47


Commandez-le
Numéro
09 5 incontournables de Paris Photo 2018 :  sexe, underground et poésie

5 incontournables de Paris Photo 2018 : sexe, underground et poésie

PHOTOGRAPHIE

Jusqu’au 11 novembre, la foire Paris Photo investit le Grand Palais pour sa 22e édition. 167 galeries sont réunies sous la nef et un nouveau secteur, Curiosa, célèbre la photographie érotique. Focus sur les incontournables de Paris Photo 2018.

<p>Détail du polyptique d’Antoine d’Agata.</p>

Détail du polyptique d’Antoine d’Agata.

<p>“Brute” (New York), Ari Marcopoulos. Courtesy of the artist and galerie frank elbaz.</p>

“Brute” (New York), Ari Marcopoulos. Courtesy of the artist and galerie frank elbaz.

1. L’exposition à ne pas manquer : Curiosa renouvelle le regard sur la sexualité et le genre

 

À Paris Photo, la commissaire Martha Kirszenbaum inaugure une nouvelle section thématique. Au programme de l’exposition Curiosa : une sélection d’images érotiques (Genesis P-orridge…) pour mieux repenser le corps fantasmé et fétichisé, les rapports de domination et les questions de genre. Refusant les images érotiques aseptisées dans lesquelles le fantasme est conventionnel et le plaisir à peine envisagé, ce sont des photographies crues voire radicales qui sont mises à l’honneur. Curiosa transforme avec justesse notre regard sur le corps, objet de fantasmes et de domination, du bondage japonais prisé par Nobuyoshi Araki ou Daido Moriyama au pin-up des sixties. Vidéos, photomontages, autoportraits… les mises en scènes érotiques abstraites côtoient les visages de femmes, sperme au bord des lèvres, et les hommes en extase, peau contre peau. Focus sur les artistes à ne pas manquer dans cet espace de 200m2.

 

 

Cette série dépeint les corps comme une chair consommable. Des scènes de sexe vagabondes et sans attache, tout comme la vie que mène leur auteur.

Antoine d’Agata

 

Un sublime polyptique formé de 137 clichés (très petits, petits et moyens formats) dévoile le journal intime photographique de l’artiste français Antoine d’Agata. Le photographe repousse les limites de sa propre représentation avec des clichés intrusifs réalisés à partir des années 1990 au Mexique et poursuivis jusqu’à aujourd’hui. Son installation témoigne des multiples voyages réalisés aux quatre coins du monde et des nombreux partenaires rencontrés, illustrés par les différentes couleurs de peaux exposées. Sur chaque image, des chairs mêlées et contorsionnées mettent à mal la force physique de l’homme. Fragilisé, il semble comme pris par l’urgence de laisser une trace dans un moment de grand danger. Le rapport de domination sexuel est vorace et aussi intense qu’une prise de cocaïne par un junkie en manque. 

 

La multitude de photographies scelle les visions d’un homme qui n’a pas de limite et qui s’explore lui-même avec le corps des autres. Antoine D’Agata tire de cette expérience des images floues et fragmentées, fuyantes et si présentes en même temps. La noirceur et les contrastes sont omniprésents dans cette série qui dépeint les corps comme une chair consommable. Des scènes de sexe vagabondes et sans attache, tout comme la vie que mène leur auteur qui n’a plus de lieu de résidence attitré depuis 2005. Antoine D’Agata poursuit ses aventures autour du globe après avoir réalisé plusieurs publications : De Mala muerte and Mala Noche en 1998, Hometown en 2001, Vortex and Insomnia en 2003, Stigma en 2004 et Manifeste en 2005.

“Tender Touches”, Renate Bertlmann, 1976. “Tender Touches”, Renate Bertlmann, 1976.
“Tender Touches”, Renate Bertlmann, 1976.

