47


Commandez-le
Numéro
24 Raphaël Quenard, Interview, Révélation, César 2024, Chien de la casse

Rencontre avec Raphaël Quenard, l'acteur que tout le monde s'arrache

Cinéma

Alors qu'il vient de remporter le César de la révélation ce vendredi 23 février 2024, retour sur notre rencontre avec l'acteur Raphaël Quenard au moment de la sortie du film Sur la branche, en 2023. L’acteur de 32 ans que tout le monde s'arrache avait alors accepté de se confier à Numéro lors d’une interview perturbée par un certain Benoît Poelvoorde…

Bande-annonce “Sur la branche” de Marie Garel-Weiss avec Raphaël Quenard, Daphne Patakia et Benoît Poelvoorde. En salle le 26 juillet.

Raphaël Quenard, 32 ans, est passablement agacé : son yacht flambant neuf n’a pas reçu l’autorisation de quitter la baie espagnole de Marbella… C’est en tout cas le mensonge éhonté qu’il a servi sur un plateau à ses amis d’enfance, hilares. “Quand on sortait, on passait la nuit à se raconter de la merde. C’était notre jeu favori. Avec le recul je crois qu’ils étaient ma plus grande source d’inspiration.” Une sorte d’atelier d’impro dans la vraie vie. Des années plus tard, Raphaël Quenard est devenu acteur. Et, qui plus est, un improvisateur hors pair. Le public s’est tout de suite épris de ce phénomène longiligne à l’accent déconcertant, qui rejette toute forme d’académisme.

 

On l’a vu chez Jacques Audiard (Les Olympiades), chez Jeanne Herry, dans le drame-documentaire Je verrai toujours vos visages; chez Jean-Baptiste Durand, dans l’excellent Chien de la casse; à plusieurs reprises chez Quentin Dupieux (Mandibules, Yannick) ou même sur Netflix, dans la comédie Cash, avec Igor Gotesman et Agathe Rousselle. Aujourd’hui, il défend le nouveau long-métrage de Marie Garel-Weiss, Sur la branche, et incarne un arnaqueur a l’air ahuri que l’héroïne cherche à faire libérer de prison par-dessus tout. Une affaire délicate surtout lorsque l’avocat s’avère être un Benoît Poelvoorde bien moins en forme que lorsqu’il viendra perturber notre interview…

 

Enfoncé dans le fauteuil rouge d’une salle de cinéma, Raphaël Quenard guette les hurlements des fanatiques de blockbusters. Ces scènes de liesse, il se les injecte en intraveineuse. Surtout que dans son panthéon personnel, les franchises populaires cohabitent avec les œuvres d’Abel Ferrara, de Béla Tarr, de Luis Buñuel ou d’Ingmar Bergman. Un cinéphile un peu à la bourre, comme il l’expliquera lui-même au cours de la discussion. Rencontre avec un acteur qui, sans aucune raison, chuchote soudainement comme s’il révélait des informations secret défense.

 

L'interview de Raphaël Quenard, l'acteur que le cinéma français s'arrache

 

Numéro : Quelle critique vous a le plus blessé depuis le début de votre carrière ?

Raphaël Quenard: Je vais plutôt vous donner le compliment qui m’a le plus marqué. Pendant le tournage de Yannick de Quentin Dupieux [en salle le 2 août], nous avons occupé le théâtre Déjazet pendant une semaine. Après quatre jours de travail, j’ai entendu une dame dire à propos de moi : “Je trouve cela vraiment bien que Quentin donne sa chance à des acteurs handicapés.” J’ai trouvé ça exceptionnel. [Rires.]

 

Dans Sur la branche, vous incarnez un personnage à l’air ahuri qui ne semble pas vraiment s’inquiéter d’être en détention. Vous avez tourné une scène de sexe dans le parloir de la prison, avez-vous bouclé le coït en une seule prise ?

Je ne pensais pas du tout que cette scène allait ressembler à ça. Ce qui se passe est plutôt sérieux, les deux personnages s’embrassent et font l’amour. Tout simplement. Mais moi, je trouvais que ce n’était pas du tout à l’image de Christophe et Mimi, nos deux personnages. Je voulais que nos deux bouches restent collées l’une à l’autre, proposer un baiser horrible de préados timides qui ne savent pas se rouler une pelle. Clac ! On l’a fait. Sur le plateau, tout le monde a ri. Une fois montée, cette scène allait être une vraie patate ! Et pourtant elle n'a pas été gardée par la réalisatrice… Peut-être qu’on franchissait une barrière, qu’on allait un peu trop loin. Je reste persuadé que le public est avide de punchlines. C’est pour cela que je ne vois pas d’inconvénient à ajouter des répliques improvisées improbables, quitte à sortir légèrement du rôle.

