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Numéro
21 5 livres d'amour pour ceux qui n'aiment pas ça

5 livres d'amour pour ceux qui n'aiment pas ça

CULTURE

Intense tourbillon passionnel ou vulgaire procédé chimique, l’amour ne cesse de faire parler de lui, pour le meilleur ou pour le pire. Alors qu’il est le sujet d’une exposition au Palais de la Découverte, “De l’amour”, jusqu’au 27 septembre, Numéro s’est penché sur ce que la littérature peut dire de ce sentiment si spécial : élans contradictoires, expériences sexuelles foireuses et impasses romantiques sont au programme de cette sélection de 5 livres d’amour… pour ceux qui n’aiment pas l’amour.

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1. Roald Dahl, La grande entourloupe (1974) : imaginer le pire

 

“Saviez-vous, par exemple, que la femelle araignée est si sauvage dans ses ébats amoureux que le mâle est très chanceux s’il garde la vie à la fin de toute l’entreprise ? C’est seulement s’il est extrêmement agile et merveilleusement ingénieux qu’il s’en tirera en un seul morceau.” Ces mots de l’oncle Oswald — personnage fétiche de Roald Dahl et hédoniste notoire — pourraient s’appliquer à tous les protagonistes de ce recueil de quatre nouvelles. Tout s’oppose au coït, mais l’instinct est plus fort… Choisir entre une mère et sa fille, aller faire un tour chez la voisine, revoir son premier petit copain, ou mélanger sexe et politique… Dans La Grande Entourloupe, l’auteur britannique célèbre pour ses histoires pour enfants s’attaque au livre pour adulte, et analyse les hauts et les bas des relations charnelles avec une solide dose d’humour noir et des fins jamais prévisibles. Personne n’en sortira indemne.

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2. Milan Kundera, Risibles amours (1969) : ne pas se faire d'illusions

 

Comment s’y retrouver entre les obligations de travail, les dogmes de la religion, le temps qui passe, et l’amour… s’il existe ? En sept nouvelles moqueuses de l’auteur tchéco-français Milan Kundera, les nobles sentiments — souvent masculins — rencontrent de nécessaires supercheries qui précipiteront le lecteur dans les pires dilemmes des relations humaines. Les femmes sont vaniteuses et irascibles, les hommes sont mégalomanes et peureux, et personne ne sait ce qu’il fait : quiproquos, erreurs de jeunesse et fourberies en tous genres laissent planer le doute sur la validité de l’expérience. Mais si les signaux sont indéchiffrables pour les antihéros de ces histoires de tous les jours, le point de vue de l’auteur est clair : “Avec quelle insouciance et de quel pauvre métal forgeons-nous nos subterfuges !”. Milan Kundera livre ici un guide cynique à travers les périples inévitables de la société et de l’amour. 

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3. Nick Hornby, Haute fidélité (1995) : trouver la bonne chanson de rupture

 

“Je me lève pour aller aux toilettes, elle me dit qu’elle va me montrer où c’est, on se bouscule, j’attrape, on s’embrasse, et je suis de retour au pays de la névrose sexuelle.” Pour Rob Fleming, un trentenaire londonien en pleine introspection, la question la plus importante est : pourquoi ça ne marche pas ? S’il maîtrise comme personne l’art des tops 5 — des meilleurs hymnes pop de tous les temps jusqu’à ses pires ruptures par ordre chronologique — ce passionné de musique pop-rock ne comprend toujours pas comment “garder une fille”. Entre son magasin de disques sans perspectives d’avenir, son petit appartement rempli de souvenirs d’ex-copines, et ses histoires sans lendemain foireuses, Rob Fleming lutte contre son malaise social et sa phobie de l’engagement en méditant sur ses expériences amoureuses passées. Un acompte hilarant mais très juste des pathétiques pérégrinations et impasses anti-romantiques d’un nerd, sur une incroyable anthologie musicale, des Beatles à Sonic Youth, en passant par Neil Young et Elvis Costello— dont le morceau High Fidelity donne son titre original au roman. Si l’on ne croit toujours pas à l’amour à la fin du livre, on est au moins convaincu par l’indéfectible pouvoir de la musique. En 2020, l’anti-héros de High Fidelity change de genre pour être joué par Zoë Kravitz dans une adaptation en série, avortée après la première saison.

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4. Ovide, Lettres d'amour (Ier siècle av. J.C.) : regarder les choses en face

 

“Il y a quelque plaisir à reprocher un bienfait à un ingrat ; je veux goûter ce plaisir : c’est la seule jouissance qui me viendra de toi.” Répudiée par Jason qui s’est remarié à une princesse corinthienne par amour de l’argent, Médée recourt à sa seule vengeance possible : la lettre de représailles — avant de concocter un plan maléfique pour éradiquer sa rivale au poison et sa progéniture qu’elle fera poignarder. Si elle n’est pas un modèle de vertu, Médée aime sans compter, et elle avait tout fait pour l’élu de son coeur, jusqu’à trahir sa propre famille. Jason profita bien de son bon vouloir avant de se lasser d’elle… un peu comme tous les destinataires de ces lettres fictives, des héros grecs qui ont perfidement, et le plus souvent sans prévenir, abandonné leurs conquêtes. À défaut de pouvoir confronter leurs lâches amants, ces femmes trahies et délaissées noircissent des pages entières de ressentiments et d’insultes à peine masquées — à se demander pourquoi le livre initialement appelé Les Héroïdes prend le nom de Lettres d’amour… Entre monologues tragiques et cantates lyriques, les lettres de Déjanire à Hercule, Ariane à Thésée, Didon à Énée ou encore Hélène à Pâris, sont au Ier siècle avant notre ère ce que les aigres textos post-rupture sont au troisième millénaire. 

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5. Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale (1869) : maîtriser la friendzone

 

Il est plutôt séduisant, a la tête pleine de rêves et des ambitions de grandeur… mais l’expérience du grand amour — jamais consommé — l’empêchera d’accomplir sa destinée tant désirée. Naïf et inexpérimenté mais surtout très lâche, Frédéric Moreau, fraîchement débarqué à Paris pour ses études de droit, tombe amoureux d’une femme mariée… à qui il n’ose même pas parler. Pendant onze ans, il passera son temps à attendre que quelque chose se passe en sa faveur, persuadé qu’elle partage ses sentiments ; car pour Frédéric, l’amour est la plus belle des choses et devra le guider à travers toutes ses vocations. Pour Mme Arnoux, il pourra devenir peintre, poète, journaliste, politicien ! — ce qu’il ne sera bien évidemment jamais. Alors que le monde autour de lui avance à grands pas, Frédéric, lui, reste inchangé. “Bah ! Tout ce que j’aurais pu faire eût été complètement inutile !”