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22 Laetitia Casta : "Certaines mannequins font du cinéma pour gagner de l'argent… ça ne peut pas fonctionner!”

Laetitia Casta : "Certaines mannequins font du cinéma pour gagner de l'argent… ça ne peut pas fonctionner!”

Cinéma

Dans La Croisade, son dernier film, Laetitia Casta incarne une réplique de ce qu’elle est dans la vie : une mère de famille mariée à Louis Garrel. Et la magie du scénario coécrit par Jean-Claude Carrière la transpose en écolo aux convictions timides initiée ensuite par son fils aux combats les plus féroces menés par Greta Thunberg.

Laetitia Casta par Mark Pillai Laetitia Casta par Mark Pillai
Laetitia Casta par Mark Pillai

Elle est souvent citée, avec Brigitte Bardot, Catherine Deneuve et Inès de la Fressange, comme l’incarnation du mythe de la Parisienne. Cette femme fatale qui ne sort jamais sans son rouge à lèvres couleur velours, porte sa baguette sous le bras et écrase ses cigarettes Vogue en buvant des cafés serrés dans un troquet du 6e arrondissement. Mais Laetitia Casta en est loin. Plutôt bienveillante qu’arrogante, d’un calme olympien bien que prête à s'enflammer par certains sujets dont l’écologie, elle se décrit comme une femme très méditerranéenne, italienne dans l’âme et très éloignée d’une certaine élite. Mère de quatre enfants, celle qui a été propulsée, à la fin des années 90, de sa campagne normande aux défilés de Jean Paul Gaultier et Yves Saint Laurent, ne séduit rien d’autre que les objectifs et les caméras, notamment celle de son mari, le cinéaste Louis Garrel. Dans La Croisade, son dernier film, elle incarne une réplique de ce qu’elle est dans la vie : une mère de famille mariée à ce dernier. Et la magie du scénario coécrit par Jean-Claude Carrière la transpose en écolo aux convictions timides initiée ensuite par son fils aux combats les plus féroces menés par Greta Thunberg.

 

Numéro : Dans La Croisade, vous jouez pour la deuxième fois sous la direction de votre mari, Louis Garrel. Le tournage s’arrête-t-il une fois que vous rentrez à la maison ?

Laetitia Casta : Louis vient d’une famille où tout le monde travaille dans le cinéma. Moi, c’est différent. Ma carrière s’est construite au fur et à mesure. J’estime arriver à séparer ma vie intime du travail même si à chaque tournage, c’est un engagement total. Je pense souvent à John Cassavetes et Gena Rowlands qui écrivaient les films ensemble. Ils travaillaient dans leur maison, où les acteurs eux-mêmes répétaient… J’aime cette idée de faire un cinéma artisanal.

 

Je crois que ce côté artisanal s'est exercé pour La Croisade, et que certaines scènes ont été rajoutées en cours de tournage… 

Oui et c’est aussi dans ce sens que le film est écolo. Au moment de tourner, le Covid-19 est arrivé, tout le monde a été mis sur pause et on a dû se débrouiller. Alors on a fait avec les chiens des voisins, on a demandé aux enfants de voir avec leurs amis s’ils ne voulaient pas jouer dans le film…

 

Dans une scène, le fils annonce à ses parents avoir fait l’amour pour la première fois. Il n’a qu’une dizaine d’années et cela paraît tout à fait normal à sa mère…

[Elle coupe court.] Pourquoi ça poserait problème ? Cette manière de penser, en fait, n’est pas du tout éloignée de la mienne. 

 

Vous l’appliquez à votre vie de famille ? 

Complètement. On n’a pas besoin de séparer le monde des adultes et celui des enfants. J'accorde beaucoup d’importance à la communication. Chacun a le droit d’avoir sa vie, son désir, sa manière de voir les choses…

 

Vos parents eux-mêmes ont-ils été très présents lorsque vous avez débuté votre carrière dans le mannequinat ?

Mon père m'accompagnait dans les studios télé. Il prenait soin de montrer qu’il était bien derrière moi. Mais il a toujours été très pudique par rapport à ce que je faisais, il attendait des heures dans la voiture…

Louis Garrel et Laetitia Casta dans “La croisade” © Pierre-Ange Carlotti - Why Not Productions Louis Garrel et Laetitia Casta dans “La croisade” © Pierre-Ange Carlotti - Why Not Productions
Louis Garrel et Laetitia Casta dans “La croisade” © Pierre-Ange Carlotti - Why Not Productions

Dans les années 2000, alors que vous aviez à peine la vingtaine, vous disiez être harcelée lorsque vous vous promeniez dans les rues de Paris. Est-ce pour cette raison que vous avez décidé d’emménager à Londres ?

