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16 Jean Paul Gaultier fait dialoguer mode et cinéma dans sa nouvelle exposition

Jean Paul Gaultier fait dialoguer mode et cinéma dans sa nouvelle exposition

MODE

C’est le cinéma qui lui a révélé, dès son plus jeune âge, sa vocation de couturier. Si le 7e art a toujours été l’une de ses inspirations majeures, Jean Paul Gaultier a aussi imaginé des costumes pour de grands réalisateurs comme Luc Besson ou Pedro Almodóvar… Son éblouissante exposition CinéMode témoigne de la façon dont l’iconique créateur a poussé toujours plus loin le dialogue entre la mode et le cinéma.

Backstage, défilé Jean Paul Gaultier © William Klein Backstage, défilé Jean Paul Gaultier © William Klein
Backstage, défilé Jean Paul Gaultier © William Klein

Ami proche de la réalisatrice Tonie Marshall, collaborateur de Luc Besson et de Pedro Almodóvar passionné de cinéma, le couturier Jean Paul Gaultier s’en est imprégné au point d’être, à ce jour, le seul et unique créateur de mode invité à participer au jury du Festival de Cannes (en 2012). L’exposition CinéMode par Jean Paul Gaultier que lui consacre la Cinémathèque, déploie ainsi tous les chapitres de la cinéphilie de celui qui fut surnommé “l’enfant terrible de la mode”. Des années 40 à nos jours, un corpus constitué de vêtements, de photos et d’extraits de film révèle dans le détail les réflexions et les coups de cœur que le septième art lui a inspirés. Dans sa carrière, tout commence en effet par un film : Falbalas, de Jacques Becker. Encore enfant, Jean Paul Gaultier découvre à la télévision ce mélodrame dans lequel un créateur éprouve une passion ravageuse pour un de ses mannequins. Le récit prend place dans une maison de couture parisienne fictive, et permet à un large public de découvrir l’effervescence typique qui accompagne la préparation d’un défilé de mode, et la quête de la beauté parfaite qui vibre en son cœur. 

 

Pour le jeune Jean Paul Gaultier, le film est une véritable révélation, qui tourne bientôt à l’obsession : sa vocation est née. C’est donc, bien sûr, avec Falbalas, sa toute première “école de mode”, que s’ouvre l’exposition CinéMode… Les silhouettes typiques des années 40 (signées de Marcel Rochas), et l’actrice Micheline Presle (mère de Tonie Marshall), dont il sera proche également, deviendront des pierres angulaires de son univers. La guêpière (un corset assoupli auquel est adjoint un porte-jarretelles), inventée par Marcel Rochas, lui inspirera notamment ses silhouettes corsetées à seins coniques, et l’idée de pièces de lingerie portées en tant que vêtements.

 

 

