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Fary : interview de la star française du stand-up

CULTURE

À 31 ans, l’humoriste Fary excelle dans l’art du monologue comique. Pendant un an et demi, il a peaufiné son nouveau spectacle, Aime-moi si tu peux, dans lequel il évoque enfin sa vie privée. Techniques d'humoristes, angoisses, succès et pires expériences de scène… À l'approche de sa première tournée mondiale, Fary a répondu sans détour aux questions de Numéro. 

Fary – “30 minutes avant mon prochain spectacle...”

Fary, la star du stand-up français en tournée internationale

 

Fary Lopes nous a donné rendez-vous dans un salon de l’hôtel Providence, dans le 10e arrondissement de Paris. Son attachée de presse a insisté sur un point : nous avons tout notre temps car l’humoriste apprécie les longues discussions. Pour le moment, il feuillette un magazine que nous lui avons poliment offert. C’est un portrait du créateur Simon Porte Jacquemus qui a retenu son attention : “Je ne m’intéresse pas vraiment à la mode et aux grandes marques, alerte-t-il en tournant tranquillement les pages. Les vêtements sont juste une autre façon pour moi de m’exprimer.

 

Certaines carrières se construisent avec méthode. À 31 ans, l’humoriste excelle dans l’art du monologue comique et compte déjà trois spectacles à son actif dont un seul en scène dans l’immense salle de Bercy. Et tandis que les captations vidéo de ses prestations inondent YouTube et Netflix, il a récemment ouvert à Paris Madame Sarfati, son propre comedy club décoré par l’artiste JR. Depuis qu’il distribue des blagues à l’envi, de nombreux spectateurs ont succombé à la nonchalance de ce type dont la silhouette oscille entre “un chevalier de Star Wars et un kinésithérapeute très stylé.” Fary s’inspire de ses homologues Roman Freyssinet, Jason Brokerss ou Adib Alkhalidey, du musicien espagnol C. Tangana et des concerts à la démesure sobre du rappeur Kendrick Lamar. Car il rêve aussi de musique mais sait pertinemment que “les gens n’aiment pas qu’un homme qui fait des blagues se prenne soudainement au sérieux…” Dans Aime-moi si tu peux, son dernier spectacle peaufiné pendant un an et demi, il s’amuse des réactions des femmes et des hommes au sein du couple, écorche son propre personnage et s’amuse tour à tour des voyages en avion, de l’improbable quartier de Strasbourg Saint-Denis et des rites de la cour de récréation. Récit d’une (longue) discussion avec Fary Lopes.

 

 

Numéro: Êtes-vous vraiment à l’aise avec le jeu de l’interview ?

Fary: J’ai souvent répondu aux journalistes par téléphone et ils enchainaient les questions sans vraiment écouter ce que je disais. Je déteste surtout les plateaux de télévision. Vous êtes un simple élément de décor d’une pièce de théâtre dans laquelle on essaie de faire croire tout et n’importe quoi.

 

“Dans l’humour, le bide remet votre personne toute entière en question : vous avez l’impression que vous ne servez plus à rien.” Fary

 

Il y a quelques semaines, l’excellente journaliste de France Inter Sonia Devillers vous a accueilli sur le plateau de son émission de radio. Elle a évoqué à plusieurs reprises la dimension communautaire du stand-up et on vous a senti très agacé à l’antenne pendant l’entretien… Est-ce parce que votre nouveau spectacle n’aborde pas du tout ce sujet ?

Je me suis contenu parce que c’est une journaliste extrêmement bienveillante. J’aurais presque préféré qu’elle soit désagréable ! J’ai justement écrit ce nouveau spectacle pour montrer que je suis capable d’aborder d’autres sujets. Débuter la discussion de la sorte était donc terriblement frustrant. Elle m’a même demandé mon avis à propos du dérapage raciste d’un élu qui avait hurlé : “Qu’il(s) retournent en Afrique !” à l’Assemblée lors de la prise de parole de son collègue noir… J’ai tenté de fuir à plusieurs reprises jusqu’à ce que le malaise soit flagrant. Je crois que les journalistes sont trop souvent vampirisés par les thématiques plus faciles à traiter. Le sujet principal de mon spectacle reste “le couple et le fantasme de l’amour”. On a souvent l’impression que c’est un sujet éculé, pourtant, il y a toujours eu des chansons d’amour et il y en aura toujours. Tout dépend de la mélodie, de l’interprète et de ses mots.