À cette époque-là, j’étais une citoyenne du monde. J’ai vécu partout : à New York, à Londres… 

 

Vous aviez d'ailleurs fait la une d’un journal conservateur anglais qui vous accusait d’exil fiscal. Comment l’avez-vous vécu ?
À l’époque, il y avait tout un mouvement politique autour de ça et on m’a un peu érigée en “mauvais exemple”, alors qu’évidemment, je payais mes impôts ! J’étais très jeune, j’avais dix-huit ans et c’était étrange de devoir affronter ça si jeune. D’un coup, j’ai quand même vu les flics débarquer chez moi… Et finalement, ça s'est fini aussi vite que c’est arrivé. Traverser cette histoire m'a beaucoup fait penser à Isabelle Adjani lorsque des rumeurs prétendaient qu’elle avait le sida, et qu'elle avait dû aller se justifier sur les plateaux télé, c’est tellement bizarre… Tout ça, finalement, m’a appris à m'affirmer, à devenir ce que je suis. C’était le début de la construction de ma pensée, de mes convictions. 

 

Ensuite, on a moins entendu parler de vous, on lisait moins d’articles dans les journaux… Que s’est-il passé ?

Je me suis un peu retirée de la vie médiatique. J’avais besoin de construire ma vie à moi, de m’appartenir. Et d'être toujours dans une forme de sincérité : je ne voulais pas devenir l’image de l’image.

 

Entre cette époque et aujourd'hui, percevez-vous un vrai changement de regard de la société ?

Aujourd’hui, en effet, la société a beaucoup changé. On est plus ouverts. Regardez comment la situation des femmes a bougé ! On a une chance inouïe de vivre cette période historique.

 

Justement, à ce propos, que pensez-vous de l’omniprésence de la chirurgie esthétique aujourd’hui sur les podiums ? Y en avait-il autant avant ?

Je crois que Marilyn Monroe s’est fait refaire le nez. 

 

Vous voulez dire que la chirurgie était tout aussi présente mais que l'on en parlait moins ? 

Regardez Juliette Gréco… il y a énormément d’exemples. Néanmoins, il y a quelque chose qui me gêne. Que Marylin Monroe, adulte, ait décidé de se faire refaire le nez, soit. Parce que son visage était construit. Le problème, c’est que des jeunes filles de quatorze ans le fassent alors que leur visage n’est pas totalement construit. Ça aura forcément des conséquences sur leur santé par la suite. À ces toutes jeunes filles, la chose que je voudrais pouvoir leur dire, c'est celle-ci : “Pense d'abord à construire ton identité, ce que tu es en tant que femme, ça, ça va peut-être changer quelque chose pour toi. Ne sois pas dans quelque chose de superficiel en pensant que c’est ça qui va diriger ta vie.

 

C’est arbitraire. Certaines ont construit leur identité de femme à vingt-trois ans tandis que ça arrive plus tard chez d’autres…

Bien sûr. Mais on ne répare pas ses fêlures intérieures par une intervention extérieure. Il faut croire en soi, se faire confiance, accepter ses défauts… Le rap féminin me fascine : ce sont des femmes qui revendiquent par l’ultra féminité une forme de pouvoir. Les paroles assez crues sur la sexualité, sur les femmes dominantes, sur le fait de gagner de l’argent… C’est assez inspirant. Se construire une façade n'enlèvera jamais la fragilité. Arrêtons d’essayer d'être forts en superficie. La fragilité est une force.

 

Aujourd’hui, les mannequins sont aussi influenceuses. Que pensez-vous de cette obligation d’exister sur les réseaux sociaux ?

Il ne faut pas être réfractaire. Accepter le mouvement, se laisser flotter et ne jamais prendre les choses trop au sérieux… C’est la meilleure façon de les traverser.

 

En parlant de mouvement, vous êtes passée du mannequinat au cinéma. Vingt ans après avoir débuté à l’écran, essaie-t-on toujours de vous mettre dans une case ?

