corps] (1961) d'Akira Kurosawa, interprété par Toshiro Mifune.

1. Une incroyable rétrospective Akira Kurosawa à la Cinémathèque

 

Jusqu’au 28 novembre, la Cinémathèque française déroule le tapis rouge au réalisateur japonais Akira Kurosawa, génie du cinéma disparu en 1998 à l’âge de 88 ans, à Tokyo, sa ville natale. Décrit par son contemporain Federico Fellini comme “le plus grand exemple vivant de tout ce qu’un auteur de cinéma devrait être”, il compte une trentaine de longs-métrages et presque autant de chefs-d’œuvre à son actif, transformant littéralement le septième art jusqu’à donner naissance à l’adjectif kurosawaïen. Chien enragé (1949) Les Sept Samouraïs (1954), Entre le ciel et l’enfer (1963), Ran (1985)… Akira Kurosawa écrit, réalise, monte et produit lui-même ses films, amassant davantage de budget à mesure que son succès grandit. Peintre de formation, il exècre paradoxalement le cinéma contemplatif de certains de ses homologues et fait rapidement consensus aussi bien chez les scénaristes que chez les metteurs en scène. Son œuvre naît par le scénario et s’achève de la même façon à travers deux films qu’il ne réalisera pas lui-même : d’abord Seishun no kiryū en 1942, puis le drame posthume La mer regarde (2003). Maître des contrastes, créateur de plans splendides et source d’inspiration intarissable, il sera le premier metteur en scène japonais à recevoir une récompense internationale majeure – le Lion d’or à Venise en 1951 pour Rashômon – et jettera sans le savoir les bases du western hollywoodien tel qu’on le connaît aujourd’hui. À l’occasion de cette rétrospective tant attendue, Numéro s’est justement intéressé à la façon dont Akira Kurosawa a influencé les westerns cultes de Sergio Leone tout autant que les duels légendaires de la saga Star Wars…

Sergio Leone - “Pour une Poignée de Dollars” (1964)

2. Comment Akira Kurosawa a inspiré les westerns hollywoodiens

 

Le mercredi 12 octobre, jour d’ouverture de la rétrospective, la projection de Yojimbo [Le Garde du corps] (1961) s’achève dans l’hilarité générale. Les deux tiers de la salle découvrent le long-métrage pour la première fois et voient le rônin Sanjuro – un samouraï sans maître –, quitter tranquillement le village de Manome le regard braqué vers l’horizon : “Enfin, le calme va revenir dans le bourg…” Le ressort comique tient ici au jeu de massacre jubilatoire auquel le personnage a lui-même ardemment participé quelques minutes auparavant. Capable de transformer une situation burlesque en scène dramatique – et inversement –, Akira Kurosawa exalte souvent l’ancestral honneur nippon à défaut de faire parler la poudre. Dans les années 60, les protagonistes de ses films dégainent leurs sabres acérés comme d’autres feront plus tard rugir leurs colts chromés. Son Yojimbo inspirera Pour une poignée de dollars à Sergio Leone. Le réalisateur italien découvre le film à Rome en 1963, l’adore et en profite pour diriger un Clint Eastwood impérial. Problème : le film n’est qu’un immense plagiat de Yojimbo, du synopsis au poncho de l’acteur principal, librement emprunté au kimono de Toshirô Mifune, acteur fétiche de Kurosawa. Une bataille juridique éclate et les spectateurs américains devront attendre plusieurs années pour découvrir la version de Sergio Leone, contrairement aux Européens qui eurent accès au film presque immédiatement, ce continent étant soumis à un autre circuit de distribution. Quant aux recettes, 25 % d’entre elles finissent directement sur le compte en banque des studios Kurosawa…

 

Au même moment, l’un des plus grands succès d’Akira Kurosawa fait l’objet d’une adaptation par John Sturges : Les Sept Samouraïs de 1954 devient Les Sept Mercenaires en 1960, transposé au Mexique, puis Les 7 mercenaires en 2016 avec la superstar Denzel Washington subtilement décrit comme suit par Le Dauphiné libéré : “Une reprise de deux films cultes, qui s’efforce de remettre le western au goût spectaculaire du jour et qui en fait un produit formaté de série.” Le plagiat décomplexé de Sergio Leone aura fait jurisprudence. Dès lors, les réalisateurs se pressent pour quémander les droits d’adaptation des œuvres du Japonais qui frappe par le dynamisme de sa mise en scène avant-gardiste et la manière dont il détourne les codes uchi et soto – littéralement l’“intérieur” et l’“extérieur” ou la “maison” et le “dehors” – deux concepts purement japonais qui indiquent la façon dont il convient de se comporter et d’interagir avec les autres. Ce système traditionnel fondé sur des codes moraux de la période Edo (1603-1868) évoque non seulement le respect des bonnes manières mais aussi la façon dont les étrangers sont accueillis, une des bases fondamentales de la narration des westerns américains où le voyageur charismatique à la mine renfrognée débarque dans une ville malfamée de l’Ouest américain… Akira Kurosawa est-il LE réalisateur qu’il faut adapter à tout prix en Occident ? Francis Ford Coppola, Steven Spielberg ou encore Serge Silberman font partie de ses grands admirateurs, fascinés par ses scénarios shakespeariens, ses plans millimétrés et son cri d’amour pour un Japon haï outre-Atlantique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Si l’on scrute les rangs de ses adorateurs, on retrouve également un certain George Lucas, père d’une célèbre saga intergalactique…

