47


Commandez-le
Numéro
12 Andrea Fraser, American Fine Arts Co, Allan McCollum

Le jour où Andrea Fraser dynamita le discours lénifiant du monde de l'art

Numéro art

Le 12 janvier 1991 s’ouvrit à l’American Fine Arts Co. de New York une exposition d’Andrea Fraser intitulée “May I Help You?”. C’était la première exposition personnelle de l’artiste dans cette galerie dirigée par Colin de Land (1955-2003)...

Le jour où Andrea Fraser dynamita le discours lénifiant du monde de l'art. illustration : Soufiane Ababri. Le jour où Andrea Fraser dynamita le discours lénifiant du monde de l'art. illustration : Soufiane Ababri.
Le jour où Andrea Fraser dynamita le discours lénifiant du monde de l'art. illustration : Soufiane Ababri.

L’exposition était consacrée aux Surrogates Paintings d’Allan McCollum : une centaine de petits tableaux, invariablement noirs et cernés de blanc, encadrés de bois rouge de différentes teintes et organisés en une ligne fluctuante serpentant tout le long des murs de la galerie. Les visiteurs ne furent pas uniquement déconcertés par ce qui ressemblait plus à une exposition personnelle d’Allan McCollum qu’à celle d’Andrea Fraser (le carton d’invitation indiquait : “Andrea Fraser, en collaboration avec Allan McCollum”), mais aussi par l’attitude des trois employés affairés derrière le bureau à l’entrée de la galerie – qui s’avéraient être des acteurs engagés par Fraser. Ceux-ci devaient interpeler chaque visiteur et le gratifier d’un monologue d’une quinzaine de minutes : le script, inspiré par des discussions avec des collectionneurs, artistes, galeristes ainsi que des anonymes n’appartenant pas au milieu de l’art, mélangeait six voix distinctes, chacune exprimant une position sociale différente.

 

“C’est une belle exposition, n’est-ce pas ?”, dit ainsi un membre du staff au visiteur, un peu interloqué, tandis que cet ancêtre des assommants “médiateurs” contemporains l’entraînait vers l’un des tableaux, à peu près tous identiques. Il poursuivit :“Et c’est une œuvre magnifique. Je dirais que cette œuvre est une apothéose de l’abstraction. C’est une abstraction qui demande une simplification et une réduction absolues, dans un langage d’une pureté bien équilibrée. Elle a de superbes couleurs et une intensité formelle. J’en suis tombée amoureux au premier regard. C’est une œuvre radieuse – et tout à fait originale. Elle est unique en son genre. Une composition sophistiquée d’une dignité austère. C’est sublime, presque transcendant. C’est frappant, désintéressé, gratuit, raffiné, contrôlé, sobre, apaisant, candide, bon, simple, assuré. C’est parfait. C’est d’un tel tact, d’une telle grâce, d’une telle assurance tranquille.

 

Deux ans auparavant, Fraser avait exécuté une performance, Museum Highlights (1989), dans laquelle elle se faisait passer pour une guide au musée d’Art de Philadelphie. Sous le pseudonyme de Jane Castleton, elle décrivait les œuvres avec une emphase déplacée, allant jusqu’à faire visiter la cafétéria : “Cette salle incarne l’apogée de l’art colonial de Philadelphie à la veille de la Révolution, c’est certainement l’une des plus belles de toutes les salles américaines.

 

Fraser a exploré les possibilités de la performance bien au-delà des limites traditionnelles. Dans sa vidéo Untitled (2003), d’une durée de soixante minutes, on la voit dans une chambre du Royal Hotel de New York en compagnie d’un collectionneur, tous deux manifestement occupés à des activités d’ordre sexuel. Le collectionneur a acheté l’œuvre (à laquelle il participe) à l’avance pour un montant de 20 000 dollars, “pas pour le sexe mais pour l’art”, selon les dires de Fraser. Une invitation à considérer la vente d’une œuvre d’art comme une forme de prostitution.