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Numéro
08 Rencontre avec Lewis OfMan : "Chaque chanson est un aéroport, j'emmène les gens où je veux avec"

Rencontre avec Lewis OfMan : "Chaque chanson est un aéroport, j'emmène les gens où je veux avec"

MUSIQUE

Après ses trois EP Yo Bene (2017), Je pense à toi (2018) et Dancy Party (2021), Lewis OfMan dévoile son premier album Sonic Poems. Numéro a rencontré ce surdoué de l'électro pop, bien décidé à rétablir la vérité sur sa musique.

Après l’immense succès de son tube Attitude (2020) qui a mis le feu aux dance-floors, ses collaborations à seulement 20 ans avec Fakear et plus récemment Rejjie Snow, Lewis OfMan est devenu un véritable phénomène. L’image du producteur de musique électronique, ambianceur de soirée lui colle à la peau. Pourtant, à l’heure où il dévoile son premier album, entre référence à la French Touch et ballade mélancolique amoureuse, cet héritier des poètes dandys du XIXe siècle donne du fil à retordre à ceux qui veulent le faire rentrer dans une case. À grands coups de mélodies énergiques produites au synthé et de tubes aux influences discos, Lewis OfMan fait valser les catégories dans cet album à la fois poétique et groovy.

 

Numéro : le public et la critique sont unanimes : votre musique est faite pour la fête… Alors êtes-vous une créature de la nuit et comment avez-vous vécu la fermeture des clubs et le Covid-19?

 

Lewis OfMan : Même si tout le monde croit le contraire, je ne suis pas un gros clubber… je finis toujours par m'ennuyer en boîte... La seule fois où je me suis senti vraiment bien, c'était à New York, au Night Moves, là j’étais à fond! J’ai dansé toute la nuit… Ce que j'apprécie dans la fête, c'est qu'elle permet de vivre des moments qui sortent du réel, comme dans une faille spatio-temporelle. C'est plutôt la nuit au sens large qui m’inspire. Les confinements et les clubs fermés, finalement, ça n'a pas tellement changé ma vie, ça a même permis de renouer avec quelque chose que j’adore : les dîners. Car tu peux vraiment être extravagant dans un dîner, il suffit de penser à l'esprit des salons du XIXe siècle, comme dans Nana de Zola.

 

 

Ce tout premier album, Sonic Poems, de quoi parle-t-il ?

 

… C’est un bouquet de fleurs dans un vase, dans un hangar en béton, avec des murs blancs tout propres, avec, à côté du vase, une chaussure à talon transparent (rires)! C'est un bouquet d'émotions, un moment de partage de sentiments qu'on connaît tous : la rencontre, le coup de foudre et la désillusion amoureuse. Mon album Sonic Poems, c’est une psychanalyse finalement. Une thérapie très intime et poétique.

Vous êtes passé par une hypokhâgne, est-ce qu'on retrouve des références littéraires dans votre musique ?

 

Je suis très inspiré par la poésie. Pour cet album, j’ai pensé au poème Paris At Night de Prévert, mais j’ai aussi relu Baudelaire, surtout sa prose. Finalement, ce qui m’intéresse, plus que la fête, c’est la rêverie et le vague à l’âme qui en découle. Cette mélancolie romantique est présente dans mon album. On peut voir la chanson Midnight Sex, comme un rêve, un fantasme qui ne se réalise pas. Je l’explique dans les courts textes qui accompagnent le vinyle, des poésies en prose qui proposent une interprétation de la musique. J’aime emmener ceux qui m’écoutent dans un "mood" précis. C’est la même chose face à un tableau de Miró, il ne devient cool que quand tu lis le titre et les explications. Je pense que ce sont mes études qui font que je conçois ma musique avec un sens précis. Pour moi, chaque chanson est un aéroport, j'emmène les gens où je veux avec.

 

Comment avez-vous élaboré cet album ?

 

Je l'ai commencé à Barcelone, il y a déjà trois ans. J’étais encore assez naïf, engagé dans une longue relation amoureuse, protégé du réel, dans mon cocon. Puis elle s'est terminée. Je suis rentré à Paris, et j’ai découvert comment tu peux te mettre dans des histoires toxiques quand tu ne veux pas être seul… J'ai connu la vraie solitude, et aussi la rêverie et les fantasmes qui en découlent. J’ai alors voulu montrer cette autre facette de moi, et j'ai commencé à réfléchir à des thèmes plus violents pour l’album.

 

Pour cet album, vous êtes parti à Londres travailler avec le fameux producteur de musique électronique Tim Goldsworthy, qui a fondé le label DFA avec James Murphy, et travaillé avec LCD Soundsystem, Massive Attack, The Rapture… La musique électronique est-elle la seule qui vous inspire ?