Fary, Mayra Andrade - “Demande”

Le public français manque-t-il de références vis à vis du stand-up ?

Il existe un vrai public d’afficionados qui consomment, connaissent et comprennent le stand-up. Mais si vous n’avez pas vu assez d’humoristes dans votre vie, vous n’en saisissez pas les codes. Dans mon nouveau spectacle, je déclare par exemple que les femmes sont plus enclines à l’engagement dans le couple que les hommes. Je propose alors aux femmes de la salle qui ne sont pas d’accord avec moi de se manifester en applaudissant. Seules quelques femmes ont applaudi et j’ai fait mine d’être surpris. Quelques jours plus tard, une journaliste de Libération a écrit dans son article : “Si l’on était taquine, on s’amuserait même de ce petit moment où l’humoriste, sûr de lui, cherchant l’adhésion du public féminin à propos d’un postulat digne des Hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, ne déclenche pas les applaudissements de connivence escomptés, voire se mange un vent de la salle.” Si vous connaissez un minimum le milieu du stand-up, vous comprenez aussitôt que ma réaction était préparée à l’avance. Cette journaliste pensait-elle vraiment que je n’avais pas envisagé la réaction des 4000 spectateurs du Dôme de Paris ?

 

Dans le texte de présentation de votre nouveau spectacle vous déclarez : “Le stand-up est un amour passionnel, il m’a offert une partie de ce que je suis en me privant d’une partie de ce que j’aurais aimé être.” Est-ce une façon déguisée d’exprimer des regrets ?

La scène et l’exposition médiatique renforcent la part la plus sombre de votre personnalité. Je pense que j’aurais été une meilleure personne sans le stand-up. Un meilleur amant. Un meilleur compagnon. Mon métier prend le pas sur mes relations amoureuses et je le regrette beaucoup. La superficialité vous dévore très vite et vous partez en quête de choses inutiles. Comme beaucoup d’autres j’ai frôlé la dépression à cause du Covid. L’entourage reste la clé d’une bonne santé mentale. La foi aide aussi. Avec le temps vous comprenez qu’en fait… tout est dérisoire. La notoriété ne fait que révéler certains traits de votre personnalité et parfois un malêtre enfoui. Cela active des frustrations. De l’ego, des complexes, une soif d’argent… J’ai entendu beaucoup d’histoires de burn-out dans l’humour. Il faut absolument anticiper le fait que cela ne durera pas. De jeunes humoristes vous remplaceront et le public se désintéressera de votre travail. Plus vous prenez rapidement conscience de cela, mieux vous irez.

 

“Lorsque les humoristes se retrouvent entre eux, chacun veut réussir à sortir LA meilleure blague. Je le vivais très mal au début de ma carrière…” Fary

 

On pourrait croire que la vieillesse est une terrible épée de Damoclès dans le milieu de l’humour…

On vieillit très mal dans ce milieu. Les humoristes américains ont trouvé une parade : les stars côtoient les débutants et se confrontent à un public qui n’est pas le leur. Dans l’humour professionnel, tout est une question de technique et de structure de blague. Car la clé de l’humour reste… la surprise ! Si j’ai compris comment vous comptiez me surprendre alors je ne vous trouve plus drôle. Il existe aussi un autre technique qui consiste à façonner un personnage sur scène qui est, en réalité, une sorte d’extension de vous-même. Vous arriverez peu à peu à ce que vous êtes réellement dans la vie et cette sincérité vous pousse à vous mettre en danger. Et surtout, il faut impérativement vivre avec son temps. Certaines blagues sur les Noirs, les femmes ou les homosexuels posent de véritables questions aujourd’hui. Pour être vraiment drôle, il faut justifier subtilement les vannes que l’on fait et ne jamais être gratuit.

