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13 Comment Philip Huang rend-il la mode écoresponsable cool ?

Comment Philip Huang rend-il la mode écoresponsable cool ?

MODE

Si dans l'imaginaire collectif, la mode écoresponsable est encore souvent associée à des designs désuets, le label Philip Huang et ses créations en fibres et teintures naturelles comptent bien changer les choses. Numéro a interviewé Philip Huang et Chomwan Weeraworawit, fondateurs du label basé entre New York et Bangkok.

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Il y a cinq ans, Philip Huang et Chomwan Weeraworawit ont lancé à New York leur label Philip Huang qui associe fibres naturelles teintes à l'indigo à des designs contemporains. Aujourd'hui installé à Bangkok, le couple dévoile les dessous de la fabrication de sa collection printemps-été 2021 à travers une vidéo réalisée avec Sayombhu Mukdeeprom, directeur de la photographie du film "Call Me By Your Name". Une découverte poétique et émouvante de savoir-faire ancestraux perpétués par des grand-mères en Thaïlande, surnommées “Indigo Grandmas”. Philip Huang et Chomwan Weeraworawit exliquent à Numéro comment leur démarche durable, à l'opposé des clichés habituels sur le sujet, est née.

 

 

Numéro : Comment vous est venue l'idée de lancer votre label ?

Chomwan Weeraworawit : C'est notre rencontre et nos deux parcours différents qui ont permis à la marque d'exister. Nous baignons tous les deux dans l'univers de la mode – Philip a été mannequin pour des grandes maisons et j'ai un doctorat en propriété intellectuelle dans l'industrie textile, donc l'idée de créer cette marque s'est imposée naturellement. 

 

 

Qu'est-ce qui vous a séduits dans cette aventure?

CW : Nous avons débuté sans business plan mais avec la volonté de créer quelque chose et de travailler avec nos amis. Si pour Philip la mode a été un moyen de voyager et de découvrir des choses, pour moi il s'agissait de créer, de fabriquer. Cet aspect social et communautaire est très important et c'est pourquoi finalement travailler avec des teintures et des fibres naturelles, c'est revenir au fait main, au fabriqué par l'homme.

 

Philip Huang : Finalement, c'est une façon de voyager qui sort de l'ordinaire. Il s'agit d'explorer, de rencontrer des artisans, d'observer ce qu'ils font et de transmettre.

 

 

Quelle est la première pièce que vous avez créée ?

PH: Les premières pièces que nous avons produites étaient des tee-shirts. J'en porte tous les jours, mes amis aussi : nous vivons et respirons dans des tee-shirts. C'était comme une toile blanche pour moi d'explorer les différentes couleurs, de travailler avec les villageois, d'être curieux de tout, d'expérimenter et de proposer toutes ces nuances différentes de tee-shirts.

 

 

Finalement, toutes ces expérimentations sur les tee-shirts se sont transformées en une collection?

PH : Oui tout à fait!

 


CW : Lorsque nous avons rencontré ces Indigo Grandmas, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait tellement de choses que nous pouvions faire! À partir de ce moment-là, les collections n'ont cessé de s'étoffer pour nous conduire jusqu'à aujourd'hui et cette interview avec vous. Finalement, le chemin accompli a été bien plus loin que nous l'avions prévu !

 

 

Qu'est ce qui vous a séduits dans l'indigo et les teintures naturelles?

PH : Ce qui me fascine dans l'indigo, c'est que c'est une matière vivante. Pour comprendre et maîtriser cette technique, il faut la pratiquer pendant au moins deux ans. Nous avons trois enfants, et l'indigo est comme le quatrième ! Cette teinture existe depuis 6200 ans. C'est un esprit puissant et côtoyer ce genre de force est très inspirant pour moi. Cette réflexion vous rend humble. Une des choses que j'apprécie le plus, c'est d'expérimenter avec des artistes, pousser le côté intellectuel de l'indigo. C'est ce qui nous a poussés à collaborer avec des artistes.

 

 

Sur votre site, vous avez lancé le projet PhLab, pouvez-vous m'en dire plus?

PH : PhLab est en quelque sorte le département recherche et développement de notre label. C'est cette plateforme qui me permet d'évoluer, d'explorer, de travailler, de garder l'esprit ouvert. C'est un endroit où je peux collaborer avec des artistes, des designers, des créatifs. Venant de l'ingénierie, j'ai besoin de tout visualiser et PhLab me le permet.

 

CW : L'évolution du label passe par la recherche de nouveaux teinturiers, de nouveaux artisans et finalement ce Lab est une plateforme communautaire de recherche qui permet de créer des relations et des rencontres. On ne peut pas avancer seul. C'est aussi une plateforme pour ceux qui souhaitent apprendre.

 

 

L'un des aspects intéressants de votre label, c'est d'associer des techniques artisanales et traditionnelles à des designs contemporains et edgy. Pourquoi est-ce difficile pour les marques et comment parvenez-vous à le faire?

