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Numéro
31

À la MEP, la jeune artiste My-Lan Hoang-Thuy renverse les codes de la peinture

Art

Quelques semaines après avoir accroché ses œuvres à la maison Christie's à Paris, la jeune artiste française My-Lan Hoang-Thuy présente à la Maison Européenne de la Photographie sa première exposition personnelle en institution. À la frontière entre peinture et photographie, ses délicates et originales créations déjouent nos attentes et jouent avec notre perception.

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Papiers, Feuilles et Ampersands 11" (2020).

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Papiers, Feuilles et Ampersands 50" (2020).

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Papiers, Feuilles et Ampersands" (2020) © Photo : Axel Fried. Courtesy of the artist and Galerie Mitterrand.

© Photo : Axel Fried. Courtesy of the artist and Galerie Mitterrand

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My-Lan Hoang-Thuy, l'artiste qui contient le monde dans un mouchoir de poche

 

Alignées sur les murs du studio de la Maison Européenne de la Photographie, de petites œuvres rectangulaires, de quelques centimètres de large à peine, déclinent le corps nu d’une jeune femme dans différentes positions, à la manière d’un folioscope. Il faudra s’approcher pour déceler alors le visage et les détails de ces personnages solitaires hauts comme trois pouces qui peuplent ces délicates enluminures contemporaines. Nichés dans un coin de l’œuvre, la plupart nous tournent le dos ou fuient notre regard avec pudeur, nous empêchant de déceler s’il s’agit ici de peinture ou de photographie – au risque, en s’approchant un peu trop près, de sombrer dans le voyeurisme… L'expérience de ces délicates créations signées My-Lan Hoang-Thuy est pour le moins intime. Entièrement recouverte d’une accueillante moquette grise, la salle d'exposition de la MEP abandonne en effet la froideur de son habituel carrelage pour revêtir des allures de boudoir ou d'écrin, permettant d'apprécier au mieux ces précieuses petites œuvres de la jeune artiste française.

 

Dès le début de ses études, My-Lan Hoang-Thuy démontre son talent à contenir le monde dans un mouchoir en poche. Durant sa formation en graphisme, la jeune femme se passionne pour la fin du 19 siècle et le début du 20e, marqués une vague japonisante, et s’amourache des peintres Nabis, dont les œuvres dépassent rarement les cinquante centimètres et prônent un retour à l’imaginaire et à la subjectivité. Sans qu’elle ne le sache vraiment, elle pose déjà ici les bases de son travail : la plupart du temps, ses créations n'excèderont pas les dimensions d'une feuille A4, voire d'une carte postale, nécessitant inévitablement une certaine proximité pour en apprécier les minutieux détails. “La première fois que j'ai vu les œuvres de My-Lan, j'ai pensé à Pierre Bonnard, se remémore Clothilde Morette, responsable de la programmation de la MEP et commissaire de l’exposition. On y retrouve un goût pour la matière et pour ces couleurs chatoyantes.” Comme le Nu dans le bain (1936) de Bonnard ou la Femme nue devant la mer (1909) de Paul Sérusier, les contours flous et voluptueux des œuvres de la plasticienne invitent les spectateurs à observer ces corps féminins dénudés de plus près, mais offrent à ces derniers une image déformée, allongée, rapetissée ou grossie. Cachée dans le coin d’un morceau d’acrylique séchée, les sujets échappent ainsi à notre regard autant qu’ils l’attirent.

 

 

  • Portrait de My-Lan Hoang-Thuy © Courtesy of the artist. Photo: Raphaël Lugassy.

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Portrait (diptyque)" (2023).

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Sans titre" (2022). © My-Lan Honag-Thuy. Courtesy of the artist and Galerie Mitterrand. Photo: Aurélien Mole.

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Boisé" (2022).

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Grande Palette (1)" (2023).

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Blancs" (2023).

© My-Lan Honag-Thuy. Courtesy of the artist and Galerie Mitterrand. Photo: Aurélien Mole.

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Des œuvres d'art hybrides, entre peinture et photographie

 

Dans l’intimité de son appartement, My-Lan Hoang-Thuy, fraîchement diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2018, touche à la peinture, au dessin, à la photographie. Jusqu'à ce que les coulures de peinture qui s'étalent sur sa palette lui ouvrent un nouveau champ d'expérimentation : avec de l'acrylique, elle réalise des aplats rectangulaires épais, carrés ou parfois ovales, qu’elle laisse sécher sans support avant d’imprimer par dessus des photographies d’elle-même en petit format. Limitée dans ses moyens financiers et dans sa surface de travail, l'artiste entame alors un étonnant processus à partir de matériaux modestes et de mélanges de supports incongrus. Avant que cette technique ne devienne finalement sa signature, développant une œuvre hybride où la photographie se fait peinture et la peinture, photographie.