 

Oui je recherchais vraiment le swag et l'univers de Tim. Il jouait en boucle des samples, et moi je composais dessus. Mais mes influences ne se limitent pas à l'électro, j'aime aussi le rock. Avant je faisais de la batterie, mais j'ai toujours aimé bidouiller, comprendre comment ça marche, et j'étais surtout attiré par les sons de synthé. Très tôt, j'ai trouvé que les accords au piano étaient plus riches que des accords de guitare. Mais mes inspirations sont très diverses. En ce moment, c’est la miami bass [sous-genre musical du hip-hop popularisé dans les années 1980 et 1990] et la musique country. Le jazz m’inspire beaucoup, Miles Davis, notamment, pour les solos, ou Barry White et sa soul funk mélodique. J’adore aussi Viens de Françoise Hardy, que ce soit pour la réverb' dans la voix ou les violons. La musique italienne aussi a été très fondatrice pour moi, mais elle l’est moins maintenant… les gens changent (rires)! Mais je garderai toujours une affection particulière pour ce genre et ces mélodies qui font rêver.

Comment se passe votre tournée ?

 

C'est la première fois que je me produis seul dans des salles et pas en festivals au milieu d'autres artistes. Jusque-là, j'ai pas mal vagabondé dans d'autres pays où personne ne me connaissait. J’aime bien ça, parce que, à l'étranger, t'es un peu le mec dans le coin, le petit con, et tu ne peux pas décevoir. Un jour, j’ai fait un concert à Londres dans une galerie d’art avec un public hype et snobinard, qui ne savait pas qui j'étais. Je jouais après Christophe Chassol qui était tout seul au piano. J'étais choqué : tout le monde s’en foutait. Alors moi, parfait inconnu, je suis arrivé avec la niaque, il fallait que je les gagne, avec mes grosses drums et mes grosses basses… Les concerts c'est un vrai challenge. Dans la salle, il y a des gens qui te soutiennent depuis longtemps. C'est extrêmement stressant, mais quand j’ai joué Attitude et que tout le monde chantait la mélodie pour m'accompagner, c’était beau, ça ne m'était jamais arrivé.

 

Justement, qui est votre public?

 

C’est difficile comme question, parce que mon public est très diversifié et que je ne cible absolument personne avec ma musique. D'ailleurs, ça me paraissait être un problème avant que je ne réalise que c’était plutôt une chance. Mais je ne me reconnais pas toujours dans les catégories de la scène contemporaine et le public non plus… je crois que je suis trop pop pour les électro et trop électro pour les pop ! Mais c’est ça finalement mon truc, ce mélange des genres. Mes concerts attirent des gens très extravagants et d’autres qui le sont moins. Je ne m’inscris dans aucune catégorie.

 

On vous présente pourtant comme un producteur de musique électronique…

 

Encore un malentendu sur moi! C’est un terme qui me saoule, je n’ai pas envie que ce soit un album de producteur. Le producteur crée pour d’autres gens, et quand il le fait pour lui on a l’impression que c’est un exercice de style et non pas un vrai projet. Surtout en France, on a du mal à imaginer que les gens puissent sortir des cases. C’est vrai que j’ai collaboré avec d’autres artistes et que je le fais encore. J’ai beaucoup appris de ces collaborations : la rencontre de deux mondes m'intéresse beaucoup. Mais je n’aime pas quand les artistes me reprochent d’avoir un son trop marqué, quand ils veulent seulement un exécutant. Souvent, ce problème vient des managers. D'ailleurs, dès qu'ils sont présents en studio pour assister aux enregistrements, c’est super gênant, ça casse direct la vibe.

Retrouvez-vous cette joie de la collaboration dans votre travail pour des défilés de mode ?

 

Oui c'est génial! J’ai travaillé avec Afterhomework et là, je suis en train de bosser pour un défilé Versace avec la DJ Clara 3000. On me donne des visions, des adjectifs en rapport avec la collection pour m'inspirer. J'aime beaucoup ce type de collaboration car cela te permet vraiment d'étendre ton univers : tes chansons peuvent durer 10 minutes, et c’est là que tu touches au mystique. De toute façon, les défilés de mode se situent dans cette dimension : Saint Laurent dans le désert, c'est vraiment mystique… Avec le cinéma et l'art contemporain, il s'agit des derniers univers qui ont cette portée là. J'ai souvent été inspiré en regardant des défilés, et notamment, par la plupart des défilés de Karl Lagerfeld, parce qu’il va vraiment loin.

 

Justement quel est votre rapport à la mode et aux vêtements ?

 

La mode en elle-même, je m'en fous un peu, quand je vois des gens trop lookés, ça ne m’intéresse pas. C’est l’élégance fantastique qui me plaît, quand il y a un détail drôle ou chic. Aujourd’hui par exemple, j’ai un jean un peu baggy et des Weston défoncées, je suis content de ce style, je suis chill. Les fringues, ça doit être quelque chose dans lequel tu es bien, c’est comme ça que tu as ton "attitude". Je ne suis pas du tout dans le sneakers game, pour moi il n’y a plus aucune sneaker cool, j’arrive plus à en mettre… Les seules que je trouve bien c’est les Yeezy… Avec un costume, ça claque.

 

Vos vêtements reflètent-ils votre personnalité?

 

Au premier abord, je suis très détendu, mais en même temps je suis très pointilleux, que ce soit en musique, en photo mais aussi en graphisme. Je peux vraiment péter un câble quand ce n'est pas bon. Le médiocre est très répandu de nos jours, c’est si facile de laisser passer des trucs mauvais. C’est comme quand tu mixes un son, autant y aller carrément, puisqu'un bon son à la fin, met tout le monde d'accord. Le beau est universel.

 

Sonic Poems, (2022), Lewis Ofman