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Numéro
08 Alice Glass, Crystal Castles, Pussy Riot, Grimes, Sophie, Metoo

Que devient Alice Glass, ex-chanteuse du duo synthpunk culte Crystal Castles ?

MUSIQUE

À 34 ans, l'ancienne chanteuse du groupe canadien synthpunk culte des années 2010 Crystal Castles revient avec un single en collaboration avec le producteur Boys Noize et le groupe russe féministe Pussy Riot. Condamnant le patriarcat, le morceau techno-punk permet à la babydoll gothique de se venger d'un passé torturé. Retour sur le parcours accidenté d'une artiste passionnante.

La vidéo de Chastity (2023) de Boys Noize & Pussy Riot featuring Alice Glass

Dans les années 2000 et 2010, on ne pouvait pas se rendre dans un club à la mode sans y entendre l'un des tubes bruitistes de Crystal Castles. Ce duo canadien de synthpunk aussi sombre que les looks de ses protagonistes était l'objet d'un véritable culte à l'ère de Myspace et de la bloghouse. Mélangeant la musique de jeux vidéo à des sonorités rock inspirées de groupes comme Sonic Youth et Joy Division et une esthétique proche du black metal, le groupe avait fédéré les noctambules et la jeunesse désenchantée de l'époque. L'engouement pour la formation qui a collaboré avec Robert Smith de The Cure était aussi dû à leurs concerts sauvages et imprévisibles. L'une de leurs prestations live, au festival de Glastonbury, fut arrêtée au bout de vingt minutes parce qu'Alice Glass, la moitié du groupe, essayait de grimper sur des poutres métalliques, ce qui provoqua une querelle avec la sécurité. Une autre fois, Alice Glass s'est produit, blessée, sur scène alors qu'elle se tenait péniblement sur des béquilles. Sauf que derrière la hype et les coups d'éclat anticonformistes, se cachait une vérité bien plus sombre.

 

Alice Glass, ex-chanteuse du duo synthpunk culte Crystal Castles, s'émancipe en solo

 

En octobre 2014, Alice Glass annonçait en effet sur son compte Facebook qu'elle quittait le groupe qui avait sorti trois albums studio pour des raisons personnelles et professionnelles. L'année suivante, elle en disait plus dans une lettre ouverte accompagnant une nouvelle chanson solo aux airs de renaissance, Stillbirth. La chanteuse canadienne décidait de reverser tous les bénéfices des ventes de ce morceau à des associations caritatives luttant contre les violences domestiques et les abus sexuels. En même temps, l'artiste expliquait avoir vécu une longue relation abusive. Quelques années plus tard, en pleine vague #MeToo, elle informera ses fans de l'identité de son bourreau qui était en fait l'autre moitié de Crystal Castles, Ethan Kath. Ce dernier, qui nie les faits, l'aurait agressé psychologiquement, physiquement et sexuellement pendant une décennie.

La vidéo de Love is Violence (2022) d'Alice Glass

Un album dans la lignée de Sophie et de Grimes

 

Depuis, Alice Glass, 34 ans, qui vit à Palm Springs avec un pitbull et trois chats, tente de reconstruire tout en partageant des singles oscillant entre électro-punk et pop déjantée, voix enfantine et mélodies syncopées, chaos et hédonisme, noirceur et accalmie. "J'aime écrire des morceaux sur lesquels on peut danser quand on est triste" dit-elle dans un communiqué. Son album solo Prey//IV, sorti en 2022, prouvait à qui en doutait que la chanteuse à l'esthétique gothique et gore peut exister sans celui qui la contrôlait. "J'ai une chanson pour chaque émotion négative que tu peux imaginer" note, à propos de ce disque cathartique, la Canadienne sur son compte Twitter. Mais le résultat sonne étrangement positif. Quelque part entre Grimes, Poppy, la trap, l'hyperpop – la regrettée Sophie a conseillé l'artiste sur ses nouveaux morceaux - et Marilyn Manson (avec lequel Alice Glass a tourné et qui, comble du drame, a lui aussi été accusé d'agression sexuelle), l'album dépeint une artiste palpitante et combative.

 

C'est que Margaret Osborn (de son vrai nom), née en 1988 à Toronto dans l'Ontario a toujours été une artiste punk et passionnante dans l'âme. Et ce, avant même de rencontrer le succès avec Crystal Castles. À l'âge de 14 ans déjà, la jeune fille turbulente qui s'attirait toujours des ennuis changeait de nom pour se faire appeler Vicki Vale. Elle fuyait également au même moment sa famille un peu trop absente à son goût – ainsi qu'un environnement catholique – pour vivre dans un squat au sein d'une communauté de punks accros aux drogues. Encore adolescente, la Canadienne rebelle jouait dans un groupe de punk féminin nommé Fetus Fatale. C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'Ethan Kath la repère, impressionné par son charisme lors d'une de ses performances live avec son groupe alors qu'elle n'a que quinze ans. Il lui confie soixante bribes de chansons instrumentales sur lesquelles il voulait avoir des paroles. La jeune fille s'exécute... Commence alors la terrible relation dénoncée par Alice Glass, faite d'emprise et de violence, entre les deux membres de Crystal Castles.

La vidéo de Mine (2018) d'Alice Glass

Un hymne techno-punk contre le patriarcat signé par Alice Glass et les Pussy Riot

 

En 2022, au moment de la sortie de  son premier album solo, Alice Glass invitait tous les fans de son ex-formation à relire les crédits des albums de Crystal Castles et à constater son implication créative dans le groupe, notamment au niveau des textes. Implication qui fut minimisée par son ex-compagnon le temps de leur union. Heureusement, le talent dont la chanteuse fait preuve sur Prey//IV pour tailler des morceaux aussi tortueux qu'addictifs ne devrait plus permettre de confusions quant à sa crédibilité.

 

Elle confirme aujourd'hui son émancipation avec un single techno-punk efficace, Chastity, en collaboration avec le producteur de musique électronique allemand Boys Noize et les activistes de Pussy Riot. Selon Nadya Tolokonnikova, artiste issue du collectif de punk rock féministe russe, ce morceau parle de mettre le patriarcat dans une petite cage et d'en jeter les clés. Le programme a dû résonner de façon très personnelle, telle une vengeance, chez Alice Glass.

 

Prey//IV (2022) d'Alice Glass, disponible. Chastity (2023) de Boys Noize et Pussy Riot featuring Alice Glass, disponible.