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20 En direct de Cannes 2022 : Armaggedon Time, l’autobiographie subtile de James Gray

En direct de Cannes 2022 : Armaggedon Time, l’autobiographie subtile de James Gray

Cinéma

Présenté hier en compétition officielle au 75ème festival de Cannes 2022, le film “Armaggedon Time” du réalisateur américain James Gray évoque avec délicatesse sa jeunesse au sein d’une famille juive dans le Queens des années 80.

 

Banks Repeta et Anthony Hopkins dans Armageddon Time de James Gray Banks Repeta et Anthony Hopkins dans Armageddon Time de James Gray
Banks Repeta et Anthony Hopkins dans Armageddon Time de James Gray

Je suis allé dans la jungle et dans le cosmos et j’ai adoré. Mais à un moment donné, on comprend que l’infini est en soi. Et si on parvient à s’exprimer sincèrement et sans détour, c’est ce qu’on peut faire de mieux. Je voulais rentrer à la maison, réaliser un film qui serait le plus personnel possible.” Après l’odyssée spatiale d’Ad Astra (2019) où le rapport au noir des planètes appuyait une métaphore des relations père-fils, les mots de James Gray sonnent juste. Devant la délicate autobiographie que propose le réalisateur américain avec Armageddon Time (titre emprunté à une chanson reggae de Willie Williams, reprise par The Clash en 1979), beau film au classicisme intranquille, l’impression domine d’assister à un dévoilement intime qui touche pourtant aux blessures collectives contemporaines.

 

C’est la force éternelle du cinéma américain en général et de celui de James Gray, l’un de ses plus ardents exégètes, en particulier : travailler la matière du monde sans forcément en avoir l’air, donner aux personnages une aura, une portée qui les dépasse et dont eux-mêmes ne sont pas du tout conscients. Ici, le réalisateur de The Yards raconte la fin de son enfance, sa perte de l’innocence à la fois douce et dure à travers. Le jeune Paul Graff est issu comme lui d’une famille d’immigrés juifs du Queens, à New York. Ce gamin entre au collège public en 1980 et se rapproche de Johnny, un garçon noir en rupture familiale et scolaire, dont il devient très vite le meilleur ami. Les deux préados ont des rêves compatibles, mais le problème, c’est que l’Amérique ne permet pas à tout le monde de rêver à égalité. Surtout celle que va proposer Ronald Reagan, président à venir dont la silhouette apparait à la télévision.

Jeremy Strong et Anne Hathaway dans Armageddon Time de James Gray Jeremy Strong et Anne Hathaway dans Armageddon Time de James Gray
Jeremy Strong et Anne Hathaway dans Armageddon Time de James Gray

Gray décrit son milieu familial – une mère attentive et surbookée, un père frustré et parfois violent, un grand-père aux idéaux très solides – avec un amour énorme, ce qui rend la trajectoire du film encore plus saisissante. Derrière les traumas communs issus de la seconde guerre mondiale puis de l’immigration, les peines du passé qu’il ne faut jamais oublier, le cinéaste montre à quel point ce climat familial peut produire et assumer de la brutalité presque malgré lui. Ce ne sont pas seulement les coups de ceinture du père dont on parle, mais aussi et surtout ce qu’on appelle aujourd’hui le privilège blanc. Armageddon Time en décortique les rouages avec une grande précision. Après un incident dans son collège public, Paul est transféré dans un établissement beaucoup plus huppé où un discours destiné aux élèves de cette “élite” est assuré par Maryanne Trump (jouée par Jessica Chastain, parfaite). Là-bas, il découvre les saillies racistes de ses nouveaux camarades et se rend compte bientôt que rien de mal ne pourra lui arriver, même s’il enfreint la loi, tandis que son ami Johnny vit de l’autre côté du miroir trompeur que l’Amérique tente de se renvoyer elle-même. 

 

La famille de Paul a beau détester Reagan et les républicains, elle se protège et assure son avenir en écrasant les autres s’il le faut. L’idée du collectif en meurt probablement. Telle est la morale triste de ce film qui tout à coup parait beaucoup plus explosif que son rythme parfois pépère le suggère, et férocement contemporain. Le tout porté par des comédiens entièrement voués aux détails de cette histoire qui n’a l’air de presque rien : Anne Hathaway, percutante en mère faussement effacée, Jeremy Strong, le Kendall de la série Succession, parfait dans son rôle père aimant et animal, mais aussi, planant au-dessus de toutes et tous, Anthony Hopkins, dont les scènes tirent systématiquement les larmes. C’est déjà beaucoup pour un “petit” film personnel que l’on pourrait bien retrouver au palmarès en fin de festival.

 

Armaggedon Time, de James Gray. En compétition. Au cinéma prochainement.