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22 Elvis : rencontre avec Baz Luhrmann, auteur du biopic sur le roi du rock Elvis Presley

Elvis : rencontre avec Baz Luhrmann, auteur du biopic sur le roi du rock Elvis Presley

Cinéma

L’immense réalisateur de Moulin Rouge a réinventé avec brio la comédie musicale en l’immergeant pleinement dans l’époque contemporaine. Son nouveau biopic Elvis, consacré au rockeur culte américain Elvis Presley interprété par l'acteur Austin Butler, sort ce mercredi 22 juin sur les écrans.

Photo Hugh Stewart © 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved Photo Hugh Stewart © 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved
Photo Hugh Stewart © 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved

Lors du dernier Met Gala, au début du mois de mai, le tapis rouge accueillait un bel inconnu au bras de Priscilla Presley. L’ex-épouse du King marquait ainsi son plein assentiment à l’acteur Austin Butler, qui incarne avec force son ex-mari dans le nouveau film de l’Australien Baz Luhrmann, Elvis. Une façon, aussi, de reconnaître le talent du réalisateur de Moulin Rouge pour sublimer les personnalités bigger than life. Je pense que vous comprendrez un peu mieux le parcours d’Elvis, mis en scène par un réalisateur qui a donné son cœur, son âme et de nombreuses heures de travail à ce film”, a expliqué l’héritière Presley dans un post sur les réseaux sociaux. Depuis trente ans et des poussières, Baz Luhrmann incarne un cas particulier de la pop culture. Un homme qui n’est peut-être pas né à la bonne époque, un entertainer aux ambitions larges et aux idées folles, obsédé par le désir de fabriquer des objets filmiques qui embrassent plusieurs genres et nous font décoller du sol en musique. Le cinéaste a ses adeptes et ses contempteurs, mais il ne laisse à peu près personne indifférent. Ce qu’il propose frôle le kitsch, assume l’impur, mais révèle aussi la beauté du monde perçue comme une extravagante mélodie.

 

Dans Elvis, le réalisateur né il y a soixante ans en Nouvelle-Galles du Sud s’attaque à un monument. Le genre de défi qui ne l’effraie pas vraiment, neuf ans après Gatsby le Magnifique, une adaptation de Francis Scott Fitzgerald avec Leonardo DiCaprio, qui a été son plus grand succès commercial. Sa vision du grand chanteur mort à Memphis en 1977 est axée sur la relation de l’idole avec son manager Tom Parker (Tom Hanks), au gré d’un récit au long cours (deux heures quarante) qui tente de déjouer les attentes classiques du biopic. On y suit l’amour du jeune Elvis pour la musique noire, ses premières années de succès où il fait littéralement entrer la sexualité dans la musique populaire, avant la lente et inexorable chute dont il ne se relèvera pas. “L’histoire d’un garçon tout maigre qui s’est transformé en super-héros”, dit la voix off. Celle d’une icône que Luhrmann met en scène comme une divinité contemporaine.

 

 

Dans Elvis, on suit l’amour du jeune chanteur pour la musique noire, ses premières années de succès où il fait littéralement entrer la sexualité dans la musique populaire, avant la lente et inexorable chute dont il ne se relèvera pas.

 

 

Dans le premier film du cinéaste, Ballroom Dancing [Strictly Ballroom] (1992), le héros, pourtant spécialiste de danse de salon – comme la mère de Baz Luhrmann –, avait l’allure d’un Elvis provincial. Il dégageait une animalité que l’on retrouve encore ici, mais décuplée, plus fascinante que jamais. Cela s’appelle avoir de la suite dans les idées. Le réalisateur fait partie des très rares artistes actuels à qui l’industrie du cinéma donne les moyens de son envie : lier l’image et le son en une danse sans limites. Cela lui est venu dès ses premières années où, vivant dans une ferme isolée, il amuse safamille et ses amis avec des spectacles musicaux improvisés. Plus tard, son père devient propriétaire d’une station-service et d’un petit cinéma local. Luhrmann regarde aussi la télévision, sur l’unique chaîne qui diffuse des classiques cinéphiles et des films musicaux. “Quand j’étais enfant, j’adorais les comédies musicales, a-t-il expliqué. J’ai vu très tôt The Band Wagon [Tous en Scène, 1953] de Vincente Minnelli et Top Hat [Le Danseur du dessus, 1935] avec Ginger Rogers et Fred Astaire. Mon amour du langage cinématographique artificiel, capable de créer une émotion identifiable et une expérience humaine, tout cela est né à ce moment-là.

