Et si nous avions tout faux à propos de Benjamin Millepied ? À en croire les recherches Google les plus fréquentes associées à son nom, la vérité du chorégraphe se trouverait dans sa relation avec Natalie Portman (son épouse depuis 2012, après leur collaboration sur le film Black Swan), les Oscars (sa présence sur le tapis rouge avec… son épouse, encore !) et l’Opéra de Paris, dont il a soudainement quitté la direction de la danse en 2016. Pourtant, il y a fort à parier que le secret de Benjamin Millepied trouve son origine ailleurs que sous les projecteurs et la fame d’Hollywood ou de Paris. On parierait, sans trop prendre de risque, sur l’Afrique. Le danseur y a grandi, et semble en avoir gardé l’esprit chevillé au corps.
Si Benjamin Millepied a vu le jour à Bordeaux le 10 juin 1977, c’est bien à Dakar, où il a vécu une partie de son enfance, que le Français s’est offert à la danse, tâtant de ses plaisirs à l’écoute des rythmes et des percussions sénégalaises. Le plaisir et le rythme bien avant la technique, le ballet à Bordeaux à la fin des années 80, ou le Conservatoire de Lyon dans les années 90. Le plaisir et le rythme, bien avant le savoirfaire développé au New York City Ballet dont il devient étoile en 2001, puis au sein de sa propre compagnie, L.A. Dance Project, créée en 2011.
Depuis son enfance, Benjamin Millepied a travaillé cette approche multiculturelle originelle, renforcée par ses années passées aux États-Unis. Il a aussi développé une vision hédoniste de la danse, à rebours d’une image d’Épinal souvent spartiate à laquelle on l’associe souvent. Cette approche et cette vision, Benjamin Millepied les met aujourd’hui au service d’une ambition : projeter sa discipline dans un xxie siècle plus collaboratif, plus mixte, plus ouvert aux autres et aux autres disciplines, de l’art au cinéma. Un programme presque politique dont le danseur, chorégraphe et bientôt réalisateur d’une comédie musicale inspirée du Carmen de Bizet, dévoile les détails pour Numéro Homme.
Numéro Homme : En tant que directeur de compagnie, quelles sont vos premières préoccupations ?
Benjamin Millepied : Le public, par exemple. Quel est celui de la danse aujourd’hui ? Nous vivons à une époque très différente de celle qui a vu naître l’Opéra de Paris. J’ai envie de toucher une large audience et d’inclure des cultures différentes. Pour cela, il faut répondre à un certain nombre de questions : où est implantée votre organisation ?
Au sein de quelle communauté ? Quels sont les prix des billets ?
Vous avez été le premier à l’Opéra de Paris en 2015 à offrir à une danseuse métisse un premier rôle dans un ballet classique.
Oui, j’ai envie de voir des gens différents. Tout comme on pourrait imaginer un ballet avec des danseurs de plus de 40 ans. Ce problème de la représentativité existe dans beaucoup d’autres ballets, y compris aux États- Unis [en 2015, le sujet a été au coeur de l’actualité alors que la danseuse Misty Copeland était la première Afro-Américaine à interpréter Odette/Odile dans le Swan Lake de l’American Ballet Theatre]. Regardez ce qui s’est passé en février avec l’incroyable succès du film Black Panther. La minorité afroaméricaine, qu’on ne voit pas assez à Hollywood, était enfin représentée. Et le public a été au rendez-vous. Il faut juste lui proposer des créations qui peuvent lui parler, avec des individus – acteurs, artistes ou chorégraphes – qui lui ressemblent. La prise de conscience est importante, surtout chez les jeunes générations. Mais rien ne changera sans efforts importants.
Quelle est l’origine du problème ?
Les vieilles compagnies sont fondées sur des pratiques du passé, une hiérarchie et un environnement de travail difficiles. Il ne faut pas tout envoyer valser, mais essayer de développer une culture de ballet adaptée à notre époque. C’est mon ambition avec le L.A. Dance Project. Cela implique d’être moins nombreux, d’avoir un rapport plus personnel avec les danseurs et les équipes. Évidemment, avoir cent cinquante danseurs dans une grande institution est merveilleux. C’est fou ce que l’on peut faire avec cent cinquante danseurs ! Mais il y a trop de problèmes avec cette ancienne culture des ballets classiques. Il est temps de moderniser les rapports humains.