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The Whale : Brendan Fraser brille dans le drame décevant d'Arronofsky

Cinéma

Porté par l’incroyable prestation de Brendan Fraser en professeur d’anglais obèse incapable de se déplacer, le nouveau film de Darren Aronofsky, The Whale, surprend parce qu’il n’est pas aussi féroce qu’il le laisse supposer. Un huis-clos sinistre qui débute comme un drame glauque mais vire à la tragédie convenue…

“The Whale” de Darren Aronofsky. Bande-annonce.

1. The Whale, le nouveau film de Darren Arronofsky porté par la prestation exceptionnelle de Brendan Fraser

 

The Whale, le nouveau long-métrage de Darren Aronofsky débute par un sentiment de honte. Celui de son protagoniste principal, Charlie, professeur d’anglais qui dissimule ses 272 kilos à ses étudiants pendant ses cours en ligne. Terré dans un appartement miteux perdu dans l’Idaho, il n’est alors qu'une voix suave, prétextant un défaut de webcam. Seul un carré noir, barré de la mention “Instructor”, apparait sur son écran d’ordinateur, au cœur d’une mosaïque d’étudiants n'ayant aucune idée de l’aspect de leur précepteur. Dans cette formation à distance, il sera question de poésie, de dissertations et d’honnêteté. Et les mots du romancier américain Herman Melville, auteur de l’illustre Moby-Dick paru en 1851, agiront comme un fil d’Ariane tout au long du récit. Réduit à un simple corps en nage, l’homme “repoussant et dégoutant” de ce drame filmé en 4/3 – comme pour accentuer la démesure du Pantagruel – entame une quête de rédemption auprès de la fille qu’il a abandonné, Ellie, désormais adolescente ravagée par la rancœur. L’acteur américano-canadien Brendan Fraser incarne ce père obèse atteint d’un trouble de l’alimentation et prête une âme lumineuse et bienvenue à cette carcasse enfoncée dans un canapé miteux, incapable de se mouvoir sans un déambulateur, qui se hisse péniblement sur son lit, une bouteille de soda à moitié vide posée sur la table de chevet. En humanisant le monstre dès les premières minutes du film, à outrance parfois, Brendan Fraser transforme intégralement The Whale, de l’image au propos.

 

Sacré “Meilleur acteur dans un film dramatique” aux Golden Globes 2023, victorieux aux SAG Awards un mois plus tard, Brendan Fraser reste le grand favori pour décrocher l’Oscar du “Meilleur Acteur” le 13 mars 2023. Un trophée qui mettrait fin à la longue traversée du désert endurée par cette vedette de la fin des années 90, cascadeur émérite de la franchise La Momie et trublion sympathique et discret des comédies grand public. Refusant systématiquement les avances de la jet-set, Brendan Fraser ne ne se remettra ni de son divorce, ni de l’agression sexuelle perpétré par Philip Berk, ancien président de l'Association hollywoodienne de la presse étrangère qui organise notamment la cérémonie des Golden Globes… Loin du baroud d’honneur, Brendan Fraser effectue son grand retour sur le tapis rouge. Son jeu tendre et mesuré lui vaut logiquement cette célébration, d’autant que Darren Arronofsky a longtemps cherché un acteur solide, capable de supporter toutes les prothèses nécessaires à l’incarnation de ce personnage… souvent immobile.

L'acteur Brendan Fraser dans “The Whale” de Darren Aronofsky. L'acteur Brendan Fraser dans “The Whale” de Darren Aronofsky.
L'acteur Brendan Fraser dans “The Whale” de Darren Aronofsky.

2. Derrière la prestation de Brendan Fraser, The Whale reste un drame convenu

 

Six ans après le terrifiant Mother !, le réalisateur Daren Aronofsky s’attaque donc à The Whale (2012), pièce de théâtre signée de l’Américain Samuel D.Hunter. Il collabore justement avec le dramaturge et délivre un film en huis-clos, adaptation sordide produite par la société A24 grand soutien des frères Safdie et du new-yorkais Ari Aster (Hérédité, Midsommar), le nouveau maître de l’horreur. D’ailleurs, The Whale aurait pu être un film d’épouvante. Mais sa scène d’ouverture glaçante laisse place à une tragédie sans relief qui tient presque uniquement à la superbe performance de son héros. En 1995, avec le premier meurtre de son film Seven, David Fincher proposait une scène similaire. Le cinéaste transposait la gourmandise, l’un des sept péchés capitaux, dans le corps d’un homme obèse, retrouvé mort la tête écrasée dans une assiette de spaghettis. Cet anonyme terrassé par son propre vice laissait alors place à une enquête sombre et impitoyable. C’est peut-être ce qui manque cruellement à The Whale: davantage de férocité, davantage de cruauté. Car l’ouverture glauque du long-métrage laisse finalement place à un drame convenu à la mise en scène sobre où le héros accepte son sort. “J’espère bien que Dieu n’existe pas. Parce que je déteste l’idée qu’il y ait une vie dans l’au-delà. [On] verrait ce que je suis devenu : mes pieds énormes et enflés, ma peau couverte de plaies, les plaques de moisissure entre mes bourrelets, la poche de graisse dans mon dos…” L’œuvre radicale portée sur le dégoût se révèle être un choc artificiel – entre morale et châtiment divin – où les tirades effrayantes servent plutôt une tragédie factice. Mais Brendan Fraser décrochera certainement l’Oscar.

 

The Whale de Darren Aronofsky. En salle le 8 mars.