Dark Vador, personnage emblématique de “Star Wars” et son costume inspiré de l'armure des samouraïs. Dark Vador, personnage emblématique de “Star Wars” et son costume inspiré de l'armure des samouraïs.
Dark Vador, personnage emblématique de “Star Wars” et son costume inspiré de l'armure des samouraïs.

3. Comment Akira Kurosawa a inspiré le Star Wars de George Lucas

 

La saga mythique a donné naissance à l’un des personnages les plus emblématiques de la pop culture. Dark Vador devait être incarné par l’acteur fétiche d’Akira Kurosawa, Toshirô Mifune, qui refuse le rôle proposé au milieu des années 70. Déçu, George Lucas injecte malgré tout un bon nombre de références à la culture nippone et à la filmographie de son idole. Ainsi, le Jedi est un vulgaire ersatz du samouraï, de sa cape façon kimono jusqu’à la place qu’il accorde à la spiritualité, tandis que le casque de Dark Vador s’inspire quant à lui du kabuto traditionnel des guerriers japonais, composé de plaques en métal protégeant le sommet du crâne et d’une série de lamelles souples abritant la nuque. Dans l’œuvre de science-fiction amorcée en 1977, les katanas deviennent des sabres laser et les discussions en forêt entre Yoda et Luke Skywalker évoquent le Chien enragé de Kurosawa. Dans une autre mesure, lorsque le personnage de Padmé Amidala, incarné par Nathalie Portman, quitte discrètement le Sénat grâce aux parfaits sosies qui la remplacent, on pense au kagemusha, concept issu du folklore japonais désignant justement une doublure visant à leurrer l’ennemi. En 1980, le terme devient le titre d’un film quand Kurosawa présente Kagemusha [L’Ombre du guerrier], Palme d’or au Festival de Cannes. Enfin, on retrouve chez George Lucas la même fascination que son idole pour les thèmes musicaux et leurs variations. L’Américain souhaitait initialement utiliser le Boléro de Ravel pour la bande originale de Star Wars, idée exploitée dès 1950 par Akira Kurosawa qui mandate le compositeur Fumio Hayasaka pour transformer la partition de Maurice Ravel et l’intégrer à son long-métrage Rashômon.

Activation du mode Kurosawa dans le jeu vidéo “Ghost of Tsushima”.

4. Comment Akira Kurosawa a inspiré un jeu vidéo

 

En 2020, le réalisateur Nate Fox et le directeur créatif Jason Connell s’inspirent directement de Koubilaï khan, le premier empereur de Chine, et de son invasion ratée des îles japonaises. Leur jeu vidéo Ghost of Tsushima met en scène Khotun khan, un cousin fictif dont l’armée déferle sur les plages de Tsushima et affronte 80 samouraïs. Le comité d’accueil se fait terrasser et seul le jeune Jin Sakai réchappe du carnage… Développé par les studios Sucker Punch et édité par le géant nippon Sony, Ghost of Tsushima propose aux joueurs d’incarner le fameux Jin Sakai qui, à son réveil, entreprend une quête vengeresse pour libérer son île natale du joug mongol. Si le jeu d’action alterne entre combats sanglants et phases d’infiltration, sa force principale réside dans son monde “ouvert” qui nous propulse tour à tour au cœur des plaines verdoyantes, des petits ports de pêche et des forêts crépusculaires multicolores du Japon féodal. Le jeu séduit immédiatement. Si la direction artistique était déjà sublime, le coup de grâce survient lorsque l’équipe de développement annonce l’intégration d’un nouveau paramètre de jeu – le “Kurosawa mode” – qui, tel un filtre noir et blanc vintage, propose une expérience inédite aux joueurs…

 

Puisque nous étions édités par Sony, nous savions que nous aurions accès à des experts de la culture japonaise, se souvient Jason Connell dans les colonnes du magazine Première. J’étais fan des films d’Akira Kurosawa, mais j’étais loin d’avoir vu l’ensemble de son œuvre. J’ai donc rattrapé mon retard et me suis beaucoup inspiré de Ran [1985] dont la photographie et la composition sont absolument spectaculaires.” Plus qu’une référence, Akira Kurosawa devient un guide pour les développeurs du jeu qui décortiquent les scènes de ses longs-métrages et analysent précisément la valeur des contrastes afin de les reproduire. Si le mode Kurosawa ajoute un grain à l’image en noir et blanc, les effets audio sont également transformés, évoquant les années 60 et les premiers chefs-d’œuvre du maître japonais.

 

 

Rétrospective Akira Kurosawa, jusqu'au 28 novembre à la Cinémathèque française.