47


Commandez-le
Numéro
20 Carbone 14, la radio libre insolente qui ne parlait que de sexe

Carbone 14, la radio libre insolente qui ne parlait que de sexe

CULTURE

En 1981, le monopole d’État sur la radio est levé, et les ondes, jusqu’alors cadenassées par le pouvoir de Valéry Giscard d'Estaing, sont enfin libérées. Les radios pirates qui émettaient clandestinement deviennent libres… Quarante ans plus tard, en guise de célébration de cet anniversaire, focus sur Carbone 14, une radio irrévérencieuse qui parlait ouvertement de sexe.

Jean-Yves Lafesse, ”Carbone 14“ Jean-Yves Lafesse, ”Carbone 14“
Jean-Yves Lafesse, ”Carbone 14“

“Guerre des ondes”. C’est ainsi qu’on appelait, pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’affrontement des pays belligérants à la radio. En zone occupée, la propagande Abteilung (service de propagande nazie) fait démarrer Radio Paris. En zone libre, Radio Vichy commence à émettre début juillet 1940. Son importance est capitale : elle fait résonner la voix de la résistance et de l'espoir face à la propagande nazie. Début 1945, à l’approche de la fin de la guerre, et alors que le Débarquement de Normandie est en pleine planification, l’Etat français libre souhaite avoir la mainmise sur l'organisation et le développement de la radiodiffusion. Il voit en elle un instrument extrêmement puissant. Le 23 mars 1945, une ordonnance est promulguée par le gouvernement. Résultats :  tous les émetteurs français de radio sont nationalisés et la Radiodiffusion Française (RDF) est mise en place pour assurer ce monopole absolu. Près de trente ans plus tard, en 1974, malgré un Valéry Giscard d’Estaing fraîchement élu – qui aurait pu insuffler un vent de nouveauté – rien n‘a bougé, tout est resté figé dans le temps. Les ondes sont encore à l’apanage de l’Etat.

 

Cette exclusivité déplait au peuple qui souhaite se libérer de ce carcan pour user de sa liberté d’expression. A la fin des années 70, des radios non officielles dites, radios pirates, commencent alors à émettre sans autorisation administrative et partent à l’assaut du bastion célèbre : le monopole de l’Etat. Ce mouvement transgressif s'adresse principalement aux jeunes et souhaite diffuser les nouvelles musiques subversives de l’époque comme le rock, la pop et la soul. Sous ce fléau – du moins aux yeux de Raymond Barre, le Premier Ministre qui pointe “un puissant germe d’anarchie”– l'État réagit en brouillant la réception des radios. Il liste même les animateurs clandestins qui se réfugient dans de petits appartements parisiens ou dans des caves. La liberté de ton de ces radios affole la droite. Les socialistes, eux, emmenés par Mitterrand souhaitent une radio libre et clament leur soutien aux indociles heureux terrés en sous-sols. Le candidat promet de libérer la bande FM (fréquences modulées) en cas d’élections en 1981 et, tout au long de sa campagne, il s’est fait le chantre de ces radios pirates grâce à un argument de poids : il s’était lui-même investi dans une émission de radio libre du Parti socialiste, Radio Riposte. Le 21 mai 1981, date de son élection, il officialise la fin du monopole de l’État et la fin du brouillage systématique des fréquences. Dans les rues, la fête bat son plein. Les animateurs clandestins, désormais libres, sortent la rose au fusil. Peu de temps après, naît la radio Carbone 14 . Insolite, iconique, et résolument libre, elle a fait parler d’elle…

Carbone 14, la radio libre insolente qui ne parlait que de sexe Carbone 14, la radio libre insolente qui ne parlait que de sexe

Carbone 14 , “la radio qui vous encule par les oreilles”

 

Fin d’été 1981. Dominique Fenu, un publicitaire corse turbulent, doté d’une élocution incroyable fonde une radio locale et libre : Carbone 14. Il dispose de locaux certes vétustes mais relativement spacieux, dans un petit immeuble situé 21 rue Paul-Fort dans le XIV arrondissement (d’où elle tire son nom). Et, surtout, d’un soutien bienvenu et sans faille d’un député RPR ( Rassemblement pour la République) Yves Lancien. Pour recruter les animateurs, Dominique Fenu lance une annonce dans Libération et donne un avant-goût de ce qu’il allait s’y passer : “Radio dite libre cherche animateur(trice) pour s'en payer une tranche horaire, prix en fonction de la pub ou pas. D'ici là, délire à gogo et à l'œil. Si tu as des idées originales et pas mal de temps libre, appelle GERARD”. En décembre 1981, Carbone 14 commence à émettre et adopte des slogans impertinents pour populariser son image… “la radio qui vous encule par les oreilles” ou “la radio des cons, faite pour des cons et par des cons”. Dans le studio, les animateurs se complaisent dans leurs sobriquets. Robert Lehaineux, Jean-Yves Lafesse et David Grossexe réalisent les premières supercheries radio. Très provocateurs, ils lancent Hardcorde, une émission qui diffuse en directs des ébats sexuels. Histoire vraie? Imposture? On ne le sera jamais. Car les dépêches AFP, révélant cette nuit torride ont été rédigées par un journaliste n’ayant jamais été sur place. Autre fait d’armes de cette radio, la venue en studio en 1982, un soir d’orage, de Serge Gainsbourg. En début de soirée, il appelle le standard et dit : “Je viens uniquement s’il y a des belles filles et du champagne rosé”. Lafesse s’empresse donc de livrer des caisses de champagne et ramène toutes les standardistes de la radio pour un moment… pour le moins non-orthodoxe. L’animatrice Catherine Pelletier rejoint la bande de mecs quelques temps après. Elle se fait appeler “Super Nana”, telle une héroïne de feu, et anime chaque soir l'émission Poubelle Night dans laquelle elle confesse et fesse (verbalement) une foule d’insomniaques, sans hésiter à rabrouer les mâles trop malins (et sûrs de leur (fausse) virilité) à coups de “Tape ta queue sur le téléphone qu'on l'entende, mon gros”… Mais au prétexte de libérer la parole, se multiplient les dérapages : annonce de la fausse mort de Mick Jagger, faux suicide d’une jeune femme au téléphone, fausse dispute d’un couple d’animateurs en direct ou encore l’ouverture de l’antenne, toute une nuit, à un pseudo violeur. L’aventure Carbone 14 se termine en août 1983 lorsque le matériel d'enregistrement et de diffusion est saisi par les autorités. Paye-t-elle alors sa liberté de ton ou la régulation par la Haute Autorité (l’ancêtre du CSA)  d’un paysage radiophonique chaotique marqué par l’émergence de 3000 radios libres ?