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12 Rainer Werner Fassbinder en 5 portraits de femmes

Rainer Werner Fassbinder en 5 portraits de femmes

Cinéma

Grand réalisateur du nouveau cinéma allemand disparu en 1982, Rainer Werner Fassbinder a laissé derrière lui une carrière hétéroclite, à cheval entre le théâtre et le grand écran. En plus de dessiner les traits politiques de l’Allemagne à travers son œuvre, le cinéaste s’est érigé en tant que porte-parole des voix incomprises et délaissées. Ses films crus font souvent scandale, notamment parce qu’ils sont peuplés de visages marginaux souffrant d’un système qui les étouffe. Homosexuels, prostituées, immigrés, ouvriers, personnes trans… Tous habitent l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder. Plus encore, l’artiste a façonné tout un panel de personnages féminins complexes, brillants au premier plan de son travail. À l'occasion de la diffusion sur Arte de sa série “Berlin Alexanderplatz”, retour sur 5 portraits de femmes fascinantes. 

“Les Larmes amères de Petra Von Kant” (1972). “Les Larmes amères de Petra Von Kant” (1972).
“Les Larmes amères de Petra Von Kant” (1972).

1. Les Larmes amères de Petra Von Kant (1972) : entre sadomasochisme et dépression

 

Adapté de la pièce de théâtre du même nom, Les Larmes amères de Petra Von Kant est un huis clos étouffant habité exclusivement par des femmes. Petra Von Kant (jouée par Margit Cartensen) est une célèbre créatrice de mode. Libre et puissante, elle vampirise son assistante Marlene (Irm Hermann) avec qui elle vit. Lorsqu’elle s’éprend de Karin Thimm (Hanna Schygulla), les rapports de force s’inversent : du statut de bourreau, elle passe à celui de victime. Ce film majeur dans l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder illustre sa capacité extraordinaire à insuffler le théâtre dans son cinéma. Versatile et épuré, le film fait naître des passions violentes, entre amour et haine, souffrances et plaisirs. Mais surtout, il dresse le portrait acerbe de cette styliste dépressive, dont les intérêts superficiels trahissent une époque postindustrielle aseptisée. 

“Tous les autres s'appellent Ali” (1974). “Tous les autres s'appellent Ali” (1974).
“Tous les autres s'appellent Ali” (1974).

2. Tous les autres s'appellent Ali (1974) : quand la veuve s'éprend de l'immigré

 

Réinterprétation d’un film de Douglas Sirk – cinéaste qui figure parmi les plus grandes influences de Rainer Werner Fassbinder –, Tous les autres s’appellent Ali questionne la possibilité de nouer de véritables liens avec l’autre. L’autre ici, c’est un immigré marocain, Ali, dont Emmi Kurowski (une allemande d’origine polonaise) s’éprend alors qu’elle est une veuve de 20 ans de plus que lui. Sur fond de racisme résilient en RFA, le récit façonne la personnalité complexe d’Emmi, qui existe ici à travers celle d’Ali. N’échappant pas aux stéréotypes, les émotions sincères de cette dernière et son combat contre ses enfants peu compréhensifs font pourtant d’elle l’un des personnages les plus touchants du cinéaste. Comme souvent, Rainer Werner Fassbinder invoque ici des “figures” de l'ombre et les place au premier plan. Ali (interprété par l'un des amants de l'artiste) fait non seulement face à une société hostile, mais aussi au racisme banalisé de celle qui l'aime. 

“L’Année des 13 lunes” (1978). “L’Année des 13 lunes” (1978).
“L’Année des 13 lunes” (1978).

3. L’Année des 13 lunes (1978) : un être meurtri rejeté de toutes parts

 

Diffusé dernièrement par la plateforme de streaming MUBI, L’Année des 13 Lunes met en scène le parcours douloureux d’Edwina. Le premier plan du film illustre toute la souffrance du personnage et l’impossibilité de son existence: battue et humiliée, elle est rejetée par des hommes parce qu’elle est une femme. Plus tard, quand son amant rentre chez elle, il la repousse… parce qu’elle ne l’est pas assez. Transgenre, elle est l’incarnation même de la figure du marginal qui dérange et que personne ne veut voir. A travers son histoire, Rainer Werner Fassbinder développe véritablement son propos politique : il fait entrer en scène des prostituées, des mafieux, des homosexuels. Avec froideur, il explore leur sensibilité, sans en épargner les torts et les lâchetés. 

“Le mariage de Maria Braun” (1979). “Le mariage de Maria Braun” (1979).
“Le mariage de Maria Braun” (1979).

4. Le mariage de Maria Braun (1979) : l'incarnation d'une époque

 

Premier volet de La Trilogie Allemande avant Lola, une femme allemande (1981) et Le Secret de Veronika Voss (1982), Le Mariage de Maria Braun invoque l'une des actrices fétiches du cinéaste, Hanna Schygulla. Durant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, son personnage, Maria Braun, épouse un soldat qui doit repartir au front immédiatement après le mariage. Après son départ, celle-ci tente de se construire une vie ancrée à la fois dans le souvenir et le désir de vivre. L’amour s’accorde à la souffrance, aux préoccupations matérielles et à un contexte politique sombre, comme toujours chez Rainer Werner Fassbinder. Le cinéaste dresse à travers Maria Braun le portrait dévasté de l’Allemagne des années 50 et porte un regard critique sur ses habitants qui ne savent comment surpasser les conséquences de la guerre. Maria est le symbole de cette société meurtrie, elle en incarne tous les paradoxes et les illusions, jusqu’à sa fin terrible.

“Le Secret de Veronika Voss” (1982). “Le Secret de Veronika Voss” (1982).
“Le Secret de Veronika Voss” (1982).

5. Le Secret de Veronika Voss (1982) : vivre pour le cinéma

 

Sur le modèle de Marlène Dietrich, Le Secret de Veronika Voss raconte l’histoire d’une actrice déchue, ancienne protégée de Joseph Goebbels, désormais reniée de son public et aux prises avec l’alcool et la drogue. En reprenant Sunset Boulevard (1950) de Billy Wilder, Rainer Werner Fassbinder remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1982. Les plans, dans un magnifique noir et blanc, voient se débattre Veronika dans ce qui est un véritable purgatoire : seule sous l’emprise d’un médecin, faisant face à la peur de l’oubli, elle ne peut exister que par le cinéma. Magnifique mélodrame, Le Secret de Veronika Voss est truffé de références cinématographiques (à Joseph Von Sternberg et Friedrich Murnau par exemple), ce qui en fait une ode exceptionnelle au 7e art et l'un des plus beaux films du cinéaste. 

 

 

Berlin Alexanderplatz (1980) de Rainer Werner Fassbinder, disponible sur Arte.