 

Sur le logo de sa maison de production figurent plusieurs mots-clés que Baz Luhrmann veut faire fructifier dans une œuvre plus riche que la simple réalisation de films – il a mis en scène des opéras, l’une des plus célèbres publicités Chanel au mitan des années 2000, et créé une série pour Netflix. Ces mots qui impriment son imaginaire exhalent une belle simplicité : “Vérité”, “beauté”, “liberté”, “amour”. On trouve aussi cette phrase pensée comme un slogan, voire un manifeste : “A life lived in fear is a life half lived.” (“Une vie vécue dans la peur est une vie à moitié vécue.”) Ce principe, le réalisateur a réussi, dès le début des années 2000, à le mettre en pratique à grande échelle dans son travail. Après le succès de Roméo + Juliette (1996) où la musique se montrait déjà extrêmement présente, il se lance dans le rêve de sa vie : réaliser une véritable comédie musicale, pour garder vivant le souvenir de l’enfant qu’il a été, émerveillé par les couleurs et les musiques du Hollywood classique. Son père meurt le premier jour du tournage, qu’il achève épuisé, mais heureux. Moulin Rouge (2001) est un succès qui impose au monde sa version nouvelle d’un genre éternel, un remix de l’opérette à la française et de la comédie musicale post-Broadway, plein de matières et de vivacité. Nicole Kidman et Ewan McGregor vivent une histoire d’amour dans un décor cliché et onirique, où Jacques Offenbach croise Marilyn Monroe, Smells Like Teen Spirit de Nirvana succède à Elton John et à Madonna, tandis que The Show Must Go On de Queen et Diamond Dogs de Bowie fricotent tranquillement. Sans compter que figure sur la bande originale l’un des plus grands tubes de cette décennie déjà riche, Lady Marmalade, reprise de la chanson années 70 de Bob Crewe et Kenny Nolan par Christina Aguilera, Lil’ Kim, Mya et Pink.

Photo Hugh Stewart © 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved Photo Hugh Stewart © 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved
Photo Hugh Stewart © 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved

“Dès le moment où j’ai commencé à faire des films, a-t-il expliqué, j’ai été obsédé par le fait de trouver un langage musical qui puisse fonctionner aujourd’hui. Étant fan des comédies musicales depuis l’enfance, je voulais leur redonner vie. Donc, en réalisant Moulin Rouge, j’ai voulu réinventer avec mes collaborateurs une forme ancienne. Ce qui me paraît fondamental dans ces films, c’est qu’ils ne jouent pas sur des ressorts psychologiques. L’intrigue est souvent évidente. L’art surgit dans la manière de donner corps à l’émotion, à travers un langage visuel et surtout avec la musique... Durant toute cette aventure, il y a eu des moments où des personnes que je respecte dans l’industrie croyaient réellement que le ‘musical’ ne serait plus jamais populaire. Avec le recul, on voit que la comédie musicale est toujours importante dans le cinéma contemporain, et cela me réjouit.” Même si l’auteur d’Australia (2008) voit un peu midi à sa porte, il est vrai que les années 2000 et 2010 ont vu les comédies musicales remonter en haut du box-office, avec notamment la série de films Step Up [Sexy Dance] consacrés à la rencontre de la danse classique et du hip-hop. Mais l’échec commercial du West Side Story de Steven Spielberg, sorti fin 2021, a toutefois prouvé qu’une époque était révolue. Avec son Elvis, qui n’est pas à proprement parler une comédie musicale mais un film sur la musique et sur un musicien, Luhrmann lui-même entérine peut-être l’idée que la période bénie se trouve derrière lui. L’un de ses films préférés, Star 80 (1983), l’ultime long-métrage de Bob Fosse, baignait déjà dans une intense mélancolie.