 

 

“Je ne compte plus le nombre de punchlines que je pensais énormes et que les gens n’ont pas gardées au montage. Ça arrive pour à peu près tous les films. Soudain, je m’enflamme et je me prends pour le réal’” Raphaël Quenard

Bande-annonce de “Yannick” de Quentin Dupieux avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï et Blanche Gardin.

Vous trouvez-vous mauvais dans certains de vos films ?

Ne posez plus jamais cette question à un acteur parce que notre regard est toujours gorgé de frustration. Nous remarquons la réplique qui manque d’envie, la scène pas assez percutante. Les acteurs donnent beaucoup mais il faut enlever la couenne, supprimer toutes les impuretés. Pour Chien de la casse (2023), Jean-Batiste Durand a presque monté les scènes dans la foulée. Je ne compte plus le nombre de punchlines que je pensais énormes et qu’il n’a pas gardées au montage. Et ça, ça arrive pour à peu près tous les films. Soudain, je m’enflamme et je me prends pour le réal’ : “Alors tu l’as gardée celle-là ? Et la scène des gencives ? Tu la gardes hein, déconne pas !” [Rires.] C’est aussi pour ça que j’aime ce métier. J’ai l’impression que mon avis compte. Je me souviens que sur le tournage de Coupez ! (2022), un stagiaire régie est allé voir Michel Hazanavicius [le réalisateur du film] et lui a lancé : “Michel, j’ai quelques petites réserves sur ton scénar’…” Figurez-vous qu’il ne l’a même pas envoyé valser.

 

Entre nous, six projets en 2022, onze en 2023… N’est-ce pas un peu risqué de s’exposer autant à l’écran ?

Ma stratégie était très simple : tourner le plus possible jusqu’à ce que j’ai enfin le luxe d’avoir le choix. En réalité, j’aimerais tourner un ou deux films par an maximum. Si Gaspar Noé m’appelle, je passe une année complète à bosser avec lui. Je suis sûr que je me régalerais autant que j’ai pu m’amuser avec Quentin Dupieux. J’aime leur indépendance et leur sens de la subversion. Ce n’est pas donné à tous les réalisateurs qu’on reconnaisse l’un de leurs films en seulement trois plans.

 

Est-il possible d’être acteur sans être cinéphile ?

Ah bah, oui ! Et j’en connais pas mal.

 

Vraiment ?

Des tonnes. [Rires.] D’ailleurs, à l’origine, c’était mon cas. J'allais très peu au cinéma étant jeune, et je me suis fait attraper par la machine. Lorsque j’y allais c’était pour séduire une fille. J’ai même essayé de conclure devant Lucky Luke avec Jean Dujardin. Je crois que ce film est complètement éclaté.

 

Je vous le confirme, c’est une effroyable daube !

Je n’ai pas vraiment suivi la séance… [Rires.] Désormais, j’essaie de me faire trois films récents par semaine, et pour les jours qui restent : que des classiques. Je consomme du cinéma à outrance pour rattraper mon retard.

 

 

“Il faut aussi respecter des Danny Boon ou des Philippe Lacheau. Ils subissent une forme de snobisme permanent mais divertir autant de gens, ce n’est pas donné à tout le monde.” Raphaël Quenard

 

Parce que vous étiez complexé par votre manque de culture cinématographique ?

Vous êtes forcément un peu gêné lorsqu’Andreï Tarkovski surgit au beau milieu d’une discussion et que vous n’avez strictement rien à dire sur le sujet. Il m’arrive parfois d’être mal à l’aise encore aujourd’hui. Pour autant, je n’engloutis pas des films pour que cela me serve un jour dans les dîners mondains mais parce que cela me passionne. Je me sens au bon endroit parce que je me consacre au cinéma sans jamais avoir l’impression de travailler. Le cinéma me dévore, comme un besoin primitif. En fait, j’ai décidé de ne jamais accepter l’ennui. En tant que spectateur, j’aime quand les gens crient pendant les scènes épiques des gros blockbusters ! Ce que les concerts et les stades de football parviennent à créer. Je rêve de tourner un film qui fasse hurler les gens dans la salle. Mais ça, cela n’arrive qu’une seule fois dans une carrière. À moins d’incarner le personnage d’une franchise.

