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Azzedine Alaïa : que trouve-t-on dans son incroyable collection au Palais Galliera ?

MODE

Si l’on se souvient d’Azzedine Alaïa (1935-2017) comme couturier de génie, peu le connaissent comme collectionneur effréné. Pourtant, dès la fin des années 60, le créateur débute une collection d’archives de mode qu’il étoffera jusqu’à sa disparition, et à laquelle le Palais Galliera consacre une exposition jusqu'au 21 janvier. Pour Numéro, son commissaire Olivier Saillard revient sur trois grands créateurs qui ont marqué son parcours de collectionneur.

  • Cristobal Balenciaga, robe de cocktail, printemps-été 1960 © Patricia Schwoerer /rgmparis

  • Cristobal Balenciaga, costume de bal « Mozart », porté par le Cavalier de Barbara Hutton au bal masqué organisé par Charles de Beistegui au Palais Labia de Venise, 4 Septembre 1951

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Cristóbal Balenciaga : la naissance de la collection d’Azzedine d’Alaïa

 

Avec cette exposition, je voulais faire le portrait du goût d’Azzedine Alaïa, qui se révèle au travers de sa riche collection”, explique l'historien français Olivier Saillard. Et comment parler du créateur franco-tunisien sans évoquer Balenciaga et ses créations haute couture, dont il s'est grandement inspiré au point de les collectionner. Naturellement, l’exposition du Palais Galliera commence par quelques pièces crées par le couturier espagnol, des années 30 jusqu’à la fermeture de la maison en 1968. Lorsque Cristóbal Balenciaga refuse, à la fin des années 60, de céder à la vague du prêt-à-porter et se résout à fermer sa maison, mademoiselle Renée, directrice et bras droit du couturier espagnol, invite Azzedine Alaïa à venir choisir quelques robes et tissus afin de les réutiliser dans ses créations. “Azzedine disait toujours que c’est à ce moment qu’il a eu une véritable révélation sur l’histoire de la mode, sur l’importance de Balenciaga et sur le patrimoine qu’il devait sauvegarder”, ajoute l'historien et commissaire d'exposition.

 

Au-delà des tissus, le couturier franco-tunisien commence à racheter des vêtements pour les archiver et débute sa large collection de pièces Balenciaga, appréciées pour leurs coupes asymétriques et près du corps. “Sa démarche est vraiment précurseuse : à cette époque, aucune maison ne s’intéressait encore à son patrimoine, si ce n’est au travers de quelques pièces”. Armé de beaucoup de passion et de conseillers, Azzedine Alaïa passe alors les décennies qui suivent dans les salons des maisons de vente aux enchères, où il rafle toutes les plus belles pièces de mode mais également les carnets de vente qui y sont associés. “Il ne pouvait pas supporter que telle ou telle robe puisse partir à l’étranger, ou puisse lui échapper. Quand j’étais directeur de musée, de Marseille à Paris, dès que je l’apercevais à une vente, je savais que c’était fichu pour nous !”, se remémore Olivier Saillard.

  • Charles James, robe du soir, haute couture, vers 1950 © Patricia Schwoerer /rgmparis

  • Vues des créations d'Adrian collectionnées par Azzedine Alaïa, au Palais Galliera.

  • Vues des créations de Charle James collectionnées par Azzedine Alaïa, au Palais Galliera.

© Gautier Deblonde

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Charles James et Adrian : l'amour d'Alaïa pour les grands couturiers américains

 

Si l’histoire de la mode française retient principalement ses créateurs installés dans la capitale, Azzedine Alaïa étend son intérêt outre-Atlantique. Fasciné par les robes sculpturales de Charles James et par le glamour hollywoodien des silhouettes d’Adrian, le couturier franco-tunisien commence à collectionner leurs créations dès la fin les années 80. Encore largement ignorés par les fonds patrimoniaux français, ces deux créateurs américains ont pourtant façonné la mode des États-Unis. Alaïa découvre ainsi le premier lors d’une rétrospective organisée en son hommage en 1980 au Brooklyn Museum de New York, deux ans après sa disparition. “Il racontait souvent combien il était fasciné par le travail atypique et rare de Charles James ” explique Olivier Saillard. “Cette exposition a réveillé en lui une réelle curiosité pour son travail”. Au point d’acheter près de 600 références de ses collections, entre vêtements, coupures de presse et photographies – soit une collection conséquente et unique en France, voire presque aussi large que celles conservées aux États-Unis.

