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Numéro
09 Rencontre avec les frères Karmitz, dirigeants du groupe MK2 et créateurs du tout premier hôtel-cinéma d'Europe

Rencontre avec les frères Karmitz, dirigeants du groupe MK2 et créateurs du tout premier hôtel-cinéma d'Europe

Cinéma

À l'occasion de l'ouverture de l'Hotel Paradiso, le tout premier hôtel-cinéma d'Europe, Numéro s'est entretenu avec ses créateurs, Nathanaël et Elisha Karmitz. Les dirigeants de la société MK2 évoquent la genèse de cet incroyable concept d'hôtellerie, le lancement de leur plateforme de streaming MK2 Curiosity, et leur récent accord avec Netflix, qui propose désormais une partie de leur catalogue de films.

Elisha Karmitz (à gauche) et son frère aîné, Nathanaël (à droite), dirigeants de la société MK2 Elisha Karmitz (à gauche) et son frère aîné, Nathanaël (à droite), dirigeants de la société MK2
Elisha Karmitz (à gauche) et son frère aîné, Nathanaël (à droite), dirigeants de la société MK2

À respectivement 36 et 42 ans, Elisha et Nathanaël Karmitz ont déjà exaucé la plupart de leurs souhaits. Depuis qu’ils ont repris la direction de MK2, la société de production, de distribution et d’exploitation de salles de cinéma fondée par leur père en 1974, les deux frères vont de projets en projets, ont étendu leur réseau à 20 salles France et en Espagne, ne cessent d’ouvrir des lieux toujours plus délirants et innovants et surtout, font bouger Paris à travers le 7e art. Il y a quinze ans déjà, les fils de Marin Karmitz – réalisateur et producteur historique du cinéma indépendant, de Claude Chabrol à Ken Loach – ont eu la ferme intention de rendre l’expérience du cinéma encore plus puissante et unique, en la mêlant à d’autres formes d’art comme la musique, la gastronomie, l’art contemporain ou, plus surprenant, le jeu vidéo. Ils baptisent ce concept "Paradiso", et le traduisent concrètement, en faisant de la capitale le laboratoire de toutes leurs expérimentations. En 2013 et 2015, ils transforment ainsi le Grand Palais en drive-in – où l’on retrouvait, la première année, le concept-store Colette et où l’on pouvait assister à des évènements organisés par Le Baron et le Wanderlust, hauts lieux de la nuit à Paris. En 2018, ils innovent encore en ouvrant le “MK2 VR”, la toute première salle de réalité virtuelle d’Europe, au sein du multiplexe du MK2 Bibliothèque. Cette dernière, qui a fermé ses portes début 2020, a laissé place à une autre salle du même genre, mais installée, cette fois… au Parc des Princes, dans les locaux mêmes du PSG !  À tous ces projets pharaoniques s'ajoute le dernier en date, l'Hotel Paradiso. Tout premier établissement d'hôtellerie a être inauguré par les frères Karmitz, le lieu ne renferme pas de simples chambres toutes en moquette et moulures… Il offre la possibilité, dans ses 36 chambres – dont deux suites –, de voir des films sur grand écran de sa chambre, avec tout le confort du home cinéma, et permet à tout un chacun, de pouvoir, comme un millionnaire, bénéficier de sa salle de projection privée. À l'occasion de son ouverture, Numéro s'est entretenu avec les propriétaires de l'hôtel, Elisha et Nathanaël Karmitz.

 

 

 

Numéro : Votre dossier de presse souligne que la société MK2 veut proposer “une autre idée du cinéma pour offrir un autre regard sur le monde”. En quoi l’ouverture d’un hôtel où les chambres sont des salles de projection propose “une autre idée du cinéma” ? 

 

Elisha Karmitz : Proposer un autre regard du cinéma”, nous le faisons à travers notre métier de programmateur. Celui-ci consiste en effet à proposer à nos clients des contenus que nous sélectionnons avec attention. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où il y a une profusion d’offres et de contenus, et le fait d’avoir ce rôle de préconisation et de prescription est très important selon nous. Dans le cas de l'Hotel Paradiso, il s’agit de proposer, dans les chambres et les suites, une sélection de films établis par nos soins, de mettre à disposition certaines plateformes de streaming, de proposer des playlists musicales composées par MK2, etc.

 

 

Parmi les plateformes de VOD mises à disposition du client dans chaque chambre, il y a en a une qui revient toujours en premier sur l’interface de la tablette : c’est celle que vous avez lancée en 2020, MK2 Curiosity. En êtes-vous satisfaits ?

 

Elisha Karmitz : Nous sommes très contents du succès, oui, et il nous a même surpris parce que son concept était assez nouveau sur le marché des plateformes de VOD. Pour tout vous dire, si nous avons continué, c’est parce que les chiffres étaient au-dessus de nos espérances. MK2 Curiosity est en effet très différente des autres plateformes : il y a une sélection particulière de films d’auteur, la sélection est courte et composée de 5 films qui changent chaque semaine. Parfois on a des films très pointus, donc nous pensions avoir un public d’âge moyen et, étonnamment, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup de jeunes, ce qui nous a beaucoup satisfaits. 