 

Et quel super-héros seriez-vous ?

Iron Man parce que j’adore Robert Downey Jr. !

 

Je ne vous souhaite pas sa traversée du désert.

C’est justement pour son parcours que je l’apprécie. J’ai toujours aimé les gars qui reviennent de derrière les fagots. Prenez Florian Zeller par exemple [dramaturge français qui a signé The Father en 2020 et The Son en 2022], il envoie son film à des acteurs français qui ne lui répondent même pas, il s’associe au producteur Jean-Louis Livi qui, lui, a une connexion avec Anthony Hopkins, et bam ! Hopkins débarque dans le projet et ramène Olivia Colman. Et tout ce petit monde finit aux Oscars. Ça, pour moi, c’est exceptionnel ! Surtout lorsqu’on se dit qu’en France, il y a des gars qui n’ont même pas lu le scénario et qui, aujourd’hui, lui répondraient oui sans l’ombre d’une hésitation. Il faut aussi respecter des profils comme Danny Boon ou Philippe Lacheau. Ils subissent une forme de snobisme permanent mais divertir autant de gens, ce n’est pas donné à tout le monde.

 

“L’objectif d’un film est d’être vu. Pas de finir en bobine sous cloche dans un musée.” Raphaël Quenard

Bande-annonce de “Cash” de Jérémie Rozan, avec Raphaël Quenard, Agathe Rousselle et Igor Gotesman.

Mais le cinéma est-il une discipline artistique ou un divertissement trivial qui tourne en boucle ?

Certains oublient parfois que l’objectif d’un film est d’être vu. Pas de finir en bobine sous cloche dans un musée. Beaucoup rêvent d’être cités comme des références dans plusieurs années. Je pense qu’il est parfaitement possible de lier les deux. Récemment, Ruben Östlund a proposé un divertissement intelligent avec son film Triangle of Sadness (Sans Filtre) [2022], pas une suite de scènes du quotidien dans lesquelles les personnages chuchotent. [Benoît Poelvoorde entre dans le lobby de l’hôtel et se met à hurler.]

 

Benoît Poelvoorde : Ah ! Ma Caro ! Je savais que t’étais là ! Regarde-moi cette chemise. La classe à l’italienne ! À L’I-TA-LIENNE, je te dis ! Bon, Canal + c’est fait ! À qui le tour ? Impossible d’avoir du café dans cette baraque. Ah bah, elle est là elle aussi. Comment ça va ma petite caille ?

 

Je suppose qu’un tournage avec Benoît Poelvoorde doit-être… intense.

Raphaël Quenard: C’est exceptionnel ! J’avais cinq jours de tournage pour Sur la Branche et je n’ai qu’une seule scène avec lui. Il donne beaucoup. Et il donne de façon extraordinaire. Je n’avais jamais vu ça. Vous savez, le cinéma c’est comme le football. Si vous voulez mettre une belle reprise de volée, il faut qu’on vous fasse un beau centre. Celui qui vous donne la réplique doit impérativement être doté d’une énergie revigorante. C’est ce qui se passe avec lui, il s’éclate et “joue” dans tous les sens du terme. Il n’y a rien de pire que de jouer pour prouver quelque chose. Si je vous dis que Paolo Sorrentino est ici, sur le plateau de tournage, vous finirez par jouer seulement pour lui. Votre propre ego dévore alors votre personnage.

 

Quel est votre principal défaut ? Celui sur lequel tous vos proches s’accordent ?

Je suis très impatient. Lorsque je pose une question, je peux la répéter indéfiniment jusqu’à ce que j’obtienne une réponse : “Il est bon ce joueur, hein, hein, le numéro 9, il est bon hein, hein, hein, il est bon non ?” “Ouiiii Raphaëeeel, il est bon le numéro 9.”

 

Un besoin permanent d’attention ?

Non c’est que… euh… Oui en fait c’est certainement un besoin d’attention. Je ne l’avais jamais vu sous cet angle. J’ai toujours eu beaucoup d’amis mais, le reste du temps, je recherche la solitude. J’adore être seul. Surtout devant un film dans mon canapé.

 

Sur la branche (2023) de Marie Garel-Weiss avec Raphaël Quenard, disponible sur Canal VOD. Yannick (2023) de Quentin Dupieux; avec Raphaël Quenard, disponible sur Canal VOD. Cash (2023) de Jérémie Rozan, disponible sur Netflix.