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04 Du Monde est à toi à Mes frères et moi, rencontre avec Sofian Khammes, l'acteur qui chahute le cinéma français

Du Monde est à toi à Mes frères et moi, rencontre avec Sofian Khammes, l'acteur qui chahute le cinéma français

Cinéma

À 37 ans, l'acteur révélé dans Chouf (2016), de Kamin Dridi, puis dans Le Monde est à toi (2018) de Romain Gavras, enchaîne les rôles remarquables. Dans Mes frères et moi, le premier film de son ami Yohan Manca, il interprète l'aîné d'une fratrie cent pour cent masculine qui n’est jamais pris au sérieux, enchaîne les vannes et tente de ressouder une famille au bord de l’implosion. Un personnage drôle, attachant et curieux à découvrir au cinéma dès le 5 janvier.

Sofian Khammes au dîner des Révélations des César en 2019 © Rindoff Petroff/Viteur Sofian Khammes au dîner des Révélations des César en 2019 © Rindoff Petroff/Viteur
Sofian Khammes au dîner des Révélations des César en 2019 © Rindoff Petroff/Viteur

De mémoire de journées presse sinistres consacrées aux interviews d’acteurs à la chaîne, on a rarement vu une ambiance aussi bon enfant. Sofian Khammes, qui incarne le personnage le plus drôle, attachant et curieux de Mes frères et moi, le film de son ami Yohan Manca, s’agite, grille une, deux, trois, quatre cigarettes et arpente sans cesse les couloirs… À quelques minutes de notre rencontre, il doit encore nous faire patienter. C’est l’anniversaire d’un autre comédien, le plus jeune de la bande des quatre. Il est enfin majeur et ne soufflera que douze bougies, faute de place sur le gâteau. Tous immortalisent le moment à coup de stories Instagram, Sofian Khammes le premier, qui nous invite enfin à s’isoler, dans la hâte : d’ici trente minutes, il doit récupérer son fils à la crèche. Il avoue que cette atmosphère digne des heures de permanence des Terminale B colle à ses souvenirs du tournage : “Parfois, on avait envie de se lâcher, de sortir des blagues salaces ou d’aller boire des coups. Et on se disait que non, on n’avait pas envie de corrompre le petit qui vient d’avoir 18 ans. Mais ce côté tournage familial a renforcé les liens de la fratrie à l’écran.” 

 

Dans ce premier film qui remet en cause les codes de la virilité et traite de l’émancipation à travers l’art, le Marseillais interprète Mo, l’aîné d’une fratrie cent pour cent masculine qui veille sur sa mère mourante dans un quartier populaire du sud-est de la France. Clownesque, le personnage n’est jamais pris au sérieux et enchaîne les vannes, tentant de ressouder une famille au bord de l’implosion lorsqu’elle se rend compte que le benjamin prend des cours de chant lyrique en cachette. On imagine bien ce jeune père de 37 ans camper à peu près le même rôle dans la vie : le pote toujours prêt à dégainer la blague qui fera s’esclaffer tout l’auditoire. Après le premier confinement, celui qui esquisse un rire à chaque fin de phrase a eu du mal à retrouver le chemin des salles de cinéma : “J’ai mis quatre mois à y retourner. C’est fou, on perd l’habitude. Parce qu’il y a une autre routine qui s’installe… Par contre, dès la réouverture des lieux, j’ai saigné les terrasses. Je me disais ‘profite, profite’, donc je commandais les pintes en double !” 

Sofian Khammes a eu une enfance paisible dans le quartier marseillais d’Endoume. Il vit avec sa mère femme de ménage et décrit son quotidien, à l’adolescence, comme aussi tranquille qu’intranquille. Quand on lui demande s’il a côtoyé plusieurs mondes, l’acteur acquiesce : “Comment le saviez-vous ?”. Ces mondes-là, c’est la culture maghrébine et celle des Blancs, les films de Scorsese et de Nolan et les pièces de Shakespeare. À la sortie du Conservatoire national supérieur, en 2014, il joue Richard III et s’éprend du dramaturge anglais. Il trouve la langue sublime, cinématographique et éloquente : “Shakespeare, c’est pour tout le monde. Même à son époque, ça parlait aussi bien aux gens de l’élite qu’à ceux du poulailler.” Encore une histoire de pont entre des univers censés ne pas se croiser.

 

L’acteur enchaîne ensuite les rôles remarquables. D’abord dans Chouf (2016), de Kamin Dridi, où il joue un trafiquant de la cité phocéenne, puis dans Le Monde est à toi (2018) de Romain Gavras, où il incarne l’inoubliable Poutine, un caïd ultraviolent et complètement camé. Deux films disponibles sur Netflix et qui pourraient ouvrir à Sofian Khammes les portes du cinéma international… Si tant est qu’il en ait envie. L’acteur aime les films américains mais ne lorgne pas sur les productions d’outre-Atlantique : “Si des réalisateurs anglophones avaient l’idée de travailler avec moi, ils comprendraient tout de suite à notre rencontre… My English is very very bad !” Il préfère se concentrer sur sa carrière en France, “un truc en progression mais pas linéaire qui se construit au fil des rencontres et qui doit être appréhendé avec ses moments de solitude”. Avant d’évoquer le tournage du prochain film de Cédric Jimenez où il incarne un flic de la sous direction antiterroriste chargé d’enquêter sur les attentats du 13 novembre 2015, le comédien s’emporte sur le côté hystérisant du métier et l’importance de connaître son désir, ses manques et ses limites. Puis il s’arrête net : “Désolé de jouer les philosophes.” On apprendra plus tard qu’il avait entamé une fac de philo à Aix-en-Provence avant de monter à Paris, quelques billets en poche, prêt à chahuter le cinéma français.

 

Mes frères et moi (2021) de Yohan Manca, en salle le 5 janvier 2022.