 

Nathanaël Karmitz : En ce moment, on diffuse Cure de Kurosawa, un film culte pour tous les gens qui connaissent le cinéma asiatique des années 90. C’est typiquement le genre de film qui fait partie de l’histoire du cinéma mais qui n'est disponible sur aucune plateforme. En le diffusant sur MK2 Curiosity, nous avons pu redonner à certains programmateurs envie de le rediffuser, et  ce système permet des ventes à l’autre bout du monde, sur des télévisions au Chili par exemple. Avec le confinement, la plateforme nous a permis de rester dans le quotidien de nos spectateurs, mais aussi de redonner à ces films un écrin assez particulier qui les remette en avant. Les gens se disent que grâce à Netflix, ils ont accès à tout, mais ce n’est pas vrai : des pans entiers de l’histoire du cinéma disparaissent, et notre métier, c'est aussi de favoriser leur transmission, c’est aussi d'intéresser le nouveau public à ce type de cinéma-là.

 

 

Pourquoi diffuser certains films de Claude Chabrol sur MK2 Curiosity alors que vous les avez déjà cédés à Netflix ?

 

Nathanaël Karmitz : Parce qu’on ne retrouve pas tout à fait la même chose sur MK2 Curiosity que sur Netflix. Sur notre plateforme, nous diffusons par exemple les bonus que nous avons produits autour de Chabrol, et puis, nous avons mis en ligne Masques [1987], qui peut être loué sur MK2 Curiosity mais qui n’est pas sur Netflix… Nous programmons des films rares qui ont une histoire particulière avec nous, des films méconnus, oubliés ou des bizarreries de l’histoire du cinéma. Par exemple, une partie de l'œuvre de Truffaut a du mal à être diffusée, notamment Les Mistons [1957], parce qu’il n’est pas dans les standards formatés du cinéma d’aujourd’hui… C’est pareil pour beaucoup de cinéastes, c’est pourquoi MK2 Curiosity est là.

 

Une des chambres de l'Hôtel Paradiso © Romain Ricard Une des chambres de l'Hôtel Paradiso © Romain Ricard
Une des chambres de l'Hôtel Paradiso © Romain Ricard

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En 2019, vous disiez au journal Les Échos que Netflix fait “de la télé” et pas du cinéma. Depuis, vous avez accordé une partie de votre catalogue à la plateforme américaine. Est-ce que votre position a changé ? 

 

Nathanaël Karmitz : Non, Netflix est une télévision internationale, une sorte d’avatar mondialisé de Canal +. L’opposition que les gens font entre le cinéma et Netflix, c'est Netflix lui-même qui l’entretient, parce que ça lui permet de défendre l’idée qu'il produit du cinéma pour la télévision. En réalité, un réalisateur qui a travaillé au cinéma et qui tourne un film pour Netflix, c’est comme s’il le produisait pour TF1 ou pour France 2.  La vérité, c’est que la concurrence de Netflix, ce ne sont pas les salles de cinéma mais YouTube, Google ou Apple. C’est pas parce que Deliveroo existe que la restauration est en train de mourir ! Depuis dix ans, le nombre d'entrées enregistré dans les salles de cinéma n’a jamais été aussi fort dans le monde.

 

 

Vous avez pourtant été accusé de pactiser avec le “grand méchant loup”…

 

Nathanaël Karmitz : Ça fait quatre ans qu’on travaille avec Amazon et je n’ai vu personne s'alarmer qu’il y ait 200 films MK2 sur Amazon… Que tous les journalistes se fassent avoir par la communication de Netflix, ce n'est pas mon problème ! Mon métier c’est de diffuser mes films à un un maximum de gens, partout dans le monde et par tous les moyens. Que Netflix ait envie de proposer des films de Truffaut, je les applaudis des deux mains, de la même manière que je peux rester critique sur leur rapport au cinéma et sur le fait que leur président ait déclaré que le cinéma de patrimoine, il n'en avait, je cite, “rien à foutre”. Mais ils ont compris la France, ont changé d’avis, ont pris leurs responsabilités et je m’en félicite. 

 

 

C’est aussi avec la volonté de rendre les films accessibles que, en 2007, vous avez trouvé un accord avec un concurrent, UGC, pour que leur carte d’abonnement illimité fonctionne dans le réseau MK2 ?

 

Nathanaël Karmitz : La carte “illimité” est la meilleure offre au monde d’accessibilité au cinéma, et le monde entier nous envie. Elle donne accès à 80 % des cinémas à Paris et le cinéma indépendant en est le premier bénéficiaire : les cartes “illimité” peuvent représenter jusqu’à 80 % des entrées pour un film d’auteur. 

 

Elisha Karmitz : Si aujourd’hui les offres par abonnement sont devenues d'une banalité absolue, il faut se rappeler que la carte “illimité” a été la première offre de cette nature-là. Donc c'était précurseur et très en avance en termes de consommation de la culture. Il faut quand même redonner à UGC le crédit qu’ils méritent sur ce sujet-là. 

 

 

Vous parlez de cinéma d’auteur… Le dernier film de Céline Sciamma, que vous avez produit, a fait un carton à la Berlinale cette année. En tant que producteurs, comment les affaires marchent-elles pour vous en ces temps de pandémie ?

 

Nathanaël Karmitz : Même si le monde des salles est complètement à l’arrêt, la production, elle, se porte extrêmement bien. On a une programmation de films qui arrivent cette année qui est totalement extraordinaire, le film de Céline Sciamma notamment. Nos films sont vendus partout dans le monde, certains arrivent pour le Festival de Cannes – et devraient être de belles surprises. On sent que le monde continue à tourner quand même, que les films continuent à se vendre, continuent à être achetés et continuent à se fabriquer.