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Numéro
28 Robin Plus, photographe d'un monde fragile et digne héritier de Wolfgang Tillmans

Robin Plus, photographe d'un monde fragile et digne héritier de Wolfgang Tillmans

Numéro art

À peine diplômé de l'ENSP d'Arles, le jeune photographe français Robin Plus y présente jusqu'au 3 août sa première exposition personnelle. L'occasion de découvrir, dans l'intimité d'un appartement, la force de ses portraits et mises en scène traduisant toute la fragilité de notre monde contemporain. 

Regarder les photographies de Robin Plus, c’est plonger dans un sillon entre le jour et la nuit. C’est réveler au grand jour ce que l’obscurité nébuleuse et moite des clubs et les mouvements frénétiques des danseurs effrontés ne révèlent que par fragments. C’est voir derrière la froideur des bâtiments industriels et leurs murs austères les fissures d’un monde vulnérable. C’est sentir saillir à la surface de la pellicule la force sans compromis des marges, désormais placées au devant de la scène pour faire de leur corps et de leur identité un instrument politique. Comme beaucoup de natifs des années 90, le photographe français fait partie de ces individus dont la jeunesse a été bercée par la télévision et la pop culture. Une génération qui a vécu de plein fouet l’entrée dans les années 2000 alors que l’image prend une ampleur presque totalitaire, la mondialisation devient préoccupante et le capitalisme dévorant adopte des formes nouvelles.

 

 

Le corps, la musique et l'identité

 

 

Bien qu’il fut familier avec l’image dès son jeune âge, c’est pourtant d’abord dans la pratique de la danse contemporaine que Robin Plus a trouvé son salut. Une dizaine d’années de pratique au conservatoire ont fait naître un rapport crucial au corps, devenu pour lui le premier lieu de l’expression artistique. Après quelques années dans la programmation musicale de festivals, le jeune homme se tourne finalement vers l'étude de la photographie dans laquelle il parvient, dit-il, “à combiner ses réflexions sur le corps, la danse et la musique, mais également la célébrité”. Dès lors, l’identité se place au cœur de sa démarche, un trait que partagent ses références et ses inspirations : des mises en scène spectaculaires du photographe américain David LaChapelle, faisant la part belle au kitsch et à une sexualité franche des icônes de la pop, aux vidéos de danseurs en mouvement capturées par l’artiste néerlandaise Rineke Dijkstra, en passant par les portraits sobres et systématisés de l’Allemand Thomas Ruff, Robin Plus pioche chez chacun une approche singulière de l’individu. Son ambition se fait alors très claire : donner du pouvoir à ses modèles anonymes en “créant une tension entre eux et l’environnement dans lequel ils sont photographiés.” Des décors dont ils deviennent instantanément les personnages principaux.

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<p>“Ginger” (2019). Robin Plus</p>

“Ginger” (2019). Robin Plus

<p>“Shook” (2019). Robin Plus</p>

“Shook” (2019). Robin Plus

Qu’il s’agisse d’un individu au crâne rasé, agenouillé dans un champ ravagé au loin par les flammes, d’un autre la poitrine découverte et chaussé de cuissardes écarlates, accroupi sur un tas de briques empaquetées, ou encore d’un homme vêtu d’une mini-jupe et d’un haut léger, le visage dissimulé par un masque à gaz, chaque personne mise en scène par Robin Plus amène devant l’objectif sa propre force de subversion. “Dans mes clichés, je souhaite avant tout montrer la fragilité : derrière les postures conquérantes de mes modèles, on discerne aussi quelques failles.” Cette fragilité vectrice de pouvoir, le photographe la retrouve parmi ses proches mais aussi des connaissances adeptes, comme lui, de soirées rythmées par des beats effrénés qui les amènent ensemble jusqu’à l’aube. Si bon nombre de ces modèles s’identifient comme queer ou LGBTQI+, Robin Plus tient à se tenir écarté d’une démarche anthropologique ou documentaire. Au contraire, il souhaite même que ses clichés sèment le trouble, aussi bien sur l’espace – en n’indiquant jamais où les photos sont prises – que sur la temporalité – petit matin, zénith ou crépuscule ? – et le genre. Aussi, derrière les individualités fortes choisies par le photographe, les décors anonymes piochés aux quatre coins de l’Europe racontent l’histoire d’un monde uniformisé par la globalisation, le consumérisme et la politique, malheureusement souvent laissé à l’abandon. L’idée de Robin Plus devient alors très claire : utiliser l’ambiguïté comme principe esthétique afin de recréer un monde sensible prenant le pouls d’une réalité fissurée.

