1. Le Lido rouvre ses portes après le rachat du groupe Accor
Au 116 bis avenue des Champs-Élysées se dresse une salle de spectacle mythique de plus de mille sièges. Inauguré au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale par Joseph et Louis Clerico, Le Lido a vu défiler sur sa scène Joséphine Baker, Edith Piaf, Marlene Dietrich, Dalida ou Elton John. Sa force réside dans son concept de pur cabaret parisien : le Lido propose deux spectacles par soir… tous les jours et sans interruption. Ici on dine, on déguste du champagne et on s’abandonne à quelques macarons devant une troupe de danseurs sculpturaux. Mais depuis 2001, son hégémonie a été mise à mal par un long-métrage de 120 minutes sacré aux Oscars. Avec sa comédie musicale Moulin Rouge, le cinéaste australien Baz Luhrmann (Elvis, Gatsby le magnifique) téléporte Nicole Kidman et Ewan McGregor dans un Montmartre explosif et incite, sans le savoir, les touristes du monde entier à se rabattre sur le Moulin Rouge, cabaret éponyme du 18e arrondissement. Dès lors, le Lido voit d’un mauvais œil le succès de son concurrent principal – une maison moins élégante mais plus emblématique – et tente de maintenir le navire à flots. Le groupe Sodexo intervient pour la première fois en 2006 et entre au capital de l’établissement. Trois ans plus tard, l’actionnaire providentiel récupère finalement 100% de la société. Mais cela ne suffira pas…
Le Lido originel tire finalement sa révérence en août 2022 et atterrit entre les mains d’Accor. Si le montant de la transaction reste inconnu, on sait toutefois que le groupe hôtelier français s’est offert un statut plutôt qu’un chiffre d’affaire. Il récupère un Lido criblé de dettes, meurtri par la pandémie et le désintérêt progressif de la clientèle internationale. Entre les mains d’Accor, le Lido entame alors sa mutation. Le PDG du groupe, Sébastien Bazin, souhaite en faire un théâtre musical dans la pure tradition des comédies musicales de Broadway, un espace hybride, quelque part entre le théâtre du Châtelet, La Seine Musicale et Mogador qui accueille en ce moment la comédie musicale Le Roi Lion. Ainsi le Lido devient le Lido 2 Paris, la troupe d’artistes est remerciée, l’élégante salle transformée tout comme la programmation. Jusqu’au 3 février 2023, le nouveau Lido propose, et pour la première fois à Paris, la comédie musicale culte Cabaret mise en scène par Robert Carsen, dans sa version originale, en anglais.
La comédie musicale “Cabaret” dans sa version cinématographique (1972) - “Willkommen”.
2. Cabaret, une œuvre emblématique sur la montée du nazisme
Après un passage à l’Opéra national de Paris et au Metropolitan Opera de New York, le metteur en scène Robert Carsen pose ses valises à Paris et réveille Cabaret (Joe Masteroff, Fred Ebb et John Kander), l’un des spectacles les plus emblématiques du music-hall qui s’est offert huit Tony Awards à sa création en 1966. Cette œuvre propulsera d’ailleurs l’actrice et chanteuse américaine Liza Minelli – tout juste 20 ans à l’époque – au rang de star planétaire dans la version cinématographique de Bob Fosse en 1972. Elle y incarne Sally Bowles, jeune chanteuse qui se produit au Kit Kat Klub du Berlin des années 30 et s’éprend du jeune américain Cliff Bradshaw, fraichement débarqué dans la capitale allemande. À ses côtés, l’extravagant maître de cérémonie Emcee, roi du divertissement et de la provocation. Dans cet établissement interlope, les clients s’abandonnent aux soirées folles s’interpellent les uns les autres et communiquent à l’aide de téléphones disposés sur les tables. Mais avec l’ascension progressive du régime Nazi au pouvoir, c’est une toute autre population qui s’invite au Kit Kat Klub…
À l’origine de cette comédie musicale, un recueil d'histoires courtes signé Christopher Isherwood qui vécu à Berlin peu avant l'avènement au pouvoir d'Adolf Hitler, en 1933. Il décrit justement la corruption et la décadence ambiante de cette Allemagne dans Sally Bowles en 1937 et Goodbye to Berlin deux ans plus tard. Ces deux œuvres furent publiées en 1954 sous le titre Berlin Stories une compilation regroupant tous les textes qu'il écrivit pendant ses années d'errance germaniques. Plus qu’une comédie musicale dans la pure tradition de Broadway, Cabaret s’impose comme un drame musical de deux heures trente.
Liza Minelli dans “Cabaret” en 1972.
3. Cabaret, un comédie musicale aussi splendide que déconcertante
Les boules à facette kitsch qui accueillent les spectateurs le long du couloir menant à la salle de spectacle nous propulsent au sein du Kit Kat Klub berlinois. À grand renfort de chansons cultes, la comédie musicale Cabaret évoque tour à tour l’avortement, le fascisme, l’antisémitisme, le féminisme et la libération sexuelle mais demeure inégale et laisse un sentiment d’inachevé. Tandis que l’acteur Sam Buttery – qui incarne Emcee le maître de cérémonie – s’offre des tableaux splendides et mène heureusement la danse, on assiste à une suite de séquences parfois trop longues où le burlesque effleure le drame sans jamais franchement l’épouser. Un pari risqué mais qui aurait eu le mérite d’être franchement audacieux. Le meilleur moment de la pièce reste ce tableau dans lequel des danseurs s’activent en coulisses et enfilent progressivement un uniforme nazi… laissant la salle interdite. Difficile de repenser une pièce culte. En fait, la joyeuse démesure de Cabaret semble parfois factice. Le divertissement est présent mais le metteur en scène reste à la surface des thèmes qu'il évoque. Et quels thèmes ! Les curieux apprécieront, les spécialistes regretteront le charme naturel des pièces de Broadway et des comédies musicales de Londres.
Cabaret au Lido 2 Paris, jusqu'au 3 février 2023.