Renate Bertlmann

 

La photographe autrichienne des années 1970, Renate Bertlmann, révèle son regard d’artiste femme sur le corps nu. Avant-gardiste féministe, elle consacre son travail à l’esprit de rébellion contre la domination masculine ambiante et développe un nouvel esthétisme pour représenter la femme. Son projet Tendres caresses s’axe sur les parties intimes pour leur donner la parole. C’est avec des photographies, des collages, des objets et des matières (des préservatifs en latex) et non sans humour qu’elle s’amuse de la relation homme/femme en terme de sexualité et de désir. Une façon de détourner les stéréotypes et les rôles établis par la société.

<ol>
	<li>“Sexxx-2305”, End-to-End-Encrypted, Jeanne & Moreau.</li>
</ol>

  1. “Sexxx-2305”, End-to-End-Encrypted, Jeanne & Moreau.

<ol>
	<li>“Sexxx-2305”, End-to-End-Encrypted, Jeanne & Moreau.</li>
</ol>

  1. “Sexxx-2305”, End-to-End-Encrypted, Jeanne & Moreau.

Jeanne & Moreau 

 

L’une vie à Beyrouth, l’autre à Marseille. Les photographes libanaises Randa Mirza et Lara Tabet, plus connues sous le pseudonyme “Jeanne & Moreau”, racontent leur histoire d’amour, marquée par des échanges sur les réseaux sociaux. Si leur histoire semble peu singulière, elles la mettent en scène via des images érotiques et intimes, parfois pixellisées, comme un patchwork d’émotions, de fantasmes et de désirs virtuels. Tentation intime de s’affranchir du manque physique et du tabou de l’homosexualité, elles créent ainsi un journal visuel partagé, une nouvelle forme de relation épistolaire en temps réel. La sensualité de l’eau qui coule le long d’un sein, un pénis en érection sur un drap rouge, des nuages – rêves de voyages – ou encore du sang (menstruations) sont autant d’éléments qui composent ce récit virtuel. 

<p>“Model Study”, 2017, Paul Mpagi Sepuya</p>

“Model Study”, 2017, Paul Mpagi Sepuya

<p>“Draping”, 2015, Paul Mpagi Sepuya</p>

“Draping”, 2015, Paul Mpagi Sepuya

Paul Mpagi Sepuya
 

Les corps de Paul Mpagi Sepuya se dénudent et se drapent, s’enlacent et se fragmentent, les chairs de couleurs s’entremêlent et contrastent. Portraitiste de formation, le photographe originaire de San Bernardino infuse son œuvre d’un certain homo-érotisme, un style visuel emprunté aux artistes qui l’inspirent, tels que Robert Mapplethorpe et George Dureau. C’est dans son studio, qu’il conçoit comme un espace queer, que Paul Mpagi Sepuya se met en scène avec ses amis, partenaires et amants. Déchirés, scotchées et reconfigurées à la main, ses images témoignent de son respect sincère envers le sentiment et la sensualité comme outil d’investigation artistique. Présentées pour la première fois pendant sa thèse à UCLA, ses images explorent les possibilités du portrait en studio, l'histoire de la photographie homoérotique amateure, la présentation du plaisir et la relation entre l’œuvre et le spectateur.

Vue du stand de la galerie Frank Elbaz qui accueille le solo show d’Ari Marcopoulos. Vue du stand de la galerie Frank Elbaz qui accueille le solo show d’Ari Marcopoulos.
Vue du stand de la galerie Frank Elbaz qui accueille le solo show d’Ari Marcopoulos.

