

Non, le cinéma La Clef n’est pas mort ! Fermé en 2018 par le propriétaire des murs et le Conseil Social et Economique de la Caisse d’Epargne Ile-de-France (CSECEIDF), ce mythique cinéma associatif du quartier latin est devenu, sous l’impulsion de collectifs de fervents cinéphiles, un lieu unique de projections et de débats et s’est rebaptisé pour cette période temporaire La Clef Revival. Les séances qui y sont organisées mettent à l’honneur des films critiques dont les sujets souvent militants font écho à "l’effort de guerre" culturel du cinéma.
"Ce n’est pas une programmation afro-américaine, mais une programmation sur la lutte"
La menace d’expulsion qui plane au-dessus des occupants n’a pourtant pas empêché le cinéma d’être plus actif que jamais. Entre projections, concerts et débats, La Clef Revival propose entre autres "This is America", un cycle cinéma noir américain, du jeudi 16 au dimanche 19 janvier. À travers différentes époques, les films au programme retracent l’histoire d’un cinéma noir militant qui s’est imposé dans l'industrie cinématographique malgré une Amérique profondément marquée par les inégalités sociales entre les Noirs et les Blancs. En donnant des rôles principaux à des personnes noires et en donnant de l'importance à des communautés invisibilisées par le pouvoir, les cinéastes au programme ont participé à la création de la “Blacksploitation”, un courant culturel propre au cinéma noir américain des années 70 qui a permis de revaloriser les Noirs aux Etats-Unis. Organisé par des cinéastes noirs à Los Angeles à l'époque, le mouvement L.A. Rebellion est notamment mis à l’honneur lors de ce festival avec la projection du film Killer of a Sheep (1978) de Charles Burnett, figure emblématique du mouvement et du film de la réalisatrice et productrice Julie Dash, Diary of an african nun (1977).
Bande-annonce du film Killer of a Sheep (1978) de Charles Burnett
Véritable pied-de-nez à la liste extrêmement critiquée des nommés aux Oscars 2020, composée en grande partie d’hommes blancs, la programmation de "This is America" a été pensée autour de la cinéaste Fronza Woods, l’une des premières femmes réalisatrices noires américaines qui était présente lors de la soirée d’ouverture. Diffusés une seule fois en France dans les années 70, ses deux courts-métrages rares Killing Time (1979) et Fannie’s Film (1981) mettent à l’honneur deux femmes, noires – des « invisible women » dont les voix inaudibles ont été rendues éternelles grâce à sa caméra.
"Lorsque je suis invitée à des festivals de films réalisés par des femmes et non pas à des festivals afro-américains, je suis heureuse car je me dis que j'ai changé de ghetto"
Profondément féministe, la malheureusement trop courte production de Fronza Woods a marqué l’histoire du cinéma afro-américain. En filmant le désarroi d’une femme suicidaire nonchalante et en donnant la parole à une femme de ménage, la cinéaste a réussi à éveiller l’intérêt des spectateurs de l’époque, pourtant peu intéressés par les films réalisés par des femmes. “Lorsque l’on rencontre des difficultés à créer quand on est une femme noire aux Etats-Unis, c’est une forme de racisme. J’étais très frustrée à l’époque et c’est de cette colère qu’est né Fannie’s film.”

Affiche du film Wattstax (1973) de Mel Stuart

Affiche du film de Killer of a Sheep (1978) de Charles Burnett
Le reste de la programmation de “This is America” affirme la richesse culturelle de La Clef Revival avec des films rares et des cinéastes encore peu connus en France : la cinéaste indépendante et expérimentale Shirley Clarke avec son film The Cool World (1963), l'auteur de Nothing But a Man (1964) Michael Roemer, le collaborateur régulier de Spike Lee Ernest Dickerson ou encore Julie Dash, Boots Riley et Mel Stuart. Ce panel varié de cinéastes, figures majeures de la Blacksploitation, est à l’image de l’esprit d’ouverture du cinéma : les femmes réalisatrices, les cinéastes noirs ou blancs, américains ou non, sont réunis pour faire parler un mouvement alternatif essentiel à la culture noire américaine.