 

N’est-il pas un peu facile de toujours rire du quotidien en tournant en dérision ce qui nous concerne tous ?

Au contraire, c’est un humour d’observation extrêmement complexe. Il faut réussir à trouver le pas de côté, trouver ce que tout le monde a vu et ressenti sans être parvenu à trouver les mots pour l’expliquer. L’humour obéit à des règles, il est donc plus simple de faire rire avec des choses fausses puisque vous pouvez raconter ce que vous voulez. Mais comment faire rire avec le vrai sans rien trafiquer ? Autrefois je n’avais pas le niveau pour faire rire avec des choses réelles et potentiellement dérangeantes pour moi. Avec le temps, j’y arrive enfin.

 

Vous êtes-vous posé des limites à ne pas franchir sur scène ?

Ma copine oui !  [Rires] La limite est simple : “Est-ce que ça parle au gens ?” Il ne faut jamais perdre la connexion avec le public. Efficacité, originalité, modernité. C’est presque de la musique en fait…

 

Fary : interview de la star française du stand-up Fary : interview de la star française du stand-up

Le rire des spectateurs est-il plus simple à déclencher depuis que vous êtes célèbre ?

Disons que je peux me permettre plus de choses que lorsque je débutais. Au même titre que vous pourriez tenter certaines blagues avec vos amis sans oser les faire à des inconnus. Mais contrairement à ce que vous pouvez penser, je ne suis pas une star. Si vous faites un sondage auprès d’une dizaine de personnes, seules trois ou quatre me connaitront. Il m’est déjà arrivé de voir débarquer une vraie star comme Gad Elmaleh au Paname Art Café [une salle du 11e arrondissement de Paris où de jeunes humoristes viennent faire leurs preuves] et les gens sont devenus fous ! Mais l’euphorie n’a duré que quelques minutes. Ensuite tout le monde s’est dit : “Maintenant montre nous de quoi tu es vraiment capable”. À Paris, il y a presque 200 spectacles par semaine. On considère donc que le public parisien est plus dur, plus exigeant parce qu’il a le choix.

 

Et les humoristes ? Ont-ils tendance à ne rien laisser passer lorsqu’ils se retrouvent entre-eux ?

C’est une sorte de challenge : chacun veut réussir à sortir LA meilleure blague sur un sujet. Je le vivais très mal au début de ma carrière parce que je n’ai jamais été le sniper qui enchaîne les blagues, j’adoptais plutôt une posture… d’observateur. Je me sentais oppressé car j’étais entouré de gens très drôles et j’avais l’impression de ne pas être aussi interessant qu’eux. Comme si tout ce que j’allais dire risquait de tomber à plat. Mais avec le temps, j’ai fini par m’y habituer, et c’est devenu un véritable langage. Et ceux qui nous rejoignent ont alors l’impression d’assister à un concours de vannes ou chacun surenchérit. Pour nous, c’est une conversation comme les autres. Des vannes, vous allez en rater c’est évident. Donc les humoristes qui vous fusillent à la moindre blague un peu faible sont très mal vus. Il ne faut pas se censurer au moindre flop. C’est un principe de base des réunions d’écriture : il n’y a rien de mauvais.

 

“J’ai une diction très particulière et j’utilise beaucoup de silences : il n’y a rien de plus casse-gueule.” Fary

 

Que conseilleriez-vous à un adolescent de 14 ans qui souhaite tout plaquer pour se lancer dans l’humour ?

