

Il est de ceux qui ont refusé le revival nineties qui s’est abattu sur la planète depuis quelque temps, exhumant le meurtrier de 2Pac, ressuscitant le sac banane et catapultant à nouveau Lauryn Hill sur le devant de la scène. Mais à 28 ans, Matthew Urango, lui, préfère l’atmosphère des années 70, les idylles éphémères sur les pistes de danse, les clubs moites et branchés ultra sélect, les tubes funk volcaniques et les afros soignées. Il s’est créé un avatar, Cola Boyy, projeté sur la jaquette de Black Boogie Neon son premier EP imaginée par Mrzyk & Moriceau, sorte de super-héros en pôle position pour devenir le nouveau visage du disco.
Natif d’Oxnard, municipalité punk située dans le compté de Ventura en Californie, Cola Boyy fait ses armes sur le même terrain de jeu que le jazzman Madlib et l’hyperactif Anderson Paak. Là-bas, le Nardcore, mouvement contestataire lancé au début des années 1980 à Silver Strand Beach et Port Hueneme, règne en maître. Dès l’âge de 17 ans, Matthew Urango apprivoise ce monstre turbulent qu’est le punk et intègre son premier groupe de musique. Il s’initie à la guitare et rejoint par la suite El Mariachi, un autre groupe pour lequel il chante et compose, avant d’emprunter le sentier de l’indie pop (en tant que bassiste) avec la formation Sea Lions. À défaut d’être Paul McCartney, son idole absolue, Cola Boyy détient l’ingrédient nécessaire au groove. Fils spirituel du gang new-yorkais militant The Ghetto Brothers dont l’unique album date de 1972, aficionado du nu-funk et de l’acid jazz de Jamiroquai, Cola Boyy épouse finalement le disco-funk de Chic. Un son chaud, rond, des guitares claquantes... un genre qui refuse la rigueur de la pulsation et se fonde sur les retards rythmiques. Et lorsqu’il narre le récit d’un crime passionnel, l’histoire prend la forme d’une complainte disco assourdissante, survitaminée et résolument rétro : Penny Girl devient le titre phare de son EP.
Cola Boyy - “Penny Girl”
Pantalon pattes d’eph, lunettes de soleil et look débraillé, Cola Boyy a tout du personnage attachant de série télévisée. Un handicap de naissance entraînant une malformation de la colonne vertébrale a mené ses parents vers un choix cornélien. Leur fils n’a que deux ans et le couperet tombe : le fauteuil ou l’amputation. Matthew Urango s’en tire avec une jambe artificielle et une force de caractère décuplée : “Être handicapé ne signifie pas forcément une incapacité à faire, mais il faut prouver sans cesse qu’on peut contribuer, à sa manière, et transformer les attentes, confie-t-il, une moitié de moi-même a toujours su que le handicap ne m’arrêterait pas, que j’allais y arriver.” Cola Boyy est écossais et portugais par sa mère, chumash (un peuple amérindien), afro-américain et mexicain par son père. Véritable melting-pot à lui tout seul, cette force culturelle lui a, selon ses dires, doute permis de surmonter son handicap, le regard des autres et la possible injustice ressentie vis-à-vis de son frère jumeau, épargné par la maladie. Comme pour beaucoup d’autres, Cola Boyy n’ a eu d’autre choix que de transformer son handicap en force afin de le surmonter, devenir ambidextre et s’injecter chaque matin une dose de second degré que l’on retrouve notamment dans ses clips. En 2016 on le repère sur une scène de Los Angeles, sa pathologie altère sa voix et lui confère ce petit truc en plus...
Cola Boyy est tombé sur un certain Mac Demarco et le groupe MGMT. On retrouve un peu de leur folie dans son premier opus : une voix haut perchée à la réverbération ravageuse, des synthés d’un autre âge et, en surface, une poésie mélancolique.

Cola Boyy par David Luraschi
Préambule à un futur album prévu pour 2019, son premier EP, Black Boogie Neon paraîtra le 21 septembre prochain. Il a été enregistré entre Paris et Los Angeles et produit par le musicologue français Corentin Kerdraon alias Nit. Influencé par les extravagances du Studio 54, Cola Boyy n’est tombé ni sur Warhol ni sur Bowie mais sur un certain Mac Demarco et le groupe MGMT dont le dernier album Little Dark Age marquait le grand retour cette année. Et c’est avec le groupe de rock psychédélique et le type le plus barré du moment que Cola Boyy est parti en tournée. D’ailleurs, on retrouve un peu de leur folie dans son premier opus aux effluves indie rock : une voix haut perchée à la réverbération ravageuse, des synthés d’un autre âge et, en surface, une poésie mélancolique. Activiste et militant en faveur des migrants et des travailleurs agricoles maltraités, nous n’avons certainement pas fini d’entendre parler de Cola Boyy, crooner atypique et nouveau symbole d’un disco insaisissable.
Black Boogie Neon, Cola Boyy, sortie le 21 septembre.
Cola Boyy - “Have You Seen Her”