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04 Rencontre avec Rone : “Pour Audiard, j’ai fait pleurer les synthétiseurs”

Rencontre avec Rone : “Pour Audiard, j’ai fait pleurer les synthétiseurs”

MUSIQUE

Pour Les Olympiades, une histoire de polyamour entre jeunes d'origines, d'âges et de couleurs de peau différents mise en scène par Jacques Audiard, Rone a imaginé une bande son à la croisée de l'ambient, de l'electronica et de la synthpop. Il a, dit-il, “fait pleurer les synthétiseurs”. 

Rone par Jacques-Henri Heim Rone par Jacques-Henri Heim
Rone par Jacques-Henri Heim

Cette année, Jacques Audiard est reparti bredouille du Festival de Cannes. Celui qui a reçu la Palme d’or en 2015 pour Deephan n'a pas été appelé sur scène lors de la soirée qui a consacré Titane mais était, dit-on, "hyper-content.” Le compositeur de la musique de son dernier long-métrage a remporté l'inconnu mais non moins prestigieux “Cannes soundtrack award”, qui récompense depuis 2012 le meilleur auteur de musiques des films en compétition. Erwan Castex, alias Rone, dégaine d'éternel gamin bercé par du Kraftwerk ou d'intello piqué par les synthétiseurs, a donc reçu, sans doute avec l'humilité qui le caractérise, le seul prix décerné aux Olympiades, une histoire de polyamour entre jeunes d'origines, d'âges et de couleurs de peau différents co-écrite avec Céline Sciamma. Sur cette esthétique très graphique, d'un noir et blanc parfait, et sur ces longs travellings sur les tours très peu filmées du 13e arrondissement parisien, celui qui compte déjà un César pour la bande-originale de La Nuit Venue (2019) a imaginé un son très urbain, à la croisée de l'ambient, de l'electronica et de la synthpop. Une musique de film qui pourra bientôt être jouée en club, en festival, et même dans les écouteurs des rêveurs puisqu'InFiné, le label de Rone, a décidé d'en faire un disque et que le producteur lui-même, autant attaché au live qu'à ses débuts, s'apprête à entamer une tournée mondiale.

 

Numéro : En deux ans, vous avez signé deux bandes-originales de films et même créé un spectacle de danse. Le job de producteur d’électro ne vous satisfait plus ?

Rone : Avec ces projets, j’apprends plutôt à produire autrement. Tout ça est très nouveau pour moi… D’une tournée classique, où je suis seul sur scène à faire du live, je passe à une scène de théâtre où je suis quasiment tous les soirs pendant deux semaines d'affilée, pour finir dans ma maison en Bretagne où je m’enferme dans mon studio, devant un écran, en pleine immersion dans un film…

 

 

À 41 ans, vous éprouvez peut-être une certaine lassitude à produire des albums au sens classique du terme…

J’ai des potes producteurs beaucoup plus jeunes qui se foutent de ce format ! Justement, moi c’est l’inverse : je fais partie de la dernière génération qui est attachée aux albums. On raconte une histoire avec des morceaux qui résonnent entre eux, on peut jouer sur les reliefs avec des titres doux ou super énervés…

 

 

C’est ce que vous avez fait avec la BO des Olympiades : mêler de l’ambient à de l’électro.

Pour me tester, Jacques Audiard m’a d’abord proposé de choisir trois scènes sur lesquelles je devais caler de la musique. J’ai donc sélectionné trois séquences très différentes : une où un personnage est en pleine montée de MDMA, une autre où il y a de longs travellings… D’un côté, il fallait beaucoup de saturation électronique, de l’autre, de l’ambient avec de longues nappes.

Le film était-il totalement muet quand il vous l’a montré pour la première fois ? 

Il n’avait posé que du Schubert ! J’étais très étonné. J’adore Schubert mais je me suis dit que ça allait être dur de rivaliser avec lui… [Rires.] 

 

 

Pourquoi, à votre avis ?

Il voulait aller à l’opposé de Schubert et éviter le côté film français très littéraire. Il souhaitait quelque chose de moderne et surtout être surpris. Même si j’utilise des machines, je me suis dit qu’il fallait que je fasse une musique très organique. Il fallait faire pleurer les synthétiseurs. 

 

 

Comment y arrive-t-on ?

J’ai puisé dans ma référence absolue : Selected Ambient Works [1992] d’Aphex Twin.

 

 

Êtes-vous plutôt du genre bon élève, qui parvient à un résultat parfait du premier coup ? Ou il vous faut plusieurs tentatives ?

Pour le spectacle Room With a View, mes premières maquettes ne marchaient pas avec les danseurs. J’ai dû beaucoup travailler pour épurer mon son, le rendre moins “bavard”. Quant aux Olympiades… Jacques [Audiard] m’a mis un gros coup de flip ! Après lui avoir envoyé les premiers échantillons, il m’a appelé et m’a dit : “Amazing ! Il faut beaucoup plus de musique dans le film !” J’étais ravi, puis j’ai réalisé que je devais composer cinquante minutes en seulement un mois. [Rires.]  

Jacques Audiard est habitué à travailler avec Alexandre Desplat, un célèbre compositeur de musiques de films. Il est pourtant venu vous chercher vous, qui êtes issu de la culture club. En quoi vos méthodes sont-elles différentes ?

C’est comme si Jacques Audiard avait travaillé avec deux personnes qui parlent des langues différentes : lui sait écrire des partitions, moi je bidouille. 

 

 

Vous bidouillez… Vraiment ?

Un producteur de musique électronique est un autodidacte, quelqu’un de très malléable qui va dans plein de directions différentes… Disons qu’il y a quelque chose de très intuitif, de spontané et de presque physique dans sa façon de composer. C’est charnel et sensuel. Et ça incombe un rapport direct à l’image qui n’est pas trop réfléchi ou intellectualisé.

 

 

La BO des Olympiades sort vendredi 5 novembre sur votre label, InFiné. Est-elle un ovni dans votre discographie ?

C’est un objet un peu bizarre : quelque chose de très intime, puisque j’ai dû incarner chaque personnage sans que rien d’autre n’existe autour, mais aussi quelque chose qui ne m’appartient pas, puisqu’elle est au service d’un réalisateur et d’une œuvre. Mais lorsque que je produis un album, j’ai une liberté totale et je m’y perds…

 

 

Donc la contrainte vous stimule ? 

Il y a une forme de liberté dans la contrainte. Avoir un cadre très précis révèle des choses en moi. Sans ce projet par exemple, je n’aurais jamais composé sur une scène d’amour…

 

 

Les Olympiades (Original Motion Picture Soundtrack) [InFiné], disponible vendredi 5 novembre 2021.

Les Olympiades (2021) de Jacques Audiard, actuellement en salle.