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Numéro
07 Madonna, Jésus, Rio, Steven Klein, Interview

Steven Klein raconte 5 photos cultes avec Naomi Campbell, Brad Pitt, Kim Kardashian et Madonna

MODE

Après trente ans de carrière, le photographe Steven Klein publie sa première monographie aux éditions Phaidon, dans laquelle il réunit quelques centaines de ses plus beaux clichés qui mettent en scène Brad Pitt, Kim Kardashian et Madonna. Pour Numéro, il raconte les backstages de cinq images cultes.

Steven Klein, Self Portrait. Courtesy Steven Klein studio. Steven Klein, Self Portrait. Courtesy Steven Klein studio.
Steven Klein, Self Portrait. Courtesy Steven Klein studio.

Ses photographies ne ressemblent à aucune autre. Depuis trois décennies, Steven Klein développe un univers aussi subversif que sexy, où s'invitent régulièrement couleurs saturées, accessoires BDSM et nudité frontale. Moins plébiscité ces dernières années par les magazines de mode - notamment Vogue ou W -  avec qui il collabore depuis les années 90, le photographe américain né en 1965 regroupe au sein de sa première monographie quelques-unes de ses plus belles séries, témoignant non seulement de son talent singulier, mais également de la liberté créative de l'époque. Bien qu'imposant, cet ouvrage, qui comprend aussi ses portraits les plus iconiques, est loin de retracer l'intégralité de sa carrière prolifique. Appuyé par le critique d’art Mark Holborn, Steven Klein a pioché parmi ses centaines d'archives des photos qui racontent son travail à la manière d'un film : avec une histoire, un début et une fin. On y croise ainsi Brad Pitt recouvert de sang, un cou tranché en deux, un cheval en noir et blanc, Madonna sur un lit avec son amant… Autant d’images d'une puissance narrative exceptionnelle dans lesquelles il exalte la beauté des corps, influencé par ses études d’art à l'école de design de Rhode Island et en particulier par les dessins anatomiques. Pour Numéro, Steven Klein raconte les secrets qui se cachent derrière cinq photographies cultes.

Kim Kardashian, New York City, 2018 © Steven Klein. All Rights Reserved Kim Kardashian, New York City, 2018 © Steven Klein. All Rights Reserved
Kim Kardashian, New York City, 2018 © Steven Klein. All Rights Reserved

1. Kim Kardashian par Steven Klein, New York City, 2018

 

“Pour ce shooting, nous nous sommes inspirés d’un film d’animation japonais. Je trouve que cette photographie ressemble presque à une peinture, avec ses couleurs très vives. Pendant que Kim posait, elle attendait un appel du président Trump. À cette époque [en 2018], elle négociait la libération d’Alice Marie Johnson, une femme afro-américaine accusée à tort de meurtre et emprisonnée depuis vingt ans. Elle avait rencontré Donald Trump à Washington peu de temps avant pour discuter avec lui de la situation, et il devait la rappeler le jour du photoshoot. Pendant qu’elle était en train de poser pour cette photo, son assistante est arrivée paniquée en s'écriant “le président Trump est au téléphone !”, alors elle s’est vite rhabillée et, la seconde d'après, elle était là, très sérieuse, à parler au président des États-Unis, en peignoir. Il lui a annoncé qu’Alice Marie Johnson allait être graciée. Je me souviens qu’elle était vraiment contente et soulagée. Sur cette photo, elle est fière : beaucoup de personnes pourraient simplement voir Kim Kardashian posant nue pour un photographe, alors qu’à ce moment même, elle venait juste de faire libérer une femme de prison. Cette photo est vraiment imprégnée de puissance. ”

Naomi and Kate, Meatpacking District, New York City, 1994 © Steven Klein. All Rights Reserved Naomi and Kate, Meatpacking District, New York City, 1994 © Steven Klein. All Rights Reserved
Naomi and Kate, Meatpacking District, New York City, 1994 © Steven Klein. All Rights Reserved

2. Naomi et Kate par Steven Klein, Meatpacking District, New York City, 1994

 

“En 1994, ça faisait déjà huit ans que je travaillais avec Naomi, que je connais depuis ses 16 ans. Nous partageons vraiment une belle relation. Mais Kate, c'était la première fois que je travaillais avec elle, je venais de la rencontrer dans les rues de New York. Je ne pouvais pas m’arrêter de la photographier, mon objectif était attiré vers elle comme par un aimant. Pour ce photoshoot, on a travaillé avec Edward Enninful, à l’époque styliste pour i-D Magazine [aujourd’hui rédacteur en chef de Vogue UK], et il était arrivé avec deux robes Biba vintage des années 70 qu’il a carrément découpées ! Je me souviens très bien de ce shooting, c’était en soirée, à l’extérieur de mon studio, qui se trouvait à l’époque dans le quartier de Meatpacking, où il y avait beaucoup de travestis et de prostituées. Pendant que je photographiais Naomi et Kate, une petite foule s’est réunie autour de nous parce que personne ne croyait que c’était vraiment Naomi [qui était déjà très connue]. Quand ils l’ont finalement reconnue, il y a une grosse agitation. Je crois d’ailleurs que c’est la première fois que Naomi et Kate ont été photographiées ensemble”.