 

D’une certaine façon, Baz Luhrmann avait déjà réalisé son grand œuvre musical “terminal” avant-même Elvis. The Get Down n’a duré que onze épisodes, fauché en plein vol après sa première saison. Mais cette série commandée par Netflix et diffusée entre 2016 et 2017 a marqué celles et ceux qui l’ont vue. Une joyeuse et profonde histoire de pionniers située dans le New York des années 70, plus précisément dans le South Bronx, berceau du hip-hop et quartier en majorité latino et noir. Ezekiel, Mylene, Ra-Ra et d’autres découvrent leur passion pour cette musique émergente et tentent de percer dans un environnement souvent hostile, alors que la ville est aux mains du maire républicain Ed Koch. Entre féerie et réalisme, une atmosphère s’installe où tout semble possible. Le réalisateur, qui n’avait jamais abordé le hip-hop auparavant, a d’abord eu l’intelligence de s’entourer de personnalités ayant vécu le moment en direct, comme DJ Kool Herc, Grandmaster Flash et Afrika Bambaataa, mais aussi Kurtis Blow, Grandmaster Caz, Rahiem. Grâce à Nas, embauché pour intégrer l’équipe de production, la série mêle morceaux d’époque et créations inédites.

 

 

“Ce qui me paraît fondamental dans mes films, c’est qu’ils ne jouent pas sur des ressorts psychologiques. L’intrigue est souvent évidente. L’art surgit dans la manière de donner corps à l’émotion, à travers un langage visuel et surtout avec la musique.” – Baz Luhrmann

 

 

Christina Aguilera, Michael Kiwanuka, Janelle Monáe, mais aussi des acteurs comme Jaden Smith ont également apporté leur contribution. Une question de crédibilité et la marque d’une certaine humilité de la part de l’Australien, qui a su trouver la bonne distance pour évoquer les communautés pauvres de la Grosse Pomme et mettre en avant la dimension sociale de son travail, comme il ne l’avait encore jamais fait aussi frontalement. “Dans les ruines, il y a l’espoir d’un trésor”, dit le titre du premier épisode. Et on y croit. Conçus comme de longues glissades d’images et de sons, les épisodes de The Get Down donnent à leur créateur l’occasion d’atteindre la plénitude de son style. Une question de flow, soit la base du hip-hop. Les dialogues sont peut-être en apparence naïfs, mais ils sont surtout vitaux pour les personnages, auxquels Luhrmann offre un écrin délicat, des moments suspendus, dansants, chantés...

 

C’est parfois dans les projets a priori “mineurs” de leur œuvre que l’on découvre la nature des artistes que l’on aime. Qui regarde The Get Down apprend irrésistiblement à aimer Baz Luhrmann... sauf peut-être certains de ses employeurs. Extrêmement coûteuse, avec un budget estimé à plus de 120 millions de dollars, la série a été stoppée par Netflix alors que son créateur n’avait plus le temps de s’y consacrer entièrement. Il préparait déjà son Elvis, aventure filmique hors norme à laquelle il pense depuis 2014, repoussée à cause de la pandémie mais finalement prête à se dévoiler. Le budget n’a pas été annoncé, mais on parie qu’une fois de plus le cinéaste a su faire plier le studio Warner pour laisser résonner les chansons du King. Pour Baz Luhrmann, le ciel est toujours la limite. Il se permet tout, non pas au nom du caprice, mais de l’intensité de ses visions. Son acharnement à ne pas respecter les codes du bon goût va de pair avec cette ambition. Il propose un cinéma total, affranchi des codes et des étiquettes : “J’ai toujours été aveugle à l’idée de haute et de basse culture”, plaide-t-il. Une phrase digne du King.

 

 

Elvis de Baz Luhrmann avec Austin Butler, sortie en salle ce mercredi 22 juin.