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Numéro
10 La France de 1981 en 5 clichés historiques signés Yan Morvan

La France de 1981 en 5 clichés historiques signés Yan Morvan

PHOTOGRAPHIE

Le 10 mai 1981, la France bascule à gauche. Le photo reporter Yan Morvan, alors âgé de 27 ans, se met au défi de documenter la première année d’un septennat décisif. À l’occasion de la sortie récente de son ouvrage sur cette série intitulé 1981, une exposition est présentée jusqu'au 25 juin à la galerie Thierry Marlat, à Paris. Quarante ans après l'élection de François Mitterrand, Numéro revient sur cinq événements historiques vécus et capturés par le photographe.

Yann Morvan, "La fête de la Bastille", 10 mai 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens Yann Morvan, "La fête de la Bastille", 10 mai 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens
Yann Morvan, "La fête de la Bastille", 10 mai 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens

C’était il y a quarante ans jour pour jour. Le 10 mai 1981, à 20h, en direct à la télévision française, les résultats de l’élection présidentielle tombent : François Mitterrand l’emporte avec 51,76% des suffrages, mettant fin à vingt-trois ans de règne de la droite dans la Ve République. En pleine guerre froide, la peur du bolchévisme empoisonne l’air, si bien que certains craignent l’arrivée des chars soviétiques dès le lendemain de la victoire du candidat socialiste. Pourtant, le 11 mai, “La Tour Eiffel est toujours là”, ironise Yan Morvan dans l’avant-propos de son ouvrage, 1981. Le matin du 10 mai, le jeune photojournaliste est encore en Irlande, où il couvre à Belfast la grève de la faim et le conflit nord-irlandais. À quelques heures d’un vote à l’issue historique, il prend un vol pour Paris “direction place de la Bastille, où la foule s’est précipitée pour fêter la victoire aux cris de « Mitterrand du soleil » alors que la pluie tombe dru sur les milliers de militants rassemblés”, se souvient-il. A l'époque, le photographe a 27 ans, et documentera à compter de cette date tous les évènements jalonnant cette année décisive pour le pays. La ministre Édith Cresson au Salon de l’agriculture, Jean-Marie Le Pen et son cache-œil, Jack Lang au ministère de la Culture, les manifestations contre le nucléaire, l’abolition de la peine de mort… et tant d’autres instants cruciaux ayant façonné la France d’aujourd’hui, qu'il a capturé avec son fidèle argentique. À l’occasion de la sortie de son ouvrage 1981 aux éditions ediSens, le 29 avril dernier, Numéro revient sur cinq clichés signés Yan Morvan et les événements historiques qu'ils illustrent.

Yann Morvan, "Badinter plaidant à l'Assemblée Nationale contre la peine de mort", 17 septembre 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens Yann Morvan, "Badinter plaidant à l'Assemblée Nationale contre la peine de mort", 17 septembre 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens
Yann Morvan, "Badinter plaidant à l'Assemblée Nationale contre la peine de mort", 17 septembre 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens

1. Badinter s'époumone à l’Assemblée contre la peine de mort

 

 

“Robert Badinter, comme habité, demande à la tribune de l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort”, sous-titre Yan Morvan. Debout, agressif, le visage contorsionné par l’émotion, l’attitude de Robert Badinter – alors ministre de la Justice – contraste avec le calme studieux d’une institution solennelle. Ce 27 septembre 1981, alors que le ministre entame son discours, le silence est assourdissant. “Les photographes retiennent leur souffle, se souvient Yan Morvan. Je shoote une dizaine de bobines.” Conscient de l’impact politique d’un tel moment, le reporter n’en rate pas une miette : l’abolition de la peine de mort promise par François Mitterrand sera l’un des temps forts de son mandat. “La France aura été, en dépit de tant d’efforts courageux, l’un des derniers pays, presque le dernier – et je baisse la voix pour le dire – en Europe occidentale, à abolir la peine de mort”, déplora Robert Badinter dans son discours.

Yann Morvan, "Manifestants contre le nucléaire", 29 novembre 1981. © Yann Morvan / Courtesy Edisens Yann Morvan, "Manifestants contre le nucléaire", 29 novembre 1981. © Yann Morvan / Courtesy Edisens
Yann Morvan, "Manifestants contre le nucléaire", 29 novembre 1981. © Yann Morvan / Courtesy Edisens

2. Les manifestations contre le nucléaire

 

 

Si cette photographie a 39 ans, elle paraît pourtant terriblement actuelle. De jeunes gens, masqués, manifestent contre le nucléaire. Debout, dans l'expectative, leurs bras ballants illustrent leur désarroi face à des enjeux qui les dépassent. Si la victoire de François Mitterrand avait ravivé l’espoir d’un choix alternatif au nucléaire, “la déconvenue est totale” résume Yan Morvan. Le 27 mars 1982, le projet “Chooz B” – l’ajout d’un second réacteur à la centrale de Chooz des Ardennes – est lancé : il fournira 5% de l’électricité aux français. Après l’annonce de sa concrétisation, les heurts éclatent entre manifestants et policiers. Le choix du nucléaire par le gouvernement du Premier ministre Pierre Mauroy est l’une des premières désillusions brutales qui s’abattent sur la France après la victoire de la gauche. Ce jour-là, à Charleville, Yan Morvan – habitué des sommets politiques et des hôtels particuliers –, se délecte presque de l’odeur des fumigènes, disant “échapper au doux confort des salons de la République.

