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13 Stéphane Bak, l'étoile montante du cinéma français qui déboulonne les clichés sur les Noirs

Stéphane Bak, l'étoile montante du cinéma français qui déboulonne les clichés sur les Noirs

Cinéma

Alors qu’il n’est qu’un adolescent de Seine-Saint-Denis vivant chez ses parents, Stéphane Bak fait rire la France entière avec son humour acide décrivant le quotidien de sa communauté. Aujourd’hui, l’ex-star du stand-up est un acteur qui compte bien bousculer les conservatismes du cinéma français et les rôles, encore trop souvent stéréotypés, réservés aux Noirs.

Pull Fair Isle en laine recyclée et sac à dos, EYE/LOEWE/NATURE. Pull Fair Isle en laine recyclée et sac à dos, EYE/LOEWE/NATURE.
Pull Fair Isle en laine recyclée et sac à dos, EYE/LOEWE/NATURE.

Stéphane Bak vient de fêter son quart de siècle. Cela devrait faire de lui une nouvelle tête du cinéma au CV en germination, sauf que rien n’est vraiment normal dans le trajet de ce natif du Blanc-Mesnil qu’une première vie a déjà mené sous les projecteurs et les caméras. Beaucoup se souviennent encore de sa bouille irrésistible d’ado rigolo : au début des années 2010, ce surdoué du stand-up et de la vanne se fait un nom sur les scènes parisiennes et à l’antenne de Canal+. L’équipe de Bref. prend bientôt sous son aile ce “plus jeune comique de France” starisé en mode express. Stéphane Bak a tout juste 14 ans, il amuse les téléspectateurs du Grand Journal, voyage vers Montreux pour le prestigieux Comedy Festival, incarne une génération à qui l’avenir semble promis. Avant, finalement, de bifurquer. Quand nous échangeons avec lui au cœur de l’été, une décennie plus tard, l’élégant vingtenaire tourne le prochain film de Cédric Jimenez sur les jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre, dans la peau d’un jeune policier à la sous-direction antiterroriste, auprès de Sandrine Kiberlain et Jean Dujardin. “Un bonheur”, commente-t-il.

 

 

“La télévision impose un rythme un peu traître et on y consomme les gens.”

 

 

Le jeune homme devenu acteur de cinéma à plein temps n’est plus monté sur une scène de stand-up depuis des lustres. Sans regret. “Les désirs que l’on a adolescent ne sont pas forcément les mêmes quand on grandit. Aujourd’hui, je me retrouve davantage dans le cinéma. Quand j’ai pris la décision d’arrêter la comédie, j’estimais que le milieu du stand-up se fragmentait et ne racontait plus grand-chose. Dans ma tête, je tournais en rond. J’avais 13 ans et demi quand j’ai commencé la scène. Cela a pris beaucoup de mon adolescence et de ma construction. Ce n’est pas dit qu’un jour je n’aurai pas des choses nouvelles à dire. Mais, d’abord, il faut vivre, expérimenter.” Stéphane Bak s’exprime d’une voix posée, celle de l’expérience, pour revenir sur ses premières années, exaltantes mais frustrantes. “La télévision impose un rythme un peu traître et on y consomme les gens. Il y a aussi des restrictions, il faut que ça passe par plusieurs personnes avant de terminer à l’antenne. Ce n’est pas vraiment faire de l’humour ou être un artiste. Sur la longueur, ce rythme ne m’intéressait pas. Je préfère créer, composer, rencontrer les créateurs, échanger des visions du monde. Je me suis rendu compte que j’aimais changer régulièrement d’environnement. Le cinéma, il n’y a rien de mieux pour ça.

Veste à capuche en flanelle, tee-shirt en jersey de coton imprimé et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE. Veste à capuche en flanelle, tee-shirt en jersey de coton imprimé et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE.
Veste à capuche en flanelle, tee-shirt en jersey de coton imprimé et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE.

