47


Commandez-le
Numéro
19 Qui est Joy Crookes, la diva anglaise qui tacle Boris Johnson ?

Qui est Joy Crookes, la diva anglaise qui tacle Boris Johnson ?

MUSIQUE

Sous ses airs de poupée mystique à la Erykah Badu, Joy Crookes a secoué l'Angleterre avec des titres soul impeccables et des textes souvent piquants. Dans son premier album Skin, elle attaque le gouvernement conservateur de Boris Johnson et, dans un registre moins solennel, radiographie le multiculturalisme du sud de Londres ou dévoile les détails de sa rupture avec son ex-petit ami devenu gay.  

La chanteuse britannique Joy Crookes La chanteuse britannique Joy Crookes
La chanteuse britannique Joy Crookes

Je me souviens d'un temps où le téléphone n'était pas aussi important qu'il l'est aujourd'hui. Une temps où la dopamine n’était ni le crack ni la cocaïne et où il était normal de sortir, de s'asseoir tranquillement dans un parc et de parler avec des jeunes de son âge.” Avachie dans un canapé, Joy Crookes semblerait presque mélancolique…Et puis non. Son ton, sa posture et son regard, qui plonge droit dans le nôtre tandis qu’elle savoure une cigarette, sont autant de signaux qui trahissent l’assurance épatante d’une jeune femme d’à peine 23 ans. Face à un buffet qu’elle n’a pas zieuté un instant, celle qui domine les charts britanniques depuis plusieurs semaines avec son premier album Skin établit un constat glaçant sur l’époque qui l’a consacrée, cette ère où, regrette-t-elle, chaque utilisateur d’Instagram peut se revendiquer photographe. 

 

Je m’inquiète parfois de la saturation du monde de la création. Certains bossent pendant des années et ont peur de dévoiler leur travail à cause de la profusion de gens qui se disent ‘artistes’”, poursuit la chanteuse, qui, sous ses airs de poupée mystique à la Erykah Badu, pourrait aisément être qualifiée de “woke” [mot argotique signifiant “vigilant”, “engagé”]. Née d’une mère bangladaise et d’un père irlandais, Joy Crookes s’est fait connaître avec des titres soul impeccables et des textes souvent piquants qui attaquent le gouvernement conservateur de Boris Johnson et, dans un registre moins solennel, radiographient le multiculturalisme du sud de Londres ou dévoilent les détails de sa rupture avec son ex-petit ami devenu gay.  

Lorsqu’on l’écoute, la nouvelle coqueluche de la capitale britannique nous embarque pourtant sur un terrain tendre et nous fait embrasser une certaine nostalgie (pas la sienne, la notre). Celle de l'explosion d'Adele et du séisme Back to Black… La fin des années 2000. À travers les treize titres de son premier disque, Joy Crookes fait une virée dans les rues d’Elephant and Castle, son quartier, où, dit-elle, les cultures, les odeurs et les sons se mélangent. Avec sa voix puissante, allègrement comparée à celle d’Amy Winehouse, qui flotte, roule et réchauffe, l'auteure-compositrice-interprète rend la soul pop et fait de cette même pop un son authentique, même viscéral. Et l'influence des divas anglaises de la dernière décennie, reconnaît-elle, y est pour quelque chose : “Si vous avec grandi à Londres, vous ne pouvez pas ne pas aimer Amy [Winehouse]. Chaque jeune femme se voit en elle et la voit en soi. Et ce que j'aime avec elle et Adele, c'est que ce sont – ou ont été – des superstars mais en même temps de vraies personnes, accessibles. La Grande-Bretagne est très douée pour faire naître d'immenses artistes mais en même temps très authentiques”.

 

Cette vérité-là, on le sait, s'est payée au prix fort pour l'interprète de Rehab, qui a plongé la tête la première dans le crack en même temps que dans la célébrité. Se brûler les ailes, un danger dont la nouvelle princesse de la soul semble se sentir à l'abri : “Je me vois toujours comme la fille qui fait de la musique dans sa chambre. Mais, effectivement, personne ne te prévient : ‘De plus en plus de gens vont te reconnaître, alors peut-être que tu ne pourras pas aller à cette fête parce que tout le monde va savoir qui tu es et tu vas te sentir mal à l'aise, il faut que tu fasses attention’". En attendant, elle joue toujours de la guitare dans le quartier où elle a grandi et écoute, en famille et comme lorsqu'elle était enfant, de la musique bengali ou des chants religieux. La seule chose qui semble avoir changé : ses chansons à elle parcourent le monde entier.

 

Skin (2021) de Joy Crookes, disponible.