CW: Quand nous avons commencé à travailler avec des matières naturelles, nous savions pertinemment que, dans l'esprit des gens, l'aspect artisanal est associé à quelque chose de démodé ou à un esprit écolo-hippie [crunchy-granola en anglais]. C'était notre mission de créer quelque chose qui soit en rupture avec cette idée qu'ont les gens de la mode durable. Nous sommes très ancrés dans la culture contemporaine sous toutes ses formes – que ce soit la musique, le cinéma, l'art, l'automobile ou l'aéronautique – et nous voulons vraiment fusionner savoir ancestral et traditionnel avec ce qui est contemporain. Si vous regardez le développement des technologies, il est toujours lié à l'observation de la nature, à des connaissances anciennes. Le progrès et la tradition ne sont pas des idées incompatibles.

 

 

Comment faites-vous pour véhiculer ces idées à travers votre label?

CW :  Ce qui est incroyable c'est que les grand-mères avec lesquelles nous travaillons sont des visionnaires, elles veulent du changement et parler aux jeunes générations. Si ce n'est pas cool, pertinent ou connecté à la culture contemporaine, qui prendra le relais quand les grand-mères seront parties? Au cours des quinze dernières années, j'ai travaillé avec des artistes, architectes et réalisateurs, donc je crois à l'importance du storytelling et à la manière d'ancrer une marque dans un contexte. Pour nous, ce serait le rétro-futurisme, cette idée d'un futur plus beau grâce au passé. Ici, le défi était de changer l'aspect narratif du développement durable, l'histoire que l'on raconte derrière le savoir que l'on maîtrise.

 

 

Il y a donc aussi une nécessité de préserver ces savoir-faire?

PH : En commençant à travailler avec les Indigo Grandmas, nous avons réalisé que si ces savoir-faire traditionnels ne sont pas transmis, ils vont mourir. Elles ont dans les 70 ans, et nous avons 10 ou 20 ans pour préserver leur savoir. Ce fut une des premières choses qui nous a inspiré. 

 

CW : Un des autres aspects auxquels nous réfléchissons souvent est que quand les gens pensent à l'artisanat et au développement durable, ils ont l'impression d'aider les autres. Ce qui est faux! C'est un échange, ils nous enseignent beaucoup de choses et nous leur faisons part également de nos nouvelles idées. Ils vivent de façon simple mais dans des villages écoresponsables, ils n'ont pas besoin de nous. Mais ils sont contents de nous avoir.

 

PH : Travailler ensemble est intéressant pour eux que pour nous. Nous sommes dans le même bateau.

Comment avez-vous trouvé les “Indigo Grandmas” avec lesquelles vous créez vos collections ?

PH : Nous avons pris une voiture et nous nous sommes rendus de village en village.

 

CW : C'est sur un site de l'université de Cornwell que j'ai appris l'existence de ces grand-mères. Immédiatement après nous sommes allés dans une foire qui vend des produits teints à l’indigo et nous avons rencontré quelques grand-mères. Cela a suffi à nous convaincre : quelques jours après, nous avons pris la voiture pour partir les rencontrer directement dans leurs villages.

 

PH : Nous étions vraiment très intéressés par leur méthode de teinture naturelle et nous voulions vraiment nous rendre compte  des choses par nous-mêmes, sur place, voir directement leur manière de travailler, et comprendre le processus de fabrication.

 

CW : La collaboration a demandé du temps et  s'est initiée très progressivement. Lors du premier voyage, en effet, les résultats étaient mitigés, nous nous sommes heurtés à des refus car toutes les personnes de la communauté n'étaient pas d'accord pour travailler avec des étrangers. Nous avons donc effectué un autre voyage, un mois plus tard, et nous avons découvert ce village avec lequel nous collaborons toujours. 

 

 

Aujourd'hui avec combien de communautés travaillez-vous?

CW: Nous travaillons avec cinq villages qui, chacun, sont composés de plusieurs foyers. À titre d'exemple, l'un de ces villages en compte 52, par exemple. Tous participent au processus de fabrication des tissus teints.

 

 

Ces communautés ont-elles une volonté de développer de nouvelles techniques, concepts, matériaux avec vous?

CW : Le dialogue peut être compliqué. Il nous a fallu cinq ans pour avoir leur confiance.  Ils nous testent, nous les testons. La première grand-mère avec laquelle nous avons travaillé dans un village de Sakon Nakhon a été d'une grande générosité avec nous. Nous avons développé avec elle la teinture du cachemire par exemple. 


 

PH : Quand nous nous rendons dans leurs villages, nous pénétrons leur maison, leur sphère privée car c'est là qu'ils travaillent et qu'ils vivent. La relation doit être une conversation, une compréhension mutuelle. 

 

CW : Nous avons aussi constaté qu'ils étaient plus ouverts qu'auparavant. Désormais lors des réunions, ils convient leurs enfants et petits-enfants.