Afin d’entrer dans la danse des tournages, celui qui a vécu chez ses parents jusqu’à l’âge de 21 ans est d’abord passé par le Cours Florent. “Comme je bossais déjà, c’était un peu compliqué de suivre les cours. J’y suis allé en dilettante. L’école n’a jamais été faite pour moi [Stéphane Bak a quitté le système scolaire très tôt]. Même si je savais toujours faire le strict minimum, je m’ennuyais profondément en cours. Il fallait que je fasse rire mes camarades...” Les rôles qu’il a trouvés sur grand écran, pourtant, n’ont pour la plupart aucun rapport franc avec la comédie. En 2016, il croise la route du grand Paul Verhoeven pour jouer un jeune père illégitime dans Elle, satire du milieu bourgeois français et de ses violences sourdes. En 2019, un autre cinéaste majeur lui fait confiance. Dans L’Adieu à la nuit, d’André Téchiné, Stéphane Bak interprète un prédicateur islamiste qui accompagne le héros (Kacey Mottet-Klein) dans son désir morbide de partir pour la Syrie. À chaque fois, l’exercice se révèle profitable. “Avec ces réalisateurs, on se pose et on la ferme. On apprend ! Ils sont pugnaces et efficaces, malgré leur âge qui les fatigue. Ils ont quelque chose qui pétille et une connaissance du métier redoutable, mais ne t’expliquent pas non plus la vie. Tourner avec André, c’est appartenir à son univers, vivre avec son équipe, toujours la même. Verhoeven peut te dire : ‘Tu sais ce que tu fais là, la scène c’est ça... je te regarde.’ Parfois, ils savent s’effacer le temps de quelques prises... Ils aiment jouer collectif, ce à quoi je ne m’attendais pas.

 

 

“Ça a toujours été ma motivation que de ne pas me cantonner aux rôles destinés aux Noirs : le dealer, le migrant.” 

 

 

Malgré la crise sanitaire, l’acteur sort d’une année intense. En plus de Novembre, de Cédric Jimenez, il a tourné au Sénégal avec Robert Guédiguian, Mali Twist, sur l’indépendance du Mali dans les années 60 : “Je joue un jeune révolutionnaire qui s’oppose au mariage forcé d’une fille dont il est amoureux.” Il a également croisé la route de la lauréate de la Caméra d’or à Cannes en 2017, la réalisatrice de Jeune Femme, Léonor Serraille. Un petit frère raconte “la construction et la déconstruction d’une famille africaine qui migre à la fin des années 80 en région parisienne, résume-t-il. Cet enchaînement de projets attirants ressemble à une percée pour celui qui devient une valeur sûre. Mais l’intéressé ne s’emballe pas, préférant évoquer ce qui l’a passionné dans ces expériences : “Ce sont des sujets qui me parlent et que je trouve inédits dans le cinéma français.” Sur le film de Léonor Serraille, le jeune homme a pu laisser libre cours à sa cinéphilie, se référant à des films comme Un mauvais fils, de Claude Sautet, et Meurtre d’un bookmaker chinois, de John Cassavetes. “Mon amour du cinéma vient d’une grosse curiosité. Comme je n’ai pas pu poursuivre le cursus scolaire, je me suis dit que je devais redoubler d’efforts pour me forger ma propre culture et faire des choses qui me passionnent. Le réalisateur Nicolas Saada, avec qui j’ai tourné la minisérie Thanksgiving, est un grand cinéphile avec qui j’ai conversé de nombreuses fois.

Sweat-shirt à capuche en jersey de coton imprimé, pantalon en patchwork de velours upcyclé et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE. Sweat-shirt à capuche en jersey de coton imprimé, pantalon en patchwork de velours upcyclé et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE.
Sweat-shirt à capuche en jersey de coton imprimé, pantalon en patchwork de velours upcyclé et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE.

