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22 Rencontre avec Hugo Sélignac, le producteur derrière les plus grands succès du cinéma français

Rencontre avec Hugo Sélignac, le producteur derrière les plus grands succès du cinéma français

Cinéma

À 36 ans, Hugo Sélignac enchaîne les succès. Il a déjà produit plus d'une dizaine de films avec sa société Chi-Fou-Mi Productions, été nommé 19 fois aux César en 2019 et en a remporté deux. Mais comme tous les acteurs de l'industrie du cinéma, il attend la réouverture des salles pour partager avec le public ses deux derniers films, “Mandibules” et “BAC Nord”, dont les sorties ont plusieurs fois été décalées et finalement prévues début 2021. 

Hugo Sélignac par Marcel Hartmann Hugo Sélignac par Marcel Hartmann
Hugo Sélignac par Marcel Hartmann

Sur Instagram, Adèle Exarchopoulos se moque lorsqu’il se goinfre de chocolats et Tahar Rahim commente, hilare, des clichés de lui gamin. C’est aussi là qu’Hugo Sélignac montre une partie de sa vie, partage des vidéos de ses deux enfants et fait des blagues à ses quelques onze mille abonnés. Presque aussi populaire que certains acteurs, cet ancien collaborateur d’Alain Attal (chez Trésor Films) représente à lui seul une nouvelle génération de producteurs. En “nabab 2.0”, il assume vouloir faire des bons films, gagner de l’argent et remporter des prix, n’expose pas ses gros cigares et sa Rolls Royce mais s’affiche complice, plutôt en K-way qu’en costard, avec les stars qui jouent dans ses films. Celles-là sont nombreuses. Parmi elles, Leïla Bekhti, Gilles Lellouche et Jérémie Renier – des grands comédiens qu’il a même poussé à réaliser leurs premiers films –, François Civil, Karim Leklou ou encore Grégoire Ludig et David Marsais – le duo du Palmashow –, hilarants dans Mandibules, le dernier film qu’Hugo Sélignac a produit. Sans avoir fait d’école de cinéma, en ayant raté son bac mais en se passionnant pour l’écriture des films et la post-production, il a réussi le pari de confondre comédies populaires à œuvres de qualité. Rencontre.

 

 

Numéro : “Mandibules” a fait beaucoup de bruit à la Mostra de Venise. Une sélection dans un festival est-elle indispensable pour qu'un film fonctionne ?

Hugo Sélignac : Lorsqu'un film ne va pas en festival, il a du mal à rayonner à l’étranger. Le Festival de Cannes, la Mostra de Venise, le Festival de Toronto ou la Berlinale sont un véritable cachet et nous permettent de vendre notre film et de les faire voyager à travers le monde. Par exemple, dans le cas de Mandibules, nous avons commencé la promotion du film pendant le festival en diffusant la bande-annonce directement sur les réseaux sociaux… C'était une véritable rampe de lancement.

 

 

Les festivals permettent aussi aux films d'être achetés par des plateformes. Faites-vous partie de ces producteurs qui les renient ?

Je suis à fond pour les plateformes ! Mais je le suis aussi pour le cinéma et la télévision. À chaque nouveau projet je réfléchis à l’endroit idéal pour sa diffusion et quand il y a un nouveau médium pour s’exprimer artistiquement, je suis heureux ! Ça fait 15 ans que les gens regardent des séries et pourtant ils vont encore au cinéma. 

 

 

 

“Un film de 3h30, ce sera compliqué à diffuser sur une chaine hertzienne. Alors que sur les plateformes, on s'en fout !”

 

 

 

C'est pour cela que vous vous êtes entêté à sortir Mandibules au cinéma ?

Plusieurs plateformes m'ont proposé d'acheter le film, mais ça n'a pas abouti : j’estime qu'en terme de rythme, c’est une œuvre qui a été réfléchie pour le cinéma. Sur Netflix, les comédies voyagent moins bien à l'étranger, certaines blagues sont très mal traduites par exemple… Les films de genre font des cartons monumentaux, ils correspondent à un public qui aime le cinéma d’action donc engendrent plusieurs dizaines de millions de vues. C'est ce qui est arrivé avec Le Chant du loup, Balle Perdue [film d’action français de Guillaume Pierret sorti en 2020 directement sur Netflix] et dernièrement Bronx d’Olivier Marchal. Pour les films d'action, sortir sur plateforme, c'est s'assurer un rayonnement international. 

Vous arrive-t-il de travailler sur des projets directement destinés à des plateformes ?

Aujourd’hui, il ne faut surtout pas considérer qu'un projet pour Netflix ou Amazon est un sous film. Pour moi, l’exigence sera la même. Mes réalisateurs et moi avons un désir très fort de cinéma tout en considérant ce que les plateformes nous offrent. Par exemple, j’ai produit le premier film de Julien Royal, une comédie adaptée de la websérie En Passant Pécho, dont l’histoire est centrée sur deux dealers interprétés par des inconnus. Un projet transgressif dont aucune chaîne française ne voulait. On m’a répondu : “Les gens qui regardent la télé veulent des têtes connues”. Grâce à Netflix, ou a tourné 8 semaines et on a eu 60 décors, et 100 comédiens… 

 

 

Est-ce pour cette raison que Martin Scorcese ou David Fincher se réfugient derrière Netflix pour avoir carte blanche et réaliser des films interminables dont les distributeurs ne veulent pas ?