 

Azzedine fonctionnait au coup de cœur, au coup de folie. Pour lui, il était hors de question de revendre des pièces ou de les donner. Il préférait se séparer d’un appartement que d’un vêtement d’Adrian, par exemple !”, ajoute l'historien. Animé par la même passion que celle qui lui a fait découvrir les créations de Charles James, Azzedine Alaïa s’intéresse assidûment au couturier américain Adrian, dont il admire le travail de costumier, et qui enrichit sa collection d'une grande singularité. Car les pièces de ce couturier, aussi sublimes et surprenantes soit-elles, ne trouvent en effet que rarement leur place au sein des expositions organisées dans l’Hexagone. D’abord créateur pour les studios de la MGM de 1928 à 1942, Adrian fonde par la suite sa propre maison à Beverly Hills, et ne répond qu’à très peu de commandes, rendant ses pièces d'autant plus rares et convoitées. Si le Palais Galliera n'en présente actuellement que quelques unes, le fonds d’Azzedine Alaïa en conserve près de 350, réparties entre tailleurs, robes, manteaux mais aussi entre des correspondances avec les illustratrices des studios hollywoodiens… et compose une collection jalousée par les musées américains.

  • Madeleine Vionnet, robe et cape du soir, ayant appartenues à Agnès Ernst Graham, mère de Katharine Graham, directrice du Washington Post, 1937 © Patricia Schwoerer /rgmparis

  • Madeleine Vionnet, robe du soir « Petits chevaux », haute couture, vers 1924

  • Vues des créations de Madeleine Vionnet collectionnées par Azzedine Alaïa, au Palais Galliera. © Gautier Deblonde

  • Vues des créations de Madeleine Vionnet collectionnées par Azzedine Alaïa, au Palais Galliera. © Gautier Deblonde

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Madeleine Vionnet : une grande créatrice au talent célébré par Alaïa

 

Riche de plus de 20 000 pièces, la collection d'Azzedine Alaïa réunit aussi bien des vêtements du 18e siècle que des créations issues de la dernière décennie. Costumes, uniformes militaires, lingerie, créations contemporaines… Parmi les trésors de ce fonds se trouvent également des pièces signées par des couturières françaises, influentes de leur temps mais souvent délaissées au profit de leurs contemporains masculins. Sauf par le créateur franco-tunisien, qui ne masque pas sa passion pour Madeleine Vionnet (1876-1975), considérée par Olivier Saillard comme une des “încontournables d'Alaïa”. Avec ses robes du soir moulantes, drapées et coupées en biais permettant un tombé souple et élégant façon toge antique, cette dernière marque l'imagination du couturier franco-tunisien, qui puise dans ses créations pour ses concevoir ses propres collections.

 

De son vivant, Azzedine Alaïa collectionne de nombreuses pièces de Madeleine Vionnet mais participe aussi à sa reconnaissance par les historiens de la mode comme par le grand public. En 1991, il est notamment à l’initiative de la première exposition d’envergure consacrée à la couturière des années 20 et 30, organisée au Centre de la Vieille Charité à Marseille. Présentées en ce moment au sein de la première salle du Palais Galliera, les silhouette de la créatrice française semblent ainsi être la dernière pièce manquante du portrait d’Alaïa collectionneur et couturier, que l’exposition dresse aujourd’hui.

 

Azzedine Alaïa, couturier collectionneur”, jusqu’au 21 janvier 2024 au Palais Galliera, Paris 16e.

© Crédits images : Azzedine Alaïa en train de draper une robe de Madeleine Vionnet, 1990 © Patricia Canino.