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Numéro
23 Les rêveries miniatures de la peintre Sophie Varin

Les rêveries miniatures de la peintre Sophie Varin

Numéro art

Chaque saison, Numéro art propose avec la maison Gucci un aperçu des talents émergents qui incarnent le dynamisme de la scène artistique hexagonale. Aujourd'hui, focus sur la peintre Sophie Varin, dont les toiles miniatures peuplées de personnages difffus invitent dans un monde aux portes du rêve.

Sophie Varin porte une une veste en laine et soie et une chemise en popeline de coton, GUCCI. Sophie Varin porte une une veste en laine et soie et une chemise en popeline de coton, GUCCI.
Sophie Varin porte une une veste en laine et soie et une chemise en popeline de coton, GUCCI.

Sophie Varin aime décrire ses toiles comme la vision immédiate que l’on aperçoit au sortir d’un rêve, lorsque le réel se voit troublé par des yeux à peine rouverts. Un effet qui, dans sa peinture atmosphérique, transparaît dans les verts, les oranges ou les violets vifs de prairies incandescentes, d’étangs célestes et de portes magiques, jusqu’aux silhouettes pourpres ou bleues qui maculent ce décor onirique en s’entourant de halos lumineux. Plongées dans un inépuisable flou, les œuvres de l’artiste sont précisément à l’image d’un songe disséminant dans notre conscience les traces insaisissables d’un récit disparate, d’une telle force immersive que l’on pourrait les croire de dimensions immenses. Pourtant, à l’hubris de la toile monumentale exploitée par tant de peintres depuis la seconde moitié du 20e siècle, l’artiste oppose la miniature, créant des œuvres plus petites qu’une carte postale et aussi aptes qu’un smartphone à entrer dans notre poche.

Sophie Varin, “Minor Drama” (2020). Huile sur toile de coton. 8 x 10 cm. © Sophie Varin, 2020 Sophie Varin, “Minor Drama” (2020). Huile sur toile de coton. 8 x 10 cm. © Sophie Varin, 2020
Sophie Varin, “Minor Drama” (2020). Huile sur toile de coton. 8 x 10 cm. © Sophie Varin, 2020

D’abord adepte de la vidéo et de la sculpture, Sophie Varin se découvre peintre à la fin de ses études à Rotterdam, en imaginant pour son diplôme un court roman policier qui l’incite à développer une pratique plus narrative. Il serait pourtant malvenu de lire les toiles de l’artiste française comme les séquences d’un story-board muet échafaudant un scénario linéaire. Chaque saynète d’une même série n’a en réalité ni début ni fin, et est seulement reliée à ses semblables par l’état d’esprit de son auteure lors de sa réalisation. Impatiente, la jeune femme les produit avec immédiateté et frénésie, en une seule couche d’huile qu’elle dilue sur une toile non enchâssée. La peinture, humide et poreuse, appliquée volontairement à l’aide de gros pinceaux, fuit alors naturellement la netteté du trait et auréole ses sujets d’une lumière diffuse. Humble dans sa pratique, la jeune femme n’en est pas moins gourmande et investit l’intégralité de ses supports réduits, laissant la couleur courir des bords jusqu’au dos de ses châssis miniatures.

Sophie Varin porte un haut en lycra, une jupe en laine et soie et une bombe d'équitation, GUCCI. Sophie Varin porte un haut en lycra, une jupe en laine et soie et une bombe d'équitation, GUCCI.
Sophie Varin porte un haut en lycra, une jupe en laine et soie et une bombe d'équitation, GUCCI.

Basée aujourd’hui à Bruxelles, Sophie Varin y peaufine sa rhétorique picturale de l’imprécision. Si la peintre âgée de 28 ans ne cesse d’enrichir sa riche banque visuelle, ce n’est que pour mieux s’en écarter lorsqu’elle peint, préférant s’inspirer des empreintes brumeuses laissées par ces images dans sa mémoire. Dès lors, ses prés se désencombrent de fleurs, les contours bosselés de ses collines et chemins s’arrondissent comme sous le coup de crayon d’un enfant, tandis que ses intérieurs se dépouillent, vacillant sous le trait d’une perspective approximative. Quant aux petits personnages qui fourmillent dans ce décor, ils y deviennent des apparitions presque spectrales : hommes et femmes se “dégenrent” et se désincarnent, troquant leurs aspérités contre une silhouette neutre, leurs attitudes singulières contre des actions aussi vagues que machinales et leurs visages expressifs contre des masques mystérieux, figés dans un sourire grimaçant.

 

À l’ère du triomphe de l’identité, soumettant chaque nouvelle image à l’épreuve de la représentation, l’artiste nage à contre-courant vers un idéal d’universalité, celui qu’elle trouvait enfant dans les contes populaires. Curieux, le spectateur qui s’en approche se prend alors dans les filets d’une œuvre dont il ne parvient ni à identifier ni à au- thentifier les sujets et émotions, comme piégé dans son incertitude. Un flottement parfaitement reflété par le titre de sa première exposition personnelle à la galerie Sultana à Paris : “Ni Bien Ni Mal”... Mais dans l’entre-deux, l’espace où l’art conserve sa plus puissante fertilité.

 

 

Sophie Varin est représentée par la galerie Sultana à Paris.

Sophie Varin, “Convoité” (2020). Huile sur toile de coton. 8 x 10 cm. © Sophie Varin, 2020 Sophie Varin, “Convoité” (2020). Huile sur toile de coton. 8 x 10 cm. © Sophie Varin, 2020
Sophie Varin, “Convoité” (2020). Huile sur toile de coton. 8 x 10 cm. © Sophie Varin, 2020