Il arrive pourtant un moment où Stéphane Bak bute contre un mur. Celui des représentations à la française et de la place laissée aux minorités, historiquement pauvre. En tant que jeune Noir, il ne peut malheureusement pas éviter le problème. À la question de savoir quels types de propositions sont faites aux personnes de couleur en France, sa réponse fuse : “Les rôles pour les jeunes Noirs, comment dire... J’ai toujours essayé d’auditionner en même temps que d’autres acteurs blancs, indiens ou asiatiques. J’ai fait récemment le film Tokyo Shaking avec Karin Viard, dans lequel mon personnage, à la base, n’était pas noir mais blanc. Sur la minisérie de Nicolas Saada, pareil. Je ne suis pas moins bon qu’un autre, ça a toujours été ma motivation que de ne pas me cantonner aux rôles destinés aux Noirs : le dealer, le migrant. Après, tout dépend de l’histoire et du traitement du sujet, bien sûr. Mais c’est assez segmenté et rarement très valorisant. Il y a encore beaucoup de travail à faire là-dessus dans le cinéma français.” Le futur met en effet un certain temps à se dessiner. Et le nerf de la guerre s’avère à la fois politique et mathématique. “Il y a très peu de réalisateurs et réalisatrices noirs en France, à part Ladj Ly [Les Misérables] et Mati Diop [Atlantique]. J’ai toujours essayé d’aller dans le cinéma que je vois et dans lequel j‘ai envie d’être. Mais ce que je vois, on ne va pas se mentir, est extrêmement blanc. [...] J’ai peu d’exemples, avant moi, de personnages noirs dans les films des réalisateurs avec lesquels j’ai tourné. J’avais envie d’aller sur ces terrains où on ne m’attend pas, et c’est aussi pour cette raison que le challenge du cinéma est hyper excitant pour moi : se dire qu’on va continuer, qu’on va forcer des portes, qu’on va y arriver.

 

 

“Personne ne m’a donné ma chance. J’habitais au Blanc-Mesnil, je suis allé prendre des cours, j’ai tapé aux portes. Toutes ces choses-là se sont faites par ma propre volonté.”

 

 

Alors que les pays anglo-saxons sont engagés dans un processus d’égalité concernant les représentations au cinéma et dans les séries – même si rien n’est parfait –, l’exception française patine, ancrée dans des schémas sociétaux et esthétiques encore datés. “Est-ce que cela met en colère quand on voit le retard français ? La question est compliquée. Oui, ça met en colère, mais la colère est un état. Moi, j’essaie d’être dans l’action, le concret. Le concret, c’est d’aller bosser, d’être irréprochable. Parfois, on nous dit qu’il faut respecter le cadeau qui nous est donné. Mais ça... On te dit souvent qu’on t’a donné ta chance, et c’est un truc que j’ai du mal à comprendre. Moi, personne ne m’a donné ma chance. J’habitais au Blanc-Mesnil, je suis allé prendre des cours, j’ai tapé aux portes. Toutes ces choses-là se sont faites par ma propre volonté.” Au quotidien, les déceptions restent nombreuses, même si Stéphane Bak respire la confiance et la foi en l’avenir. “On m’a déjà dit : ‘Tu ne passes pas pour le Noir sauvage.’ [...] Ce sont des discours qu’on peut entendre dans tous les milieux. Ces histoires arrivaient à mon père dans les années 80 et il n’était pas comédien. Ce que je peux dire ? Je pense que j’ai du talent, que je travaille, que le cinéma nécessite de la collaboration, que toutes les personnes sur un plateau sont nécessaires à la fabrication du film.

Parka à capuche en toile de coton et à col en velours, pull à col zippé en laine polaire imprimée et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE.

Maquillage : Lloyd Simmonds chez Agence Carole. Set design : Sophear chez Art + Commerce. Assistant réalisation : Arthur Callegari. Retouche : The ABC. Production : New Light Films Parka à capuche en toile de coton et à col en velours, pull à col zippé en laine polaire imprimée et sac banane, EYE/LOEWE/NATURE.

Maquillage : Lloyd Simmonds chez Agence Carole. Set design : Sophear chez Art + Commerce. Assistant réalisation : Arthur Callegari. Retouche : The ABC. Production : New Light Films
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Maquillage : Lloyd Simmonds chez Agence Carole. Set design : Sophear chez Art + Commerce. Assistant réalisation : Arthur Callegari. Retouche : The ABC. Production : New Light Films

L’acteur ne se revendique pas militant. Pourtant, son discours fait le poids, construit au prix d’une réflexion qui paraît venir de loin. “On le voit dans les discussions sur le séparatisme : une partie de la population ne se sent pas entendue, alors que nous vivons tous et toutes en France dans une république qui dans ses principes garantit l’égalité. Il y a des personnes qui ont été endommagées par la colonisation. Vivre dans le collectif, c’est reconnaître les erreurs des uns et des autres et avancer ensemble. [...] Mon combat, ce qui résume mon travail, c’est de pouvoir ouvrir des portes pour qu’il devienne normal de voir des têtes comme la mienne dans quelques années. Cela arrive doucement.