Brad Pitt #36, New York City, 2004 © Steven Klein. All Rights Reserved Brad Pitt #36, New York City, 2004 © Steven Klein. All Rights Reserved
Brad Pitt #36, New York City, 2004 © Steven Klein. All Rights Reserved

3. Brad Pitt #36 par Steven Klein, New York City, 2004

 

“Cette photo est en fait un moulage de la tête de Brad Pitt, qui avait été réalisé pour une série publiée dans un magazine. Donc ce n’est pas vraiment lui. L’idée était de le représenter à la manière d'une statue, ou d'une sculpture de marbre couverte de sang. Mark [Holborn, photographe et critique d’art] la surnomme “la tête sanglante” ; car il y voit plus l'image d’une tête ensanglantée qu’un portrait de Brad Pitt. J’ai recouvert son visage de peinture rouge pour évoquer le sang, mais sans rechercher le gore. Je trouve que le rouge est une couleur très forte, que ça apporte de la vie dans l’image. Bien que j'aie réalisé au cours de ma carrière de nombreux portaits, selon moi, ces derniers ne représentent pas vraiment une personne : ils sont simplement une façade, le physique de quelqu'un pris dans une mise en scène. Dans cette photographie de Brad Pitt, le sang représente la connexion entre le corps et l’âme, thème que j’ai par la suite exploré dans ma série Cut-throats [2005] dans laquelle j’ai photographié des cous tranchés. C'est finalement davantage une critique cynique du portrait que des photographies gore.”

Madonna and Jesus, Hotel Glória, Rio de Janeiro, 2008 © Steven Klein. All Rights Reserved Madonna and Jesus, Hotel Glória, Rio de Janeiro, 2008 © Steven Klein. All Rights Reserved
Madonna and Jesus, Hotel Glória, Rio de Janeiro, 2008 © Steven Klein. All Rights Reserved

4. Madonna et Jesus par Steven Klein, Hotel Glória, Rio de Janeiro, 2008

 

J’ai une relation incroyable avec Madonna. Nous travaillons ensemble depuis plus de vingt ans sur de nombreux projets comme ses albums, ses tournées, ses clips… Tout le monde n'est pas au courant, mais nous avons réalisé énormément de séries photographiques, à commencer par celle-ci, Blame it on Rio. Elle était en tournée au Brésil, et je l’ai rejointe à Rio. Pour nos shoots, nous créons souvent un personnage ; ici, Madonna jouait le rôle d’une joueuse de casino en vacances dans le sud-est de la France. Nous avions l'ensemble de l’hôtel Glória à notre disposition, car il allait fermer. La veille, nous avions organisé une fête pour laquelle nous avions fait venir d’Europe des mannequins, c’était comme une sorte de casting sauvage — mais aussi pour apprendre à tous se connaître. C’est ce soir-là que Madonna a rencontré Jésus [compagnon de la chanteuse de 2008 à 2010], et c’est sur cette photographie qu’ils ont ‘consommé’ leur relation pour la première fois, dans la suite présidentielle de l’hôtel”.

Killer Heels, Mechanophilia, Barbara Fiahlo, New York City, 2014 © Steven Klein. All Rights Reserved Killer Heels, Mechanophilia, Barbara Fiahlo, New York City, 2014 © Steven Klein. All Rights Reserved
Killer Heels, Mechanophilia, Barbara Fiahlo, New York City, 2014 © Steven Klein. All Rights Reserved

5. Killer Heels par Steven Klein, Mechanophilia, Barbara Fiahlo, New York City, 2014

 

“Mark a choisi cette photographie en couverture du livre pour le contraste que ça allait créer entre le rouge et le blanc [la couverture de son ouvrage est blanche]. Je trouve qu’il a eu raison parce qu’elle résume un peu tout mon univers : le rouge sang, la mode, le morbide, le suspense… Comme dans toutes mes photos, on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe ou ce qu’il vient de se passer, il y a des éléments inquiétants et dangereux comme ces rayures sur le sol et la pointe presque aiguisée des escarpins. Cette image provoque beaucoup de questions. Elle est tirée de la série Killer Hills que j’avais réalisée en 2008 pour une commande du Brooklyn Museum qui organisait une exposition sur les chaussures. Je voulais jouer sur l’ambivalence des talons : une femme peut se sentir puissante en les portant, mais elle peut aussi souffrir. Je trouve que c’est une belle introduction aux photographies qui suivent dans les pages du livre.”

 

“Steven Klein”, édité et introduit par un essai de Mark Holborn, éditions Phaidon, 175€.