Yann Morvan, "Premier Paris plage", 15 juin 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens Yann Morvan, "Premier Paris plage", 15 juin 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens
Yann Morvan, "Premier Paris plage", 15 juin 1981, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens

3. Les parisiens se prélassent à Paris Plages

 

 

La victoire de la gauche marque aussi un regain d’intérêt pour le sort des travailleurs. Inspiré par la volonté du Front Populaire dans les années 1930, le Ministère du Temps Libre voit le jour. Si son organisation administrative labyrinthique n’est pas propice à son efficacité, il reste néanmoins de cette institution une nouveauté agréable : le chèque-vacances, dont bénéficient aujourd’hui plus de cinq millions de français. En 1981, l'importance croissante accordée au loisir rend la paresse à la mode, et le premier Paris Plages naît presque à l’improviste ; et sa version officielle se tiendra en plein été 2002. Sur le Champ de Mars, les Parisiens se prélassent dans l’herbe, et l’on pourrait se croire à l’école buissonnière si l’élégante silhouette de la Tour Eiffel ne dominait pas l’arrière-plan. Pourtant, sous ce soleil de juin, à quelques pas de là, une ombre plane : “Une scène agitée attire mon attention, se remémore Yan Morvan. Lorsque je demande, on me répond qu’un homosexuel s’est fait tabasser par un groupe de jeunes homophobes.

Yann Morvan, "Premier bataillon de femmes parachutistes", 5 mars 1982. © Yann Morvan / Courtesy Edisens Yann Morvan, "Premier bataillon de femmes parachutistes", 5 mars 1982. © Yann Morvan / Courtesy Edisens
Yann Morvan, "Premier bataillon de femmes parachutistes", 5 mars 1982. © Yann Morvan / Courtesy Edisens

4. Le premier bataillon de femmes parachutistes

 

 

Un grand plaisir de reportage. Début de printemps, des militaires décontractés, un brin goguenard, des images qui tombent toutes seules. Et pourtant, aucune publication ! À croire que les médias sont plus misogynes que l’armée…”, raconte Yan Morvan dans son ouvrage. Le plaisir du photographe est communicatif. Se tenant debout devant un parachute déployé aux allures de soleil levant, une jeune militaire au sourire malicieux est solidement ancrée au sol, et nous jetant un regard où se mêle joie et détermination. Le mandat de François Mitterrand se veut marqué par le projet d’une avancée vers l’égalité hommes-femmes... pourtant, si depuis 1975, les femmes peuvent accéder à des postes de commandement dans l’armée, la réalité est bien différente. Valérie André, l’une des rares femmes promues médecin général des armées en 1976, doit attendre 1981 – l'année de sa retraite – pour atteindre officiellement le grade de général. Suivant une volonté émancipatrice et égalitaire, Charles Hernu, alors ministre de la Défense, crée en janvier 1982 un détachement de quarante femmes parachutistes, voué aux interventions en mission humanitaire.

Yann Morvan, "Attentat de la rue Marbeuf", 22 avril 1982, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens Yann Morvan, "Attentat de la rue Marbeuf", 22 avril 1982, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens
Yann Morvan, "Attentat de la rue Marbeuf", 22 avril 1982, Paris. © Yann Morvan / Courtesy Edisens

5. L'étreinte de la rue Marbeuf 

 

 

Si la victoire de François Mitterrand est porteuse d’espoir, la France doit aussi faire face à de nouveaux démons. Parmi eux, le terrorisme, qui fait rage à l’heure des conflits au Moyen-Orient. Le 22 avril 1982, dans le 8e arrondissement, une bombe placée dans une voiture devant le siège du journal libanais Al Watan al Arabi fait un mort et 63 blessés. Le désastre éventre la façade du restaurant “Chez Bébert”, le couscous de la rue Marbeuf, qui devient un dommage collatéral. Ce jour-là, Yan Morvan est à l’agence SIPA, à deux kilomètres du lieu de l’attentat. “Tout le monde se précipite, raconte-t-il, et moi je traîne un peu la patte. Quand j’arrive, les derniers secours quittent les lieux. Je ferai des photos d’“illustration.” Si les photos les plus explicites ont déjà été prises – et feront notamment la une de Libération –, Yan Morvan capture, avec douceur, les réactions humaines provoquées par la catastrophe : l’hébétude silencieuse après le tumulte, et cette étreinte poignante entre deux femmes, qui se soutiennent l’une l’autre, et dont le photographe semble ne pas oser affronter le regard.

 

 

1981 de Yan Morvan, éd. Édisens, Paris, 2021.

L'exposition "1981" de Yan Morvan est présentée jusqu'au 25 juin à la galerie Thierry Marlat, Paris 4e.