Le meilleur conseil est celui que vous refuserez toujours d’entendre : attendre. Au début, vous rêvez du succès, vous voulez décoller rapidement. Vous ne comprenez pas l’échec et, pourtant, il faut s’y accrocher. Lorsque vous apprenez à faire du ski, vous tombez sans arrêt. La chute est douloureuse, certes, mais vous prenez simplement conscience que… vous êtes nul au ski. [Rires] Dans l’humour, le bide remet votre personne toute entière en question : vous avez l’impression que vous ne servez plus à rien. Lorsque je revois mes anciens passages, je note un ton qui sonne faux et une attitude agaçante. Des blagues qui vieillissent mal comme mon sketch sur le legging que je ne pourrais plus faire aujourd’hui. Mais ce sont aussi des passages qui attestent de ma progression. Je crois que c’est rassurant pour la nouvelle génération d’avoir des preuves vidéo de nos débuts hésitants.

 

Parlons de vos débuts dans ce cas. Quel travail alimentaire vous a laissé un souvenir impérissable ?

J’étais livreur de pizzas vers l’âge de 18 ans. Très peu de gens vous respectent et il n’y a rien de pire que de traverser une ville en scooter à toute vitesse. Cette profession particulièrement pénible me pousse aujourd’hui à être extrêmement poli avec les livreurs qui sonnent à ma porte. Mais depuis l’explosion de Deliveroo, certains sont devenus encore plus désagréables que leurs clients. Dernièrement j’ai mis un peu trop de temps à récupérer ma commande et on ne s’est pas gêné pour me le faire remarquer…

 

Quel est votre pire souvenir de scène ?

Une date à Oran (Algérie) lors de ma toute première tournée avec le Jamel Comedy Club. Les gens parlaient entre eux sans écouter un mot de ce que je disais. On m’a même insulté pendant mon passage. Je crois qu’ils n’étaient pas préparés psychologiquement à mon style vestimentaire. Et puis j’ai une diction très particulière et j’utilise beaucoup de silences : il n’y a rien de plus casse-gueule. J’ai fait récemment une apparition au concert du chanteur Tayc qui m’a beaucoup stressée alors que je ne suis pas sujet au stress d’ordinaire. Je débarquais en plein milieu du concert et je craignais que les gens se disent : “Fary je t’aime bien… mais je ne suis pas venu ici pour ça.”

 

Êtes-vous encore sujet à la peur ?

Evidemment. Surtout lorsque je dois jouer dans des lieux que je ne connais pas ou qui ne sont pas “fait pour l’humour”. On me parle souvent du concert de Lauryn Hill à l’AccorHotel Arena en 2018. [Fary assurait la première partie du concert mais s’est fait huer par le public pendant son passage]. Lauryn Hill avait plus d’une heure trente de retard et on m’a envoyé sur scène pour meubler. Je savais pertinemment ou je mettais les pieds. En plus, j’ai réussi à capter l’attention du public pendant deux ou trois minutes. Les gens riaient jusqu’à ce que je prononce le nom “Kim Kardashian” et qu’un type se mette à huer. Là c’était fini. J’ai tenu cinq ou six minutes, ce qui est très long, mais j’ai dû quitter la scène. J’ai d’ailleurs croisé Lauryn Hill en sortant qui m’a remercié avec un grand sourire…

 

Depuis le début de votre carrière, quel est le projet dont vous êtes le plus fier ?

Mon intervention lors de la Cérémonie des Molières en 2019. [Fary avait proposé un sketch politique et apostrophé la salle en déclarant “Salut les Blancs”] C’est ma plus grande fierté en termes de pertinence et de retentissement médiatique. À l’origine je ne voulais absolument pas y participer mais l’humoriste Alex Vizorek a longuement insisté et a fini par me convaincre. Je l’en remercie d’ailleurs. J’avais le propos en tête mais je ne savais pas du tout comment m’y prendre ni comment cela allait être perçu. Puis les passages précédents de Blanche Gardin planaient au dessus de ma tête…

 

Avez-vous l’impression de devoir faire attention à tout ce que vous faites ?

Non… Ma vie est vraiment cool vous savez ! [Rires]

 

Fary présente actuellement son spectacle Aime-moi si tu peux en tournée internationale : New York, Los Angeles, Dubai, Sao Paulo, Abidjan, Montréal… Il sera de retour à Paris en représentations au théâtre de la Renaissance du 27 Janvier au 23 Mars.