 

 

De l’intimité à la frontalité

 

 

Nullement surprenant, donc, que ce passionné des cultures club et queer obsédé par la vulnérabilité du monde ait trouvé chez Wolfgang Tillmans son maître ultime. Passionné par le travail de cet immense photographe allemand sachant capturer avec brio les dessous du réel depuis trente ans, des recoins du corps humain aux secrets des contre-cultures, Robin Plus a fini par travailler avec lui durant ses études au montage de son exposition au Carré d’art de Nîmes en 2017. “C’était incroyable, je rencontrais mon idole. Le premier jour, lorsque l’on a déjeuné ensemble, je n’arrivais même pas à avaler mes aliments ! ”, se souvient le jeune artiste. Enchanté par cette collaboration, Wolfgang Tillmans l’a ensuite invité à l'assister pendant deux mois dans son studio berlinois aux côtés de son équipe, jusqu’à lui confier la création du décor, lumière et vidéo comprises, d’une prestation live au Berghain. Depuis, le maître suit à distance et avec bienveillance le travail de son élève. “Rencontrer Wolfgang à ce moment-là m’a vraiment permis d’avoir confiance en moi, car c’est quelqu’un qui se fie énormément à son instinct”, explique Robin Plus. Une collaboration essentielle qui lui permet de terminer ses études à la prestigieuse École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles sûr de ses ambitions et de celles de sa propre pratique.

“Bricks, 6”. Robin Plus “Bricks, 6”. Robin Plus
“Bricks, 6”. Robin Plus

Car si l’intimité semble évidente dans les images de Wolfgang Tillmans, Robin Plus lui préfère une photographie plus directe révélant sans artifices les failles de notre monde contemporain, de ses acteurs à fleur de peau à ses espaces désincarnés. Dans sa vidéo 200 bpm (bricks per minute), le photographe fait défiler des dizaines de façades d’immeubles néerlandais au rythme rapide et saccadé d’un beat de gabber, manière explicite de tisser le lien presque viscéral entre l’histoire de ce mouvement musical et l’architecture de son pays d’origine. De ces rapprochements frontaux qu’établit le photographe entre le corps et le décor résulte souvent une certaine brutalité, inspirée aussi bien par cette esthétique post-industrielle que par les sons de ces musiques jusqu’à l’expérience même de la fin de soirée, lorsque l’extase se dissipe au profit d’un retour soudain à la réalité : “On parle toujours de la fête dans l’espace clos, mais on interroge beaucoup moins ce que cela provoque lorsque l’on sort de ce lieu, qui fut toujours une expérience assez violente pour moi.”, confie le jeune homme.

 

 

“Mon défi est de rendre compréhensible mon travail à tous types de publics, tout en essayant de ne pas vulgariser mon propos.”

 

 

Ce sont donc toutes ces tensions entre intérieur et extérieur, entre visible et invisible mais aussi entre l’underground et le mainstream qui habitent la première exposition personnelle de Robin Plus, présentée jusqu’au 3 août en Arles malgré l’annulation des très attendues Rencontres de la photographie. Afin de souligner les dualités qui traversent le travail de l’artiste, la commissaire Julia Marchand a choisi de présenter l’exposition… dans son appartement. Des tirages sont ainsi accrochés ou collés sur des murs blancs mais habillent également quelques tee-shirts, tandis que des bouteilles de soda vides servent de vase à des bouquets fleuris. Recréant l’intimité de la chambre à coucher, le photographe et la curatrice choisissent de diffuser la vidéo 200 bpm (bricks per minute) au-dessus d’un lit, comme une fenêtre vers ces rues abruptes auxquelles Robin Plus insuffle la poésie de son propre regard ému.

 

“Pour moi l’art doit être généreux”, explique l’artiste. C’est pourquoi mon défi est de rendre compréhensible mon travail à tous types de publics, tout en essayant de ne pas vulgariser mon propos”. Le souci d’accessibilité est en effet toujours palpable chez ce talent prometteur, qui voit dans l’expression de la sensibilité un dénominateur commun universel. Pour autant, le jeune trentenaire n’en perd pas moins sa vigilance, particulièrement à l’égard d’une possible réappropriation par les dominants des contre-cultures qu’il photographie ou de leur catégorisation aliénante. Choisi par Julia Marchand, le titre “SOAP” de sa première exposition personnelle est d'ailleurs l’acronyme de “Safe Opening Against People” (“Vernissage en sécurité, contre les gens”). Ça ne s’invente pas.

 

SOAP, une exposition personnelle de Robin Plus jusqu'au 3 août au 7 rue de la Rotonde, Arles. Sur rendez-vous uniquement à l'adresse : info@extramentale.com. 

Visitez le site internet de l'artiste ici et le site du projet Extramentale ici.