C’est peut-être parce que j’ai commencé comme mannequin que mon parcours au cinéma a été plus long : les gens du métier vous enferment quelque part d’une certaine façon – ce qui est très français d’ailleurs… Pas tellement le public, qui est beaucoup plus ouvert. Disons que j’ai dû être très exigeante avec moi-même et accepter tout ce que je suis. Le regard des autres n’a pas d’importance. Aujourd’hui, peut-être que je n'ai plus besoin de me battre, il y a quelque chose qu’il s’est affirmé naturellement.

Avant Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre [2002], on disait que vous gagniez deux millions par an grâce au mannequinat. Se consacrer au cinéma cela signifiait-il pour vous de renoncer à ces montants ? 

Ces sommes, complètement fausses, étaient annoncées dans des magazines comme Voici, toutes ces conneries-là. Et les impôts venaient chez moi en brandissant ces magazines [Rires.] ! C’est vrai que dans le mannequinat, les budgets ne sont pas du même ordre qu’au cinéma. Mais j'ai préféré écouter ma passion et choisi d'évoluer en tant que femme en me laissant guider par une certaine idée de la joie, de la création et du désir plutôt que par l'idée de remplir mon compte en banque. Certaines de mes collègues pensaient faire du cinéma pour gagner de l’argent… ça ne peut pas fonctionner. Et puis le cinéma qui m'intéressait, c’était un cinéma où il n’y avait pas d’argent. [Rires.]

 

Ça semble toujours être le cas.

Toujours. Et en ce moment, je suis sur les planches… Donc voilà. Finalement, même dans la mode, gagner le maximum n'a jamais été ma motivation. D'une certaine manière, la mode m’a aussi permis de mettre un peu d’argent de côté pour choisir le cinéma que je voulais faire.

 

Pourquoi a-t-on du mal à accepter, en France, qu’une mannequin puisse bien gagner sa vie ?

Surtout que c’est le seul métier où les femmes sont mieux payées que les hommes ! D’ailleurs, ça serait pas mal que partout elles gagnent autant qu'eux ! Au cinéma aussi, j’ai été confrontée à ça…

 

L'âge aussi crée des inégalités : certaines actrices tournent moins en vieillissant. Est-ce vrai qu’on les incite parfois à fausser leur âge sur Wikipédia ?

Possible. Mais je m’en fous. J’ai l’impression qu’une actrice n’a pas d'âge. Elle vit plusieurs vies. C’est marrant parce que, pour moi, en tant que femme, le fait d’accepter mon âge et d’être en phase avec cela me procure le même plaisir que de voir une chose changer : ce n’est plus la même, bien sûr, mais cette nouveauté est très intéressante. Chaque trajectoire est personnelle : vous avez des rides en plus, votre vie est différente… Dans ce registre d'assumer son âge, j’adore l'approche des actrices anglaises ou américaines. Elles sont capables d'aller très loin dans le processus de mise à nu, elles n'ont pas de complexe à se montrer comme ça, écorchées, et elles en sont sublimées.

 

Ce n'est pas le cas en France, à votre avis ?

En France, tout est intellectualisé.

 

À outrance ?

Moi, j’aime que le cinéma m’emmène ailleurs, le quotidien m’emmerde. J’aime le fantastique, les films de Lynch, ceux d’Almodovar, qui montrent la puissance et la force des femmes, et ceux de Fellini, qui tourne avec des femmes très physiques et sensuelles. En France, notre cinéma se construit sur une pensée, sur le scénario, sur une histoire, une vision du cinéma…

 

Les élections présidentielles approchent… Souhaitez-vous vous exprimer sur votre vote ? Écologiste, peut-être ?

M’exprimer sur Nicolas Hulot ? Non je rigole ! Pour l’instant – je ne le cache pas –, je ne sais pas encore vraiment. Aujourd’hui on vote contre quelque chose au lieu de défendre sa pensée. C’est dur.

 

Un commentaire à faire sur Éric Zemmour ?

C’est que du vide. C’est effrayant le vide. Mais bon, ça se voit qu’il n’a pas la carrure d’un président. Moi je n’y crois pas et tout le monde donne trop d’importance à tout ça… On en parle trop.

 

La Croisade (2021) de et avec Louis Garrel, Laetitia Casta et Joseph Engel. En salle.