Photo Jean Paul Gaultier : Steve Pike ; photo M. Dietrich : B. Thomas © Getty image ; photo Querelle : © R. Fritz ; photo Huit Femmes © J.C. Moireau ; photo Kika : JM. Leroy © El Deseo D.A.S.L.U ; Voulez-vous danser avec moi ? de M. Boisrond © Gaumont ; Recherche Susan désespérément, Satyricon de F. Fellini © MGM ; Dangereusement vôtre © EON/MGM ; La Fièvre du samedi soir, Rocket Man, Drôle de frimousse, Barbarella © Paramount ; L’Équipée sauvage, Gilda © Sony ; Fenêtre sur cour © Universal ; The Rocky Horror Picture Show, Les hommes préfèrent les blondes © 20th Century Fox ; La Reine Margot de P. Chéreau © Pathé ; Les Valseuses de B. Blier © Orange Studio ; Ma vie avec Liberace © HBO ; La Fureur de vivre, Pink Flamingos, Wonder Woman et Superman © Warner Bros ; Viva James Bond, Y. Thos © SAIF ; L’Année dernière à Marienbad et Je t’aime moi non plus © G. Pierre/L. Pierre de Geyer ; Le Cinquième Élément © J. English ; affiche Absolument Fabuleux © A. Borrel ; Falbalas : H. Caruel, H. Thibault © Studiocanal ; Photo : T. Marshall © JC Cohen Photo Jean Paul Gaultier : Steve Pike ; photo M. Dietrich : B. Thomas © Getty image ; photo Querelle : © R. Fritz ; photo Huit Femmes © J.C. Moireau ; photo Kika : JM. Leroy © El Deseo D.A.S.L.U ; Voulez-vous danser avec moi ? de M. Boisrond © Gaumont ; Recherche Susan désespérément, Satyricon de F. Fellini © MGM ; Dangereusement vôtre © EON/MGM ; La Fièvre du samedi soir, Rocket Man, Drôle de frimousse, Barbarella © Paramount ; L’Équipée sauvage, Gilda © Sony ; Fenêtre sur cour © Universal ; The Rocky Horror Picture Show, Les hommes préfèrent les blondes © 20th Century Fox ; La Reine Margot de P. Chéreau © Pathé ; Les Valseuses de B. Blier © Orange Studio ; Ma vie avec Liberace © HBO ; La Fureur de vivre, Pink Flamingos, Wonder Woman et Superman © Warner Bros ; Viva James Bond, Y. Thos © SAIF ; L’Année dernière à Marienbad et Je t’aime moi non plus © G. Pierre/L. Pierre de Geyer ; Le Cinquième Élément © J. English ; affiche Absolument Fabuleux © A. Borrel ; Falbalas : H. Caruel, H. Thibault © Studiocanal ; Photo : T. Marshall © JC Cohen
Photo Jean Paul Gaultier : Steve Pike ; photo M. Dietrich : B. Thomas © Getty image ; photo Querelle : © R. Fritz ; photo Huit Femmes © J.C. Moireau ; photo Kika : JM. Leroy © El Deseo D.A.S.L.U ; Voulez-vous danser avec moi ? de M. Boisrond © Gaumont ; Recherche Susan désespérément, Satyricon de F. Fellini © MGM ; Dangereusement vôtre © EON/MGM ; La Fièvre du samedi soir, Rocket Man, Drôle de frimousse, Barbarella © Paramount ; L’Équipée sauvage, Gilda © Sony ; Fenêtre sur cour © Universal ; The Rocky Horror Picture Show, Les hommes préfèrent les blondes © 20th Century Fox ; La Reine Margot de P. Chéreau © Pathé ; Les Valseuses de B. Blier © Orange Studio ; Ma vie avec Liberace © HBO ; La Fureur de vivre, Pink Flamingos, Wonder Woman et Superman © Warner Bros ; Viva James Bond, Y. Thos © SAIF ; L’Année dernière à Marienbad et Je t’aime moi non plus © G. Pierre/L. Pierre de Geyer ; Le Cinquième Élément © J. English ; affiche Absolument Fabuleux © A. Borrel ; Falbalas : H. Caruel, H. Thibault © Studiocanal ; Photo : T. Marshall © JC Cohen

Dans le sillage de ces inventions, le travail de Jean Paul Gaultier s’enracine dans une réflexion pleine d’humour sur les archétypes genrés, qu’il s’est employé à déjouer. Une spéculation construite dans un dialogue permanent avec des personnages de cinéma. Vamps, femmes-objets ultra sexualisées, super-héros et super-héroïnes, bourgeoises, cow-boys, malabars extrêmement musclés… le cinéma américain et européen a fixé pour l’éternité des archétypes révélant chacun les fantasmes et l’inconscient collectif de différentes époques. “Vers le début de l’exposition figure Marilyn, qui représente un peu la victime du système hollywoodien, la fragilité de la femme-objet, explique-t-il. En contrepoint, je montre Brigitte Bardot, une femme française qui explose de liberté. Au-delà de ses films, ses choix vestimentaires au quotidien ont beaucoup inspiré les femmes, notamment ses petites ballerines plates échancrées à la naissance des orteils, ou sa robe de mariée en vichy, un tissu pauvre.” 


En revisitant l’héritage des décennies passées, pour mieux le détourner, le couturier transforme ses mannequins en hommes-objets dans sa première collection masculine, en 1983. “C’était l’époque des acteurs hyper musclés, comme Sylvester Stallone puis Dolph Lundgren, poursuit-il. Je trouvais très rafraîchissant que les hommes assument un tel degré d’attention à leur propre plastique, si travaillée que cela frisait parfois le ridicule.” En marinière moulante largement ouverte dans le dos, les physiques d’apollon de ce défilé sont mis en exergue d’une façon totalement décomplexée et novatrice, comme aucun créateur de mode n’avait encore osé le faire.

