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Numéro
11 Le rappeur français Benjamin Epps sacré aux BET Awards 2022.

Pourquoi Benjamin Epps a-t-il été élu “Meilleur flow international” ?

MUSIQUE

C’est une première dans l’histoire du rap francophone. À 26 ans, le jeune Français Benjamin Epps décroche le trophée du “Meilleur flow international” lors de la cérémonie américaine des BET Awards 2022.  Numéro s'est intéressé à ce jeune artiste qui ressuscite le rap des années 90, à son “flow” et à l'une de ses idoles, The Notorious Big, rappeur mythique abattu dans une voiture de quatre balles dans la poitrine en 1997…

La pochette de l’album “Vous n'êtes pas contents ? Triplé !” de Benjamin Epps. Photographie par Armen Djerrahian. La pochette de l’album “Vous n'êtes pas contents ? Triplé !” de Benjamin Epps. Photographie par Armen Djerrahian.
La pochette de l’album “Vous n'êtes pas contents ? Triplé !” de Benjamin Epps. Photographie par Armen Djerrahian.

1. Un Français décroche le trophée du “Meilleur flow” dans une cérémonie américaine

 

Sur son album de huit titres sorti en janvier 2022 Vous n’êtes pas contents ? Triplé ! (inspiré par une phrase du footballeur Kylian Mbappé) le rappeur Benjamin Epps confirme tout le bien que pensait déjà de lui la presse spécialisée : il est l’un des meilleurs rappeurs de sa génération. Un avis partagé par les médias outre-Atlantique puisque le jeune homme de 26 ans vient de décrocher le trophée du “Meilleur flow international” aux BET Awards 2022, le 4 octobre. Créée il y a plus de vingt ans par la chaîne américaine Black Entertainment Television, cette cérémonie récompense les artistes issus des minorités dans le domaine du divertissement, et logiquement de la musique. Cette consécration est une grande première dans l’histoire du rap francophone. D’autant que cette catégorie n’existe pas dans nos cérémonies françaises moribondes… À Atlanta, tandis que la superstar Kendrick Lamar survole la cérémonie en remportant trois trophées majeurs – “Meilleur artiste de l’année”, “Meilleur album de l’année” ou encore “Meilleur parolier de l’année” – Benjamin Epps éclipse ses concurrents directs et s’impose devant le phénomène britannique Central Cee, le ghanéen Black Sherif et son homologue Le Juiice.

Benjamin Epps - “CE QUE LE PIPS DEMANDE” | A COLORS SHOW

2. Mais qui est vraiment Benjamin Epps, l’un des meilleurs rappeurs de sa génération ?

 

Né à Libreville (Gabon) et installé en France depuis 2015, Benjamin Epps mise tout sur sa voix d’éternel adolescent digne du regretté Eazy-E, rappeur emblématique de Compton. Tout autant inspiré par le hobbie ses frères aînés que par les formations francophones des nineties, il séduit par son style frontal aux punchlines grinçantes et son flow exaltant emprunté aux princes du Brooklyn de la fin des années 80. À contrecourant d’une drill monotone – sous-genre du rap très sombre qui déborde aujourd’hui les plateformes de streaming – Benjamin Epps, pioche dans la soul et le R’n’B, se réclame du funk et du boom bap à grands coups de samples d’esthète. Le rappeur volubile propulse ses auditeurs dans un New York caniculaire du milieu des années 80, entre ghettoblasters grésillants et souvenirs de la Blaxploitation : “Je sais ce que le pips [le peuple] demande, il voulait qu'Epps se lance il veut l’excellence…”.

Le rappeur Benjamin Epps avec une couronne sur la tête, référence directe à Notorious Big. Le rappeur Benjamin Epps avec une couronne sur la tête, référence directe à Notorious Big.
Le rappeur Benjamin Epps avec une couronne sur la tête, référence directe à Notorious Big.

3. Le flow, la plus grande qualité de Benjamin Epps ?

 

Plus qu’un simple phrasé, le flow (mot signifiant “flux”, “courant” en anglais) désigne un débit original, une signature, la façon dont les rappeurs accordent leur cadence à la mélodie. Une sorte d’éloquence musicale qui permet aux artistes tout un éventail de nuances vocales. L’Université Paris Cité (Grands Moulins) a réfléchi au sujet au cours du colloque Musicaliser la langue : le flow et la voix dans le rap. Les chercheurs Marion Coste, Hector Jenni et Cyril Vettorato observent : “le flow permet aux rappeur.ses de construire un ethos, voire une scénographie […] Il est lié aux caractéristiques physiques de la voix, implique leur corps et la façon dont ils le mettent en scène : nombreux.ses sont celles et ceux qui pratiquent différents flows pour donner à entendre plusieurs personnages, jouant notamment sur les hauteurs des voix pour signifier des personnages masculins ou féminins, dans une optique plus ou moins caricaturale. Les flows peuvent également prendre appui sur des marqueurs vocaux associés à certains groupes sociaux. Très souvent, en contrepoint de ‘mon flow’, il y a ‘leur flow’, celui des rivaux et rivales, qui n’est pas à la hauteur, qui manque de souplesse ou d’originalité…” Ressemblance physique oblige, lorsque la presse découvre Benjamin Epps, elle le compare aussitôt à une légende du rap new-yorkais… un certain Notorious Big. L’une de ses principales qualités ? Son flow.

The Notorious Big et sa couronne en 1997. The Notorious Big et sa couronne en 1997.
The Notorious Big et sa couronne en 1997.

4. The Notorious Big : une source d’inspiration au flow légendaire

 

Le tirage en noir et blanc avoisine les 9 000 dollars. Christopher Wallace, 22 ans, y défie l’objectif du regard tandis qu’un joint démesuré surgit de sa bouche déjà envahie par une épaisse fumée blanche. Le photographe, Geoffroy de Boismenu, a rencontré celui que l’on surnomme déjà “Biggie” dans son appartement de Bed-Stuy, à Brooklyn, pour “boire une tasse de thé”. Nous sommes en 1994 et son premier album studio, Ready to Die, n’est même pas encore sorti. Un titre lugubre et tristement prophétique : trois ans plus tard, le rappeur emblématique de New York recevra quatre balles en pleine poitrine. Cette image aura longtemps été exposée, détournée et réutilisée par les descendants de The Notorious Big devenu une icône indétrônable dont chacun se remémore le flow indémodable. Un ego trip élevé au rang de tradition grâce à des phrases courtes à l’efficacité redoutable. Des punchlines de légende.

 

Une autre photographie restera dans les annales, celle de Barron Claiborne publiée dans le magazine Rap Pages en mars 1997, trois jours avant l’assassinat de Biggie à Los Angeles. Un portrait écarlate sur lequel le rappeur porte une couronne bon marché. Réminescence des films de mafiosos, cette image résume à elle seule le rap crépusculaire et méthodique de The Notorious Big, porte-parole de l’ultra violence des ghettos new-yorkais et, fatalement, conteur désabusé de sa propre existence à grand renfort d’aphorismes. Lors de diverses séance de photographies promotionnelles, Benjamin Epps posera tour à tour avec un énorme cigare et une couronne sur la tête. Son tour de force ? S’inspirer de son héros sans en devenir un vulgaire ersatz. Il choisira finalement une image d’Armen Djerrahian pour illustrer son EP Vous n’êtes pas contents ? Triplé ! Il apparait la mine renfrognée, une lame de rasoir entre les dents, sur une somptueuse image en noir et blanc. À croire qu’il savait dès le départ que son flow ciselé serait son va-tout.