Tout dépend de leurs objectifs financiers. Personnellement je trouve extraordinaire qu’il y ait encore des films de 3h30 qui racontent beaucoup de choses du début à la fin. Aujourd’hui, il est quand même plus compliqué de financer des films, donc on va à l’essentiel. 3h30, ce sera compliqué à diffuser sur une chaîne hertzienne. Et les distributeurs seront frileux car un film trop long signifie moins de séances sur une journée. Sur les plateformes, on s’en fout ! On scindera le film en deux parties, ou pas. En tout cas, pour un film de 3h30, vous avez intérêt à produire un chef-d'œuvre.

 

 

 

“Jeff Bezos a raison : s'il y a une série qui défonce, il faut mettre le prix !”

 

 

 

Warner Bros, l'une des plus grosses boîtes de production américaine, a l'intention de sortir ses films en salle et sur la plateforme HBO Max le même jour. Pensez-vous que c'est une bonne idée ?

Ce serait impossible de faire ça chez nous. En France, la “chronologie des médias” protège chaque secteur [selon un calendrier précis, un film sort en salle, puis en VOD, sur les chaines payantes et enfin sur les chaines hertziennes]. Aux États-Unis, c'est différent, ils font ça depuis très longtemps. Regardez ce que Sony a fait avec Trolls 2, un film familial très attendu : ils l'ont directement sorti en VOD à 50 dollars en partant du principe que se réunir à 5 devant un écran équivaut à 5 billet de cinéma à 10 dollars.

 

 

En fait, c'est un système qui a grandement profité de la pandémie ! 

Oui, c’est un coup dur pour les salles américaines. Le plus gros exploitant de salles aux États-Unis a levé 1 milliard justement pour contrer l’effet du Covid-19 sur le marché et attaquer les studios.  

 

Cette année, Amazon a dévoilé son budget de production pour la première saison de la série “Le Seigneur des Anneaux : 200 millions de dollars. Jeff Bezos est-il allé trop loin ?

Ça ne me choque pas. Aujourd’hui, produire un film comme Le Seigneur des Anneaux couterait 250 millions de dollars. Chaque Avengers, chaque Nolan, chaque James Bond coûte entre 200 et 300 millions de dollars. Pour le coup, ça démarre très fort et si elle suit le même schéma que les autres séries comme Game of Thrones, la dixième saison coûtera peut-être un milliard de dollars ! [rires] Si vous avez les moyens comme Jeff Bezos de voir très grand, il faut foncer ! Le principal c’est de faire des bons projets, s'il y a une série qui défonce, il faut mettre le prix.

 

 

Pourtant la série Succession [diffusée sur HBO et OCS en France] a cartonné pendant le confinement et n'a pas coûté très cher : ce sont principalement des huis clos et les acteurs sont inconnus…

Quand c’est bien, c’est bien. Le prix reste une donnée dont on se fiche. Dans le cas de Succession, la mise en scène est très réussie, le scénario est dément, l'histoire est centrée sur des milliardaires, il y a une grande direction d'acteurs et ces derniers sont excellents… Il y a toujours de la place pour les bons projets.

 

 

 

“Un bon producteur doit prendre des risques, quitte à dire une connerie”

 

 

 

Puisque nous parlons d'argent… La grande notoriété d'un acteur justifie-t-elle ses cachets démesurés ? 

Vous savez, j’ai un coté un peu monomaniaque : ça fait 20 ans que je vais dans les mêmes restaurants et que je prends les mêmes plats, je sais qu’ils sont bons et j’ai pas envie de me planter. Et c’est peut être un peu pareil pour les gens avec qui je travaille. Je n’ai jamais regretté une seule fois de bien payer quelqu’un. Parfois, certains acteurs avec qui j’ai bossé pour de gros cachets signent avec moi pour un autre film avec moins de budget et savent alors faire des efforts. C’est surtout une question de confiance : par exemple, Adèle [Exarchopoulos] a été conciliante pour Mandibules parce que c’est un petit film mais a été bien mieux payée pour BAC Nord malgré son petit rôle, car j'avais davantage de moyens.

 

 

Comment les cachets sont-ils calculés ?

Leur montant est lié à la durée du tournage, au temps nécessaire à la préparation du film ou à la tournée promotionnelle, à leur talent, à leur notoriété… Quoiqu'il en soit, lorsque je ne suis pas à l’aise avec le prix, je refuse l’offre. Je ne me ferais jamais prendre en otage. Mais un putain d'acteur sera toujours idéal pour le rôle ! 

 

 

Vous qui avez l'habitude de produire des premiers films, comment sait-on d’emblée que le metteur en scène ne va pas se planter ?

Les grands acteurs ont toujours des choses à raconter donc je les pousse parce que leur vision du monde, leur sensibilité et leur références cinématographiques m’intéressent. Un bon producteur doit prendre des risques. Quitte à dire une connerie je ne me prive jamais d’exprimer ma sensibilité, ma vison ou mon avis. Produire un premier film, c'est aussi accompagner quelqu’un tout au long de sa carrière, c’est passionnant. Aujourd’hui, je suis aussi heureux que certains réalisateurs, au bout de leur troisième film ou plus, viennent frapper à ma porte pour faire autre chose. En me contactant, Quentin Dupieux, Vincent Macaigne ou Louis Garrel cherchent quelque chose de plus populaire, tout en gardant un désir de qualité. Et cette image me va très bien : un gars populaire qui aime la qualité.

 

 

“Mandibules” (2020) de Quentin Dupieux, avec Adèle Exarchopoulos, Grégoire Ludig, David Marsais et Roméo Elvis, en salle début 2021.

 

“BAC Nord” (2020) de Cédric Jimenez, avec Gilles Lellouche, François Civil, Karim Leklou et Adèle Exarchopoulos, en salle début 2021.