11- (c) William Klein - Coulisse du film Qui êtes-vous Polly Maggoo W Klein 01 11- (c) William Klein - Coulisse du film Qui êtes-vous Polly Maggoo W Klein 01
11- (c) William Klein - Coulisse du film Qui êtes-vous Polly Maggoo W Klein 01

La suite de l’histoire est déjà connue de tous : les hommes en jupe, maquillés, ainsi que les femmes en costume masculin, ont porté dans le domaine de la mode une réflexion sociétale sur l’expression des genres. Sexualiser les corps, féminiser les silhouettes masculines, valoriser les femmes puissantes : tel est le credo du couturier empreint de culture camp anglo-américaine. Précurseur du queer ou de la gender fluidity dans le monde feutré de la haute couture, Jean Paul Gaultier a, là aussi, nourri ses intuitions et sa fine observation des réalités quotidiennes grâce à une solide curiosité cinéphile. Dans les années 30, avant la censure née du fameux code Hays, une Marlene Dietrich habillée en smoking peut encore voler un baiser à une femme, à l’écran. Elle osera aussi revêtir l’uniforme militaire, à une époque où le port du pantalon par les femmes est proscrit. Beaucoup plus tard, une Jane Birkin filiforme, aux cheveux courts et à l’allure de garçonnet, radicalisera l’ambiguïté androgyne dans le film Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg (1976). Bien sûr, Querelle de Rainer Werner Fassbinder, inspiré de Querelle de Brest de Jean Genet, figure en bonne place dans l’exposition : la marinière ouverte de la collection L’Homme-objet en 1983, accompagnée d’un petit béret, doit beaucoup à l’homoérotisme assumé du chef-d’œuvre du réalisateur allemand. 

 

Autre figure tutélaire du septième art, cultivant lui aussi une liberté totale, Pedro Almodóvar choisira Jean Paul Gaultier pour imaginer les costumes de plusieurs de ses films : les robes de Gael García Bernal dans La Mauvaise Éducation, les vêtements de La piel que habito, et la surréaliste panoplie de Victoria Abril dans Kika, intégrant des projecteurs à un bustier et une caméra à un casque. “Avec Jean Paul, nous utilisons la sexualité d’une façon qui peut sembler scandaleuse, et on nous a tous deux qualifiés d’‘enfants terribles’”, commente Pedro Almodóvar sur l’un des cartels de l’exposition. “Pourtant, lui comme moi sommes des personnes très innocentes : il n’y a rien de trouble ni de malsain dans la façon dont le sexe apparaît dans notre travail respectif. Tout est une question de naturel, d’absence de préjugés. Et de sens de l’humour.

Vue de l'exposition CinéMode à la Cinémathèque © La Cinémathèque française Vue de l'exposition CinéMode à la Cinémathèque © La Cinémathèque française
Vue de l'exposition CinéMode à la Cinémathèque © La Cinémathèque française

Personnages queer, voire mutants… les réalisateurs, à travers les âges, ont donné une visibilité à ceux qui n’entrent pas dans les cases de la société. Plébiscité par Jean Paul Gaultier pour le choix de son héroïne, le film Titane de Julia Ducournau, Palme d’or du Festival de Cannes, est sobrement représenté par son affiche. Son héroïne vit avec une pièce de métal dans le crâne. Le métal, qui transforme l’humain en posthumain, occupe toute une section de CinéMode… : les bijoux massifs et antiques arborés par la mannequin Donyale Luna dans le Satyricon de Fellini, ont par exemple inspiré à Jean Paul Gaultier un plastron masculin à abdominaux et un bustier féminin à seins coniques, métamorphosant les attributs des deux genres en prothèses extérieures au corps humain. 


En matière de prothèses ou de postiche figure d’ailleurs dans l’exposition, à côté des costumes réalisés pour l’acteur Bruce Willis dans Le Cinquième Élément de Luc Besson, une anecdote hilarante. Alors que le chanteur Prince devait originellement faire partie du casting du film, Luc Besson proposa à Jean Paul Gaultier de montrer les croquis de ses futurs costumes à l’icône, de passage à Paris. Visiblement peu emballé par la proposition d’une combinaison intégrale en résille ornée de poils en guise de cache-sexe, la star s’offusqua franchement lorsque le couturier lui proposa un “‘fuck-you’ at the back” – en réalité un “faux cul”, prononcé par le créateur français dans un anglais approximatif ! Prince s’en alla tout de go dire à Luc Besson que ses costumes étaient “beaucoup trop gay”. “C’est très drôle”, conclut le facétieux Jean Paul Gaultier dans un éclat de rire. “À l’époque, il portait tout de même des vêtements très décolletés dans le dos, découvrant les fesses, avec des plumes. Mais j’ai compris alors qu’il voulait être une sorte de métrosexuel, sexy uniquement pour les femmes !

 

 

Exposition CinéMode par Jean Paul Gaultier,

à la Cinémathèque française (Paris XIIe), jusqu’au 16 janvier 2022, 

www.cinematheque.fr