 

Que ses œuvres contiennent des autoportraits ou s'en tiennent à des compositions abstraites colorées, tels d'étonnants paysages mentaux, My-Lan Hoang-Thuy y explore les effets de lumières et de reliefs de ses fragments de peinture séchée, dont l'aspect fragile et le résultat délicat déroutent ses spectateurs. Ornées de doré, d’argenté et de reflets colorés, ses petites créations semblent aussi précieuses que de frêles enluminures, alors même que leur réalisation n’a nécessité que quelques coulures d’acryliques et de jets d’encre. Un attrait pour l'ornementation et le trompe-l'œil que la plasticienne compare aux décors des appartements qui ont marqué son enfance “Ma famille partage une fascination pour les signes extérieurs très clinquants de richesse, d’appartenance sociale. Chez ma mère, tout était brillant et chatoyant, mais finalement assez faux et plastique”. Fausse comme l'impression de préciosité laissée par ses œuvres, en réalité réalisées dans une économie de moyens, et dont la matière, ramenée à l'essence de la texture et de la couleur, semble bien loin de la noblesse de la peinture à l'huile.

 

 

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Papiers, Feuilles et Ampersands 52" (2020).

  • My-Lan Hoang-Thuy, "Papiers, Feuilles et Ampersands 15" (2020).

© Photo : Axel Fried. Courtesy of the artist and Galerie Mitterrand

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Les autoportraits de My-Lan Hoang-Thuy, entre intimité et universalité

 

Intitulée “Femme Actuelle”, l'exposition de My-Lan Hoang-Thuy ranime le souvenir des images consuméristes remplies de jeunes femmes du magazine féminin éponyme, qu'elle s'amusait, plus jeune, à dessiner et qui ont par la suite infusé sa pratique. Réalisés entre 2019 et 2020, ses autoportraits accrochés entre les murs de la MEP la dévoilent en train de prendre la pose sur des surfaces d'acrylique à peine plus grandes qu'une feuille de magazine. En distordant, étirant, allongeant et floutant son corps, souvent relégué à un coin du support granuleux, l'auteure conserve malgré sa nudité une forme de pudeur, et interroge inévitablement les canons de beauté qui régissent les représentations du corps féminins sur papier glacé depuis des décennies. Toutefois, ses formats réduits ouvrent également un dialogue exclusif et confidentiel avec le spectateur, qui installe une familiarité très séduisante. “Les images qu’elle produit parlent à tout le monde car ce sont celles d’une jeune femme qui incorpore son intimité et sa vie quotidienne dans son travail” considère en effet Léa Bloch, spécialiste du département des 20e et 21e siècles chez Christie’s, à l'origine de la carte blanche offerte à l'artiste en septembre dernier. 

 

Cette expression d'une intimité universelle, Sarah Chatillon, responsable des ventes à la galerie Mitterrand (qui représente la plasticienne), la rapproche de la sincérité du geste pictural de l'artiste : “Elle livre quelque chose d’assez puissant sur elle-même, sur son histoire, et je pense que les spectateurs le ressentent. D’ailleurs, j’ai souvent vendu ses œuvres à des collectionneurs qui connaissaient pas du tout son travail mais qui ont eu, à chaque fois, un véritable coup de cœur ; ce qui est assez rare”. Tous, explique-t-elle, ont ressenti cet étrange sentiment de proximité avec la jeune femme, dont les délicates créations offrent à leurs acheteurs des morceaux d’elle-même à accrocher chez soi. 

 

Réalisé en 2023, l'œuvre centrale de l'exposition reprend sa technique habituelle sur un format horizontal bien plus grand qu'à l'accoutumée. Cette fois-ci, l'image de l'artiste apparaît très nette, s'étendant sur l’entièreté de la surface, et ne se compose que de noir et de blanc, abandonnant l'artifice des couleurs chatoyantes. Comme si My-Lan Hoang-Thuy, qui a longtemps entretenu un rapport compliqué avec son corps, avait finalement pris confiance et appris à l'embrasser dans sa totalité. “J’y vois quelque chose de bien plus apaisé, confie-t-elle. Ma position est toujours assez pudique, mais je ne me cache plus désormais.” 

 

 

My-Lan Hoang-Thuy “Femmes Actuelles”, jusqu’au 10 décembre 2023 à la Maison Européenne de la Photographie (MEP), Paris 4e.