2. Le mythe Ari Marcopoulos : l’Amérique au quotidien

 

 

Artiste, photojournalisme, documentaires, street photography, portraits, natures mortes, paysages, architecture… Ari Marcopoulos est un monstre de la photographie. Des skaters, des snowboarders, des rappeurs, des graffitis et des automobiles se mêlent à de modestes scènes d’intérieur ou de quartier, notamment de Brooklyn où il immortalise les enfants d’une équipe de basket ou les vitrines des bijouteries. Né à Amsterdam, l’artiste de 61 ans vit et travaille désormais à New York. Obsédé par les dates, son œuvre a pris des allures de concept biographique, un véritable répertoire de témoignages personnels. Immortalisant sa propre silhouette captée par une caméra de vidéosurveillance dans une supérette – ironique mise en abyme – ou photographiant les murs extérieurs d’une prison, fief des hurleurs qui apostrophent les détenus de l’autre côté du rempart, Ari Marcopoulos se fascine pour le cinéma. D’ailleurs, pour injecter une dimension cinématographique à ses travaux, il produit des photocopies rapides et des impressions couleur plus lentes, dans l’intention de tapisser les murs de milliers d’images. Son solo show est visible sur le stand de la galerie Frank Elbaz

 

<p>“Oiseau et raisin dans la main de Raphaële Leon-Grillon, responsable du site de production Ruinart”, 2018, Simon Lehner.</p>

“Oiseau et raisin dans la main de Raphaële Leon-Grillon, responsable du site de production Ruinart”, 2018, Simon Lehner.

<p>“Crayère Ruinart & détail d’une statue de Dom Ruinart”, Simon Lehner, 2018.</p>

“Crayère Ruinart & détail d’une statue de Dom Ruinart”, Simon Lehner, 2018.

3. Le (très) jeune talent : Simon Lehner

 

Prix Ruinart de la photographie (premier prix remis par la célèbre maison de Champagne à l’occasion de Paris Photo), le photographe autrichien de 22 ans Simon Lehner  a pour références l’Allemand Wolfang Tillmans et l’Américain Alec Soth. S’il est encore étudiant à l’ University of applied Arts à Vienne, le jeune prodige a publié son livre photo Jaga (Fotohof edition), l’année dernière. Un ouvrage qui porte sur la chasse en Autriche et le mode de vie qui y est associé, comme un écho à son regard fin et moderne sur les traditions. La même année, il a figuré dans la short-list de l’Unseen Dummy Award, à Amsterdam. Dans son prochain projet, il sera question d’images animées, d’alter ego, de sexe et d’intelligence artificielle. 

 

Lauréat du prix de la maison Ruinart, Simon Lehner s’est immiscé sur le site de production de la célèbre institution de champagne pour en raconter l’histoire. Des crayères médiévales aux machines de dégorgement, il illustre le processus de fabrication, qu’il met en parallèle avec son propre travail de photographe. Dans ses clichés, la main de l’homme s’accorde parfaitement à la nature environnante, et pour rendre compte de ces savoir-faire ancestraux, il n’hésite pas à superposer et à photographier des images d’archives, en couleur ou noir et blanc.

“Je ne t’oublierai jamais”, Carolle Benitah, 2018. “Je ne t’oublierai jamais”, Carolle Benitah, 2018.
“Je ne t’oublierai jamais”, Carolle Benitah, 2018.

4. La galerie à découvrir : 127 de Marrakech

 

Dans ce lieu de goût, symbole du savoir-faire en matière d’accompagnement et de soutien aux artistes, Nathalie Locatelli a fait découvrir Carolle Benitah et Fatima Mazmouz, deux femmes à la démarche très personnelle et d’une grande finesse plastique, et de jeunes créateurs adroits au regard vif comme le photographe tangérois Hicham Gardaf. 

 

Telle une archéologue, l’artiste Carolle Benitah exhume des photos d’albums de famille dénichées dans les brocantes ou les marchés. Un travail de fouille lié au souvenir et à la perte qui réinvente l’identité des visages sur les photos. L’artiste ne travaille jamais sur la photo d’origine. Elle numérise et imprime les images pour y ajouter des feuilles d’or à l’image de sa série Je ne t’oublierai jamais. “Depuis des années, je collecte des photos dans les brocantes. Le titre de cette série [Je ne t‘oublierai jamais] fait écho à une comptine. Ce qui me touche avec les photographies d’anonymes, c’est que ce sont des gens qui ont vécu, qui ont aimé et qui ont un jour disparu. Pour choisir mes photos, j’ai préféré des poses iconiques et que l’on retrouve dans les albums de famille : une photo de mariage, une jeune fille en vacances. Avec la feuille d’or, cela devient une image réfléchissante sur laquelle les gens peuvent se projeter. L’or est un matériau qui ne s’oxyde pas et qui traverse les temps. En guise d’éternité, je masque l’identité”, explique-t-elle. Les photos de famille l’inspirent depuis le jour où elle a ressenti une émotion inquiétante, une angoisse lorsqu’elle a feuilleté un de ses albums de famille. C’est à travers ce travail de mémoire de l’enfance qu’elle redéfinit sa propre identité. 

 

À découvrir aussi l’artiste Fatima Mazmouz et sa série Casablanca mon amour. Photographe, plasticienne et performeuse, elle crée de véritables passerelles entre l’intime et le champ politico-culturel notamment grâce à ses recherches sur les notions de genre, de corps et d’identité. Si le ventre de Casablanca l’a vu naître, elle interroge le corps de la grossesse et de la femme avec celui de la mère patrie depuis 2009. 

 

Avec la série The Red Square, Hicham Gardaf questionne l’identité et l’évolution du territoire marocain. L’artiste met en exergue le potentiel esthétique de différents endroits pour permettre au spectateur de se projeter. C’est dans une atmosphère intimiste qu’il photographie les transformations des grandes villes, leurs fragmentations et leurs mutations. Les paysages abstraits de la ville de Tanger soulignent une réflexion sur la déshumanisation liée aux zones semi-bétonnées de plus de plus visibles. 

 

“Un pensionnaire dans un internat d’Idritsa”, Dmitri Markov, 2016. “Un pensionnaire dans un internat d’Idritsa”, Dmitri Markov, 2016.
“Un pensionnaire dans un internat d’Idritsa”, Dmitri Markov, 2016.

5. Regard vers l’Est : Dmitri Markov à la galerie agnes b.

 

Un simple téléphone portable pour immortaliser la détresse économique d’une société, dans la périphérie de Moscou. C’est ce qu’utilise le photojournaliste Dmitri Markov. À 35 ans, l’artiste est suivi par plus de 200 000 personnes sur les réseaux sociaux, et pour cause, il raconte la Russie autrement, loin des frasques de Moscou. 

 

Son enfance moscovite, la jeunesse désœuvrée, des habitants à vif dans des immeubles en ruine et la vie de galère des marginaux, autant de thématiques qui bousculent les non-dits en Russie et qui suscitent l’intérêt du photographe Dmitri Markov. Mais ce sont les clichés réalisés en 2007 dans un orphelinat pour enfant déficients à Pskov, une bourgade à l’est du pays, qui alimentent son blog alors qu’il cherche un sens à sa vie en devenant éducateur. Tel un véritable exutoire, cet espace de liberté connecté lui permet d’alerter les pouvoirs publics sur les conditions d’hébergement. Les endroits ou les communautés “fermés” (hôpitaux, asiles…) stimulent sa créativité. Il lui est parfois reproché de ne photographier que la misère économique mais aussi sociale des habitants errants dans des environnements vétustes et sales, de la solitude des personnes âgées ou de l’ennui d’une nouvelle génération en manque de perspective. Ce à quoi il répond qu’il ne fait que de raconter les conditions de vies locales et réelles. 

 

En 2015, il fait parti des lauréats de la bourse Getty Images-Instagram et en profite pour réaliser des clichés sur tout le continent. L’année suivante, il participe à la campagne publicitaire d’Apple en filmant à l’iPhone.

 

Foire Paris Photo, jusqu'au 11 novembre